Nourris pendant des décennies à la haine de l’Amérique, écorchés par les premières déclarations et mesures fracassantes du Président américain contre le monde arabo-musulman, les Arabes ont du mal à se réjouir ouvertement des frappes américaines en Syrie.
Le malaise est clair dans l’opposition syrienne. Ses médias, éparpillés entre Istanbul, Gaziantep (à l’est de la Turquie) et les régions syriennes qui échappent au contrôle d’Assad, ne se prononcent tout simplement pas sur la riposte américaine à l’attaque au gaz sarin de l’armée syrienne contre le village de Khan Cheikhoun.
Par contre, la presse officielle du régime Assad, habituée à manier la langue de bois, a ressorti tous les clichés « anti-impérialistes ». Donald Trump est aussi accusé d’être le nouvel allié de Daech et du terrorisme international.
Dans le quotidien officiel de la ville d’Alep Al-Jamahir, Jihad Astif tire à boulets rouges “contre l’agression américaine et les différents complots US visant les pays arabes. » Il n’épargne pas « le régime fasciste de l’Arabie saoudite” usant de termes quasi racistes contre les pays du Golfe, et évidemment accuse “le sionisme d’être impliqué dans tout ce qui passe en Syrie depuis six ans et d’avoir lamentablement échoué.”
Le son de cloche est radicalement différent du côté du quotidien saoudien Asharq Al-Awsat qui, comme tous les médias financés par le royaume wahhabite, applaudit le président américain. Sur un ton lyrique, Emile Habib écrit : “Nous pouvons affirmer que le monde entier, et pas seulement la Syrie, est devant une nouvelle réalité : la présidence Trump va nous surprendre. Ce qu’Obama a été incapable de mener en six ans où des milliers de Syriens sont tombés, victimes de sa lâcheté, Trump l’a réussi, en moins de trois jours après la boucherie de Khan Cheikhoun. Les fusées Tomahawk ont écrit un nouveau chapitre sur la volonté ferme de la nouvelle administration américaine de rendre à l’Amérique son prestige dilapidé par Obama.”
Les félicitations sont loin d’être à l’ordre du jour dans le quotidien de la gauche arabe de Londres Al-Arabi-Al-Jadeed. Sur un ton amer, Maan Al-Bayari titre son éditorial “Cet éloge de l’agression américaine ». Il constate que “les ‘réalisations’ [meurtrières] d’Assad père et fils permettent aujourd’hui à un criminel de guerre comme le Premier ministre Benyamin Netanyahou de montrer au monde sa compassion pour les enfants syriens… et poussent les Syriens à se féliciter et à couvrir d’éloges l’agression américaine contre leur régime.”
Enfin dans le quotidien francophone de Beyrouth, L’Orient- Le Jour , Anthony Samrani recadre l’événement. “Aussi symbolique et surprenante soit-elle, la frappe américaine ne modifie en aucune manière la donne sur le terrain syrien. Et rien n’indique, pour l’instant, que Washington ait l’intention de revoir ses priorités et de s’engager davantage contre Bachar el-Assad. Les États-Unis vont d’ailleurs être vite confrontés au même dilemme que l’administration précédente. Une politique visant à faire tomber le régime syrien serait forcément synonyme d’une escalade avec Moscou… Plus qu’un énième revirement de la politique américaine en Syrie, les frappes [du 7 avril] ressemblent plutôt à un ‘one shot’, dont l’objectif principal est d’adresser un message fort au reste du monde.”
Avec courrierinternational.com