De la CREI au Pool Financier Judiciaire (PFJ), à quoi s’attendre en fin de compte ?
L’assemblée nationale du Sénégal a fini d’adopter en 2023 la loi consacrant la suppression de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI) et son remplacement par le Pool Financier Judiciaire (PFJ) afin d’améliorer la lutte contre la criminalité économique et financière.
La CREI, créée sous le régime du président Abdou Diouf (1980- 2000), est longtemps restée en léthargie avant d’être réactivée par le président Macky Sall dès son arrivée au pouvoir en 2012 dans le cadre de la lutte contre l’acquisition de biens mal acquis.
Les dossiers « Karim Wade » fils de l’ancien président Abdoulaye Wade et « Tahibou Ndiaye », ancien directeur du cadastre ont été les seuls à aboutir à un procès. Tous deux avaient été condamnés à des peines d’emprisonnement ferme.
« Le mécanisme qui a été instauré a eu des difficultés dans le fonctionnement. La délinquance économique et financière est subtile et complexe. Elle nécessite des moyens, des techniques d’enquêtes et une ressource humaine qui n’existaient pas dans les dispositifs de la CREI », avait reconnu l’ancien ministre de la Justice Ismaila Madior Fall dans ses explications aux députés sur le nouveau projet, qui rappelons-le, émane du régime de Macky Sall.
« Désormais on aura affaire au Pool Financier et Judiciaire et », avait-t-il révélé, soulignant que le nouveau dispositif est composé d’un parquet financier, d’un collège de juges d’instructions financiers, d’une chambre de jugement financière, d’une chambre d’accusation financière, d’une chambre d’appel financière.
Le PFJ allait, selon l’ancien garde des sceaux, dans le sens de moderniser la lutte contre la criminalité économique et financière.
123 députés avaient voté pour et 36 s’étaient abstenus.
En effet, la CREI a de tout temps été décriée du fait de l’inversion de la charge de la preuve ainsi que l’absence de double degré de juridiction qui en avaient fait une juridiction d’exception.
Sa modification ainsi que celle d’autres lois pénales, électorales et constitutionnelles issues des conclusions du dialogue national ont été enclenchées dans le cadre d’une session parlementaire extraordinaire à l’époque.
La participation de Karim Wade et Khalifa Sall à la présidentielle de février 2024 avait suivi cette adoption du projet de loi.
Revenant au sujet de la CREI et du Pool Financier Judiciaire, il touche un point essentiel sur la manière dont certaines institutions comme ces deux peuvent être perçues dans des régimes présidentiels comme celui du Sénégal. Il est indéniable que la création de la CREI sous le président Abdou Diouf, puis sa réactivation sous Macky Sall, a été vue par certains citoyens et observateurs comme un moyen de régler des comptes politiques et d’attaquer des opposants, notamment à travers les affaires de « Karim Wade » et « Tahibou Ndiaye ».
La CREI, avec son fonctionnement particulier et ses méthodes contestées, a en effet été perçue comme une juridiction d’exception, ce qui a alimenté les accusations d’instrumentalisation politique.
Le remplacement de la CREI par le Pool Financier Judiciaire (PFJ)semble visé à corriger certains de ces défauts, notamment l’inversion de la charge de la preuve et l’absence de double degré de juridiction. L’actuel ministre de la Justice Ousmane Diagne a récemment insisté sur le fait que le PFJ devrait mieux répondre aux défis complexes de la criminalité économique et financière en offrant une structure plus adaptée et plus moderne.
Cependant, le changement d’institution ne garantit pas nécessairement une totale indépendance de la justice, surtout dans un système où le président détient une grande part de pouvoir. Il est donc crucial que ce dispositif soit mis en place de manière transparente et respectueuse des principes fondamentaux de l’État de droit pour éviter qu’il ne soit utilisé comme un outil de répression politique.
Quant à la question de l’influence de figures comme Ousmane Sonko, il convient de noter qu’en démocratie, les relations entre le président et ses collaborateurs peuvent être interprétées de différentes manières, convenons en !
Si la volonté de maintenir un contrôle fort sur l’administration peut exister, cela ne doit pas se traduire par une instrumentalisation du système judiciaire pour intimider ou réprimer des opposants politiques.
En définitive, la création du PFJ pourrait améliorer la lutte contre la criminalité économique, mais son efficacité et son impartialité dépendront de la manière dont il sera mis en œuvre, avec une attention particulière à la préservation de l’indépendance judiciaire et à la transparence du processus.
Alors entre CREI et Pool Financier Judiciaire qu’en sera t-il de chaque instrument en fin de compte. L’avenir nous édifiera !
Mamadou Biguine Gueye
Journaliste consultant