Hortance Diédhiou, 03 fois championne d’Afrique de judo: « Au Sénégal, on ne mise pas vraiment sur l’athlète »

Quatre fois médaillée africaine de judo en moins de 57 KG, Hortance Diédhiou a accordé un entretien exclusif à nos confrères de Sport News Africa. La native de Ziguinchor qui fêtera ses 40 ans le 19 août prochain a confié n’avoir pas encore pris sa retraite mais qu’elle n’ira pas chercher une 5ème participation aux jeux olympiques. Hortance Diédhiou a reconnu son grand regret de n’avoir pas décroché de médaille lors de ses 4 olympiades. Désormais installée en France où elle enseigne le judo aux plus jeunes, elle prévoit l’ouverture d’un grand centre de judo à Ziguinchor pour aider les athlètes sénégalais et africains dans la préparation de compétitions internationales.

Hortance Diédhiou, vous avez été trois fois championne d’Afrique de judo, et avez pris part aux Mondiaux et à 4 JO. Comment appréciez-vous votre carrière aujourd’hui ?

Hortance Diédhiou : Avec du recul je suis très fière de mon parcours. Je suis croyante et pratiquante et j’ai toujours baigné dans la foi et la croyance. Donc je rends grâce à Dieu d’avoir gagné autant de titres, il y en a 4 (3 championnats d’Afrique et une médaille d’or aux Jeux Africains). Des titres de championne du Sénégal, je ne les compte plus, il y en a tellement. Faire 7 championnats du monde et surtout 4 olympiades dont deux fois comme porte-drapeau de la délégation sénégalaise… Je suis extrêmement fière de ma carrière car ce n’est pas donné à tous les sportifs d’avoir la chance d’en faire 4 et consécutive en plus.

On se souvient qu’aux Jeux olympiques de Rio en 2016, vous avez fustigé le manque de soutien des autorités sportives sénégalaises dans votre préparation. Nourrissez-vous des regrets dans votre histoire olympique ?

Des regrets du fait que chez moi au Sénégal, on ne mise pas vraiment sur l’athlète et je ne parle pas que de moi mais des athlètes en général. Ils ne se disent pas qu’on va investir considérablement sur ces sportifs sur 4 à 8 ans et que ce dernier pourrait nous rapporter une médaille. Je parle d’une bonne planification et d’une confiance en leurs athlètes. C’est peut-être ici que je nourris des regrets en ce qui concerne mon histoire avec les JO. On n’a pas été bien accompagné et moi en particulier. Avoir la chance de faire 4 olympiades et ne pas en sortir avec une médaille… C’est un peu lourd mais je ne regrette pas vraiment ce que j’ai aujourd’hui. Je n’étais peut-être pas destinée à devenir médaillée olympique mais je donnerai mon savoir aux jeunes pour qu’ils rapportent une médaille au Sénégal.

Aujourd’hui vous êtes basée en France. Que faites-vous concrètement ?

Je suis basée en France depuis quelques années, je poursuis ma carrière parce que officiellement je n’ai pas encore arrêté le judo. Je fais des compétitions jusqu’au jour où je décide d’arrêter officiellement ma carrière. Mais je me forme pour devenir professeur de judo. J’ai eu mon diplôme ici en France. Aujourd’hui j’enseigne dans des clubs français comme Boulogne-Billancourt et Asnières-sur-Seine, dans les écoles. Je suis fortement sollicitée grâce à Dieu. Je profite encore de ma passion, de mon sport en aidant d’autres personnes. Je me forme également dans l’arbitrage et dans la gestion de compétitions et de l’organisation du judo. Acquérir de l’expérience pour en retour, en faire profiter à mes frères et sœurs africains, en particulier sénégalais.

Où en est votre projet de construction d’un centre de judo que vous espériez ouvrir avant les JO de Paris 2024 ?

J’ai commencé par mettre en place 7 petits clubs de judo dans ma région de Casamance. Des clubs affiliés à la fédération sénégalaise de judo (FSJDA). J’ai construit le centre à Ziguinchor dans le quartier de Goumel. Je souhaite qu’on l’ouvre avant 2024 pour permettre aux athlètes africains d’avoir un lieu adéquat pour s’entraîner et se préparer pour les JO de 2024. Le bâtiment est prêt. Il ne reste qu’à acheter les meubles et ouvrir nos portes aux futures championnes et aux futurs champions. Ça sera au Sénégal mais destiné à toute l’Afrique. Je suis ambassadrice du judo africain donc je dois œuvrer pour les athlètes des autres pays, les aider à aller chercher une médaille olympique pour le continent.

Cette médaille que j’ai tant cherchée et que je n’ai pas eue, ça me ferait énormément plaisir qu’une Ivoirienne, une Camerounaise ou une Sénégalaise l’obtienne. Encore plus si elles se préparent dans mon centre. Le bâtiment est achevé ainsi que les sanitaires et les chambres. On a la capacité de prendre 15 filles et 15 garçons car je tiens à cette parité et à l’égalité des chances entre garçons et filles. Et il faut dire que c’est plus difficile chez les hommes où le niveau est élevé et la concurrence rude. Il nous manque des fonds même si on a été bien encadré par l’incubateur 2024 mais on n’a pas encore reçu de subventions. On patiente encore en croisant les doigts que notre bonne étoile nous sourit enfin et qu’une bonne volonté nous accompagne pour finaliser. Parce que Paris 2024 c’est déjà demain. Le judo africain n’a pas de centre. Ce serait quelque chose de bien pour le judo africain et aider le développement du judo sénégalais.

Peut-on espérer vous voir intégrer les instances sénégalaises de judo avec le changement à la tête dela Fédération ?

Je rendrais service au judo sénégalais même si on ne me sollicite pas. Hortance Diédhiou doit beaucoup au Sénégal. C’est grâce aux Sénégalais que j’en suis arrivée là. Aujourd’hui, tout ce que je peux faire c’est de former, d’encadrer de futurs «Hortance» qui feront mieux que moi pour le judo sénégalais et africain. L’ancienne fédération m’a toujours sollicitée. Mais je n’étais pas encore prête parce que je voulais d’abord apprendre avant de transmettre. Il ne faut pas se dire parce qu’on a été sportif de haut niveau qu’on est aussi bon pour transmettre son savoir-faire. Il faut accepter de se former parce que le sport chez nous c’est très compliqué. Si cette nouvelle fédération, si le président a besoin de moi, je serai là pour le judo. Je serai toujours là pour le judo de mon pays, déjà par mes différents clubs, par le paiement régulier de licences de mes pensionnaires depuis des années. Alors que c’est parfois très difficile.

Chaque année c’est plus de 100 licences, c’est quasiment 4.000 euros (2,6 millions FCFA). Ensuite il faut payer les déplacements avec souvent beaucoup de difficultés. Grâce à mes soutiens et aux bonnes volontés, on arrive à contribuer au développement du judo sénégalais à notre échelle. Par respect pour ceux qui sont déjà en place, j’aiderai d’une autre façon. Ce n’est pas un poste en particulier qui m’intéresse. C’est plutôt redonner à mes jeunes frères ce que le Sénégal m’a donné.

Du coup, est-ce que vous irez chercher une qualification à vos 5èmes jeux olympiques en 2024 ?

Je ne vais pas concourir pour Paris 2024. Ce n’est pas que je n’ai pas les moyens physiques et mentaux pour le faire. Avec l’ancien ministre des sports (Matar Ba, ndlr) et ce qui s’est passé à Rio (aux JO 2016, ndlr), il y a eu des choses qui n’ont pas été remises à leur place. Je ne veux pas tout de suite venir, créer des conflits, alors qu’il y a eu un changement de ministre également. Je veux garder toute mon énergie pour mon centre, pour le développement du judo africain et sénégalais et dans ma localité. Et apporter mon aide à la FSJDA. Il y a des jeunes sœurs qui sont sur une bonne lancée pour les Jeux. Je ne veux surtout pas venir barrer la route à ces dernières. Je vais me suffire de mes 4 jeux olympiques. Il va falloir pousser d’autres sénégalais à aller battre ce record-là. C’est tout ce que je souhaite à mes frères et sœurs. Après de mon côté, je continue, les compétitions, ce n’est pas fini pour moi (rires). J’ai une compétition ce week-end et je vous donnerai les résultats à la fin (rires).

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