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"La communication religieuse au Sénégal : une rhétorique osée et parfois irrationnelle" (Par *Pape Sadio THIAM)

La religion est le domaine, du dogme, de la révélation, du surnaturel, mais c’est également une sphère où la communication publique est le lien nodal entre les fidèles et leur créateur, le lien qui les unit et les maintient en tant que communauté.

La religion est une institution qui a son administration et par conséquent sa façon de communiquer qui obéit à un certain nombre de principes. Dans la mesure où la religion éduque, forme et façonne les fidèles, elle contribue activement à la formation des citoyens de l’Etat, elle rend donc à la communauté un service d’intérêt public. Cet enjeu de la religion est tellement bien compris par les Églises qu’elles confient leur communication à des personnes dont la formation prédispose à entrer en relation constante avec le public. La religion offre un exemple de communication comme base fondamentale de la relation entre l’autorité (religieuse) et le public (la communauté religieuse). Elle montre dans beaucoup de cas que le premier intrant de l’autorité est la communication, et que celle-ci à son tour a pour principal intrant l’attitude du communicant.

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Dans la religion, tout est communication : la posture auguste, le protocole cérémonial, le discours solennel, le visage grave, le langage, la diction, etc. La communication religieuse, notamment dans le cas du Sénégal est un art que les anthropologues et autres spécialistes des sciences humaines devront un jour théoriser pour le faire connaître au monde entier. En plus d’être à priori verticale (l’émetteur et le récepteur sont ici dans une relation hiérarchique), la communication religieuse est une mise en scène qui a réussi une osmose entre les méthodes traditionnelles de communication et celles modernes. La source de l’information, le véhicule de celle-ci (moyen de communication) et la cible (destinataire de l’information, à savoir la communauté) travaillent en synergie dans la communication religieuse. Les cérémonies et les prêches religieuses offrent un large éventail de stratégies de communication aussi performantes les unes que les autres. Au Sénégal, les communicateurs ont pendant longtemps offert leurs services aux familles religieuses en proposant une communication spontanée, basée sur la proximité et les vielles relations avec ces dernières. Mais depuis quelques années, leur présence ainsi que leurs prestations entrent dans le cadre d’une infrastructure communicationnelle très complexe.

Leur façon et temps de communiquer vise à entretenir les fidèles dans l’attente de la grand-messe que constitue la communication du porte-parole de la confrérie. Ce dernier est un membre de la famille religieuse, mais son choix obéit à des critères objectifs. Sa formation spirituelle et intellectuelle, son crédit et sa crédibilité personnel, son appartenance à la famille religieuse, son aisance aussi bien dans la langue wolof que dans celle arabe, sa connaissance de la sociologie religieuse du pays, etc. sont des facteurs décisifs qu’on peut déceler dans la nomination du porte-parole dans les confréries religieuses du Sénégal. Ils n’ont pas forcément une formation stricte dans les métiers de la communication, mais ils impriment à celle-ci des règles comme les artistes le font dans les grandes innovations.

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La communication se nourrit essentiellement ici de la culture autochtone. Contrairement aux élites formées à l’école française, les élites religieuses ont préféré faire du wolof leur langue officielle. Mieux, elles ont réussi à sauver cette langue de la perdition à laquelle l’avaient prédestinée l’opa des langues étrangères. Il y a dans la communication des confréries une véritable esthétique qui, non seulement montre, la beauté et la richesse de la langue wolof, mais véhicule des valeurs morales et religieuses précieuses. Dans le lexique des mourides par exemple on dira : « mat na » (au lieu de doy na et parfois jeex na), « wacc na ligey » (au lieu de « dé na »), « barkelu » (au lieu de « joxe », consentir un effort ou un sacrifice), (xeewlu » (au lieu de « lekk »), « fattu na » (au lieu de « il est allé se coucher ») … Ces quelques exemples montrent comment, par une communication techniquement maîtrisée, on fait non seulement passer un message, mais aussi des valeurs, des façons ou arts de vivre. Ces mots créent une éducation, une véritable civilisation même : les fidèles qui communiquent ou qui reçoivent une communication par ces expressions apprennent une morale sous-jacente.

Cette forme de communication n’est d’ailleurs pas spécifique à la confrérie mouride, elle est adoptée par toutes les autres avec quelques variants dans le lexique, mais la finalité et la technique restent les mêmes. Le discours religieux est d’essence formatrice, éducative : toute communication doit par conséquent s’arrimer sur un socle de valeurs et de représentations conformes à l’idéal du fidèle, et au-delà, l’idéal du citoyen qu’on veut bâtir. La force de la communication religieuse, c’est qu’elle est toujours une garantie métaphysique, un préjugé favorable de la part des fidèles.

Une des failles de cette communication reste néanmoins la prépondérance du pathos sur le logos. La religion étant du domaine de la foi est déjà en soi une sphère qui revendique légitimement son autonomie vis-à-vis de l’autorité de la raison. En mettant en avant les émotions, la communication religieuse, notamment celle des prêcheurs, galvanise les fidèles, prend possession de leur libre jugement et cultive en eux le surnaturel, le mysticisme. S’il est vrai que le surnaturel est le fondement même de la religion, la communication outrancièrement axée sur le surnaturel finit par déposséder l’homme et à le réduire en simple caisse de résonnance incapable de comprendre la dimension éthique de la religion. Or la religion promet certes le salut céleste, mais elle ne doit pas exclure celui terrestre. Pour le salut terrestre l’homme ne peut pas confier toute sa destinée au fatalisme. Une religion top fataliste tue l’homme, car elle lui enlève la volonté, la créativité et l’optimisme. En sublimant les émotions par une communication exclusivement axée sur le pathos, on fouette le fanatisme, cette « épilepsie céleste » selon le mot de Voltaire dont l’un des résultats, est l’intolérance.

La communication, même religieuse, doit véhiculer un savoir, une information et féconder des conduites vertueuses. Jamais une communication religieuse ne devrait faire la promotion de l’intolérance, de la haine et de leur corollaire, la violence. Or quand une communication est agressive, quand elle cherche à humilier, à exciter les passions, elle sème les germes d’un conflit latent ou patent.
Le but de la communication, n’est pas de dénaturer l’homme, de briser les relations sociales, elle doit contribuer à assainir les mœurs et à rendre l’homme plus sociable. Communiquer pour exhorter les fidèles, propager la religion ou l’affermir, c’est naturel. Cependant quand la communication religieuse oublie ou néglige sa vocation formatrice et sa dimension spirituelle pour se transformer en propagande agressive, elle se dénature en levier de la violence.

Cultiver le fanatisme comme unique pilier de la religion, c’est courir le risque de perdre la qualité des croyants. Un croyant de qualité vaut plus et mieux que dix disciples qui n’ont que leur ignorance et leur passion à faire valoir. Or c’est justement là où le bât blesse dans la communication religieuse dans le Sénégal du XXIe siècle : elle crée beaucoup de disciples et peu de vrais croyants. On n’a pas besoin de statistiques pour étayer une telle hypothèse : malgré la religiosité ambiante, notre pays est inondé de comportements contraires au bon sens et aux préceptes fondamentaux de la religion musulmane.

Les prêcheurs ne s’en rendent pas compte, mais leur communication apparaît de plus en plus comme un coup d’épée dans l’eau. A force d’insister sur le sensationnel, ont fini soit par lasser les récepteurs du discours, soit par les inciter à faire de l’accessoire l’essentiel. Et avec l’explosion des TICS et des réseaux sociaux, la communication religieuse est devenue un enjeu à la fois religieux et politique. Dans une société ouverte, la parole est libre, l’expression des convictions religieuses et politiques ne devrait souffrir d’aucune limitation, mais c’est justement ce qui pose des problèmes. Quand n’importe qui peut prendre la parole et parler de choses aussi sensibles que celles religieuses, il y a des risques de perversion de l’essence même de la religion. La rhétorique tapageuse, les diatribes déguisées, la propagande disproportionnée dans la communication religieuse ont ceci de fâcheux qu’elles créent un foisonnement d’agents religieux avec leur cohorte de fous. Or la religion ne saurait être une affaire de fou, on n’obtient pas le salut terrestre dans la folie. Sous ce rapport, miser sur les passions dans la communication, c’est aller à contre-courant de la modernité. Dès l’instant que le prêcheur, le guide religieux recourt aux techniques de diffusion permises par les progrès scientifiques, il reconnait implicitement la nécessité de la raison dans les relations sociales.

Le paradoxe de la communication religieuse au Sénégal, c’est qu’elle ne s’inspire pas suffisamment des fondements de la religion musulmane en matière de communication. S’il est intimé au Prophète l’ordre de prêcher dans la sagesse, le respect et la bienséance, comment comprendre que des gens qui parlent au nom de cette même religion, puissent prendre autant de liberté dans leur communication ? L’amabilité, l’éloquence et la pertinence du discours doivent être les éléments essentiels d’une bonne communication en Islam. Cette religion qui se veut une religion de paix et de connaissance ne doit pas être laissée à la spontanéité de personnes qui n’ont ni le talent, ni la formation pour communiquer es qualité. Ce n’est pas exagéré d’implorer que dans l’avenir, les confréries religieuses du pays s’attachent de spécialistes dans le domaine de la communication. Le recours à des spécialistes serait d’autant plus légitime que ces confréries sont de plus en plus ouvertes sur le monde et ont des disciples dans les quatre coins du globe. S’attacher les services de spécialistes ne veut pas forcément dire leur confier la communication et rendre caduque la forme actuelle, il s’agit plutôt de l’encadrer pour la rendre plus opérationnelle. Il faut éviter de confiner le discours religieux dans la promiscuité de l’autochtonie si on veut exposer au monde les beautés et les vertus de nos confréries. Leur savoir-faire en matière de communication religieuse peut être affiné pour davantage former les citoyens ou les fidèles et prévenir les conflits.

Par Pape Sadio THIAM
*Enseignant chercheur communicant
Président du Think Tank Afrique
Perspectives 2030

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