Face à ce livre qu’ils veulent faire taire, quand le stylo devient sabre. Je comprends désormais pourquoi les intellectuels malhonnêtes prospèrent si bien dans ce pays. Pourquoi être honnête quand le mérite ne paie pas ? Pourquoi cultiver l’excellence si l’intelligence dérange les incapables ? Pourquoi persister à bien faire si les stéréotypes continuent d’ériger des barrières pour les femmes ? Je n’ai jamais adhéré aux luttes féminines de manière dogmatique ou «féministement», car j’ai toujours vu tous les combats pour la dignité, la justice, l’équité comme des luttes humaines, transversales, universelles.
Et pourtant, au fil des rebondissements autour de cet ouvrage, la vérité se dévoile : le blocage n’est pas accidentel, il est systémique. J’ai posé un jour cette question, simple et directe, à Ndeye Absa, lors de la dédicace de son livre : « Pourquoi les femmes n’écrivent-elles pas sur la géopolitique, l’économie, les grandes questions de notre époque ? » Elle m’a répondu, calmement : « Mais si, elles écrivent. » Aujourd’hui, je comprends mieux : ce n’est pas qu’elles n’écrivent pas, c’est qu’on les empêche d’exister intellectuellement.
Non seulement il y a une indigence intellectuelle chez nombre d’hommes de ma génération face à l’exigence de l’écriture rigoureuse, mais il existe aussi une misogynie savamment orchestrée, une exclusion intellectuelle consciente et organisée, pour bloquer l’émergence de voix féminines sur des terrains considérés comme réservés. Or, ce livre, le mien, est une œuvre qui convoque des sciences nouvelles, qui dérange parce qu’il déplace des lignes. Parmi les multiples fronts que soulève sa parution, il y a celui, profond, de l’hypocrisie sociale. Celle qui, tout en criant des slogans creux sur la reconnaissance et l’équité, travaille en silence à étouffer toute lumière authentique. Or, on ne peut pas s’approprier des mots qu’on ne croit pas.
Le temps est juge ; et le temps, lorsqu’il juge, est impitoyable. Quant au racisme inter-africain, j’ai la chance, moi, de pouvoir le nommer face à mes camarades panafricains du monde entier. Mon nom de famille, Sangaré que je porte comme une couronne est Dicko chez les Peuls Ardo, guerriers ; Bello au Niger et au Nigeria ; Bâ au Sénégal ; Sow, devenu Sidibé au Mali, en Guinée, au Burkina Faso. Les Sangaré du Mali deviennent Sankara.
Ce n’est pas une fable. C’est une généalogie vivante. Des quinze enfants que mon défunt papa a eus au Sénégal, je suis la seule à être allée au Mali à la découverte de mes origines, avec un bout de carte postale trouvé dans ses valises et les économies d’une tirelire. Ma famille à Bamako me lie, et je les salue. Les attaques contre les positions de l’armée malienne, le mardi 2 juillet 2025, ont tué mon frère Ibrahim Sangaré sur le champ de l’honneur, au poste de Nioro du Rip, frontière du Sénégal où il servait dignement la patrie.
Le Premier ministre Ousmane Sonko s’est rendu au Burkina Faso, le 18 mai 2025, après avoir reçu mon ouvrage le 24 mars 2025, et y avoir réagi favorablement le 10 avril 2025, en acceptant de le préfacer. Là-bas, il a été l’invité d’honneur parmi tous les dirigeants africains. Pourquoi ? Parce qu’il porte, assume et prolonge l’héritage de Thomas Sankara, dont je suis une descendante légitime, par le sang et par les idées. Je rappelle que je suis née le 15 novembre 1987 à Dakar, et que Thomas Isidore Sankara, le père de la révolution panafricaniste, a été trahit et assassiné avec douze de ses compagnons le 15 octobre 1987 au Burkina Faso, soit un mois avant ma naissance. Lors de cette visite, la crédibilité panafricaniste du premier ministre Ousmane Sonko s’est vue rehaussée après plusieurs mois d’ambiguïtés critiques par les camarades de l’Afrique et les communautés afro descendantes.
Alors, où est le problème si un Premier ministre sénégalais rend à César ce qui lui appartient ? N’est-ce pas là le plus haut degré de redevabilité intellectuelle ? Toutes les légitimités de cette production intellectuelle sont épuisées ou il en reste encore ? En peulh, on dit : « Si tu sous-estimes l’épine dorsale d’un moustique, elle finira par t’abattre d’une crise chronique de palu. » À bon entendeur, salut. À la vie, à la mort : nous vaincrons. Mon nom est Sangaré, mon combat est héritage
Le Panafricanisme ne se mendie pas, Il s’écrit
Notre révolution ne s’écrira pas sans les femmes
Zaynab SANGARÈ, journaliste écrivaine dont la parution de son ouvrage sur la souveraineté africaine est en train d’être saboté au Sénégal, son pays natal!!