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Brèves réflexions sur l'immigration dans la politique américaine,  Par Fatou Jaw Manneh

Tout d’abord permettez-moi de préciser que je ne me considère pas comme une spécialiste  de la politique américaine. Bien que je vive aux États-Unis depuis plus d’une décennie et que je revendique être une chroniqueuse politique de ma lointaine patrie, je dois admettre qu’il y a encore beaucoup de chose que je dois apprendre sur la politique ici.

L’Amérique a une histoire très complexe, en perpétuelle évolution et pleine de surprises. En tant que réfugiée avec une culture et tradition africaines, je suis très reconnaissante pour la liberté que je jouis ici. Par conséquent, j’éprouve beaucoup de respect pour cette vaste terre de liberté où les exilés fuyant les tyrans politiques et religieux à travers le monde accourent pour se réfugier. Cependant, je n’ai pas pu me retenir d’exprimer mon opinion surtout lorsque la fermeture d’esprit est une des raisons qui ont fait que je suis exilée en Amérique. Et lorsque qu’il s’agit de l’immigration, on ne peut pas s’empêcher de voir le mauvais côté de la politique américaine. Ce qui est très inquiétant, surtout durant cette campagne présidentielle.

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Le débat sur l’immigration en Amérique est très complexe, contradictoire, surprenant, voire même bizarre. L’Amérique est en effet une nation d’immigrants. À Minneapolis par exemple, la plupart des Blancs que je rencontre sont de descendances norvégiennes, suédoises et finlandaises. Je suis tellement fascinée par leur histoire que mes jours de congé, je fais du bénévolat au service des visiteurs à l’Institut suédois américain où je sers du café et assiste en cuisine.

Swan Turnblad était un immigrant suédois qui est plus tard devenu un brillant éditeur à l’unique quotidien suédois en Amérique. Il a construit un immense manoir avec une architecture et une décoration intérieure magnifiques sur le Park-Road à Minneapolis où il a vécu avec sa femme et sa fille. Ce manoir est plus tard devenu un musée en faveur des liens culturels suédois et scandinaves avec l’Amérique. Les parents de Swan et la plupart des immigrants dans le Minnesota à l’époque avaient fui la famine dans les pays scandinaves. Lorsqu’ils sont arrivés ici, certains se sont lancés dans des entreprises commerciales. Leurs succès sont encore visibles dans de nombreux anciens manoirs distingués qui bordent les rues jadis populaires de Minneapolis. Le froid dans le Minnesota était aussi favorable à ces immigrants déjà habitués au froid intense de leurs pays d’origine.

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Il y a de grandes maisons de retraite dans la ville accueillant de riches Juifs avec la même histoire que celle des immigrants en Amérique cherchant à échapper à la misère. Ma vieille mère me manque tellement que je fais du bénévolat les samedis pour aller jouer avec les résidents des maisons de repos, les faire sortir pour prendre de l’air frais ou regarder des films historiques avec eux. Nous avons également la même histoire chez les Italiens à New York, les Irlandais à Boston et les Britanniques en Virginie. Aucune ville en Amérique ne rappelle l’Angleterre autant que la vieille ville d’Alexandria en Virginie. Les maisons et les rues rappellent la Grande Bretagne/Europe en Amérique. Les femmes ressemblent encore aux Anglaises dans les romans des sœurs Brontë. L’air en Virginie et à peu près tout le reste, nous donnent la sensation de marcher dans les rues de Leeds ou Portsmouth. En Californie, nous y avons les Asiatiques et les Latinos et en Nouvelle-Orléans, on a les Africains. L’Amérique est en effet un melting-pot. Il est certain que l’Amérique est le pays qui accueille le plus d’immigrants dans le monde.

Si les Africains n’avaient pas été amenés aux Etats-Unis comme esclaves, mais arrivés d’eux même pour l’aventure, ils auraient eux aussi laissé des monuments mémorables qui auraient été choyés par la génération actuelle d’immigrants africains qui inondent les villes en Amérique. Toutefois, même la cruauté de l’esclavage n’est pas arrivée à effacer l’empreinte de génie laissée par des esclaves africains. Nous pouvons citer, entre autres, Phillis Wheatley, une esclave du Sénégal qui est devenue la première femme poète afro-américaine à voir son œuvre être publiée et Yarrow Mamout, un esclave de la Guinée qui est devenu un financier. Et oui, nous avons vu comment de petits-fils et petites-filles d’esclaves ont sorti la tête de l’eau pour assumer l’héritage de leurs ancêtres torturés, dépouillés et asservis. Que Dieu bénisse leurs âmes.

L’Amérique est donc liée à de nombreuses origines et ethnies de partout dans le monde: il y a les Juifs, les Arabes, les Européens, les Africains, les Indiens, les Chinois, les Japonais, les Latinos et d’innombrables autres. S’agissant de l’humanité, les Pères Fondateurs de l’Amérique ont établi une vision sans fin pour ce pays. Ils ont aussi compris la souffrance et le poids du joug du colonialisme. La plupart d’entre eux étaient également conscients que la liberté extrême pourrait conduire à l’anarchie. Autant ils défendaient la liberté religieuse, autant la majorité d’entre eux voulaient que leur politique soit construite sur des socles où émanent des enseignements moraux de la Bible.

L’Ancien président de la Chambre des représentants des Etats Unis, Robert Winthrop disait en bref que «Les hommes doivent nécessairement être contrôlés soit par un pouvoir interne ou externe, soit par la Parole de Dieu ou la main forte de l’homme, soit par la Bible ou la baïonnette». Le premier président et père de la nation, le général George Washington quant  à lui, disait: «La religion et la moralité sont les piliers essentiels de la société civile», Samuel Adams lui est d’avis que: «Les hommes sont plus régis par leurs sentiments que par la raison». Sur la protection de la République, il a écrit que : «Celui qui est dépourvu de vertu dans la vie privée est, ou sera vite dépourvu de toute considération pour son pays. Il est rare de voir par exemple un homme coupable de trahison de son pays, qui n’a pas perdu auparavant le sentiment d’obligation morale dans ses rapports privés». Et bien sûr, ce grand humaniste et père fondateur a déclaré que «notre défi n’est pas d’être libre, mais plutôt de léguer à l’humanité un refuge sur terre pour la liberté civile et religieuse».

Voilà! C’est là où, moi et des millions d’autres personnes fuyant les persécutions politiques, nous nous sommes intégrés et revendiquons l’Amérique comme notre nation. Nous pouvons par ailleurs nous dire que nos ancêtres étaient obligés de venir dans cette terre et ont contribué de manière significative au développement de l’Amérique. La plupart des capitaux des banquiers, des politiques ou des institutions avaient été construits au détriment des esclaves.

Pour revenir à notre sujet, la politique américaine n’est pas toujours aussi noble et raffinée que le souhaitent ses plus beaux esprits. Parfois, elle semble affaiblie et conduite par des voix égoïstes. Et lorsqu’il s’agit de l’immigration, cette grande nation d’accueil ainsi que toute sa chère liberté gardent une grande place pour une minorité bruyante qui ne crie que le fanatisme, le racisme et la xénophobie. Contradictoire? Oui, Fascinant aussi? Oh bien sûr!

Tout comme auparavant, l’immigration, la santé, l’éducation, la sécurité nationale, l’économie et la politique étrangère sont les principaux enjeux de cette élection. Et les candidats à la présidentielle qui ne parviennent pas à étouffer la concurrence avec les petites phrases les plus emphatiques ou scandaleuses vont en gros perdre les électeurs démocratiques et républicains.

Lorsque Donald Trump s’est présenté comme le candidat républicain, cela a provoqué une onde de choc dans les entrailles des deux parties. Parce que, d’abord, il est milliardaire, ensuite, il a une grande gueule qui ne filtre pas les mots politiquement incorrects. Il est très riche, donc il n’a pas besoin de donateurs riches et ne se soucie pas des lobbies qui financent les campagnes politiques. Mais Trump réserve ses arguments les plus virulents pour nous les immigrés. Quand il a déclaré qu’il va incriminer les Mexicains avec le mur qu’il construira à la frontière afin d’empêcher leurs trafiquants de drogue, violeurs et meurtriers de venir aux USA, Oh Mon Dieu!, les Latinos ont eu chaud. Ils étaient bouillants de rage à tel point que les querelles verbales et l’embrouillement qui a suivi ont enflammé les maisons de presse. Ce qui suscité une schadenfreude (joie provoquée par le malheur d’autru) chez les républicains loyaux. Mon Dieu, beaucoup de personnes sont tellement exaltées par la montée en puissance de la Donald Trump.

Je ne peux pas m’empêcher de penser que nous les Africains, ne seront pas épargnés par Donald Trump. Les immigrants en général et nous les immigrés africains en particulier, sommes considérés comme des démocrates pour la plupart. Parce que nous avons tendance à penser que les démocrates veulent de nous ici alors que les républicains non. Et lorsqu’il s’agit de politiques économiques et sociales, touchant notamment l’éducation et la santé, nous avons le sentiment que ce sont les démocrates qui nous prennent en considération. Nous ne sommes pas des terroristes et nous n’avons pas de problème sur ce plan. Mais si Donald Trump peut se déchaîner sur les Latinos avec tant de véhémence, imaginez ce qu’il va faire de nous, les Africains.

Cela dit, je crois que Donald est un faux républicain. Allez … il est juste en train de dire haut ce que les racistes américains de la droite veulent entendre. La plupart des femmes/épouses/ copines de Donald étaient des immigrants. Certaines ne parlent pas encore très bien l’anglais, je suppose. Il est juste en train d’essayer de plaire à l’extrême droite républicaine avec des délires sur toutes les valeurs des démocrates. Je crois que s’il remporte cette élection, il sera bon pour ce pays. Il est déjà riche, il sait comment créer des emplois dans les villes. Et avec sa grande et chaude gueule, beaucoup de personnes réfléchiront à deux avant de l’attaquer. J’aime ça. Il a embrouillé tous les républicains. Ils n’ont pas l’habitude de voir le dictateur emphatique qu’ils voient en Trump.

A tel point qu’ils sont prêts à soutenir un autre homme noir, un neurochirurgien du nom de Ben Carson. Les Noirs dans la politique en Amérique ne peuvent pas espérer un meilleur moment. Espérons que Michelle Obama et Condoleezza Rice ou Beyoncé vont tirer leur épingle du jeu.

Cependant, les choses ne seront pas si faciles pour Donald. Les Américains ne votent pas que pour le plus populaire. Ils aiment aussi les candidats les plus décontractés, élégants et intelligents, mais prennent aussi en compte leur puissance. Obama était un candidat parfait pour cela, Hillary Clinton également. La fille que j’ai hâte de voir assommer tous les grands garçons républicains et les envoyer dormir, Carly Fiorina, leur a déjà donné quelques coups de poing et des coups de pied avec ses talons hauts.

Pourquoi tant de candidats républicains si hostiles envers les immigrés? La grande ironie est que la plupart d’entre eux et leurs militants ont des grands-parents qui sont venus ici pour la passion américaine. Bien que l’histoire de Ben Carson soit différente, son discours ne l’est pas. Le médecin a affirmé qu’un musulman ne doit pas être président des Etats-Unis. Allahu Akbar, comment a t-il osé? L’homme qui a évité la confrontation n’a pas retiré ses propos mais s’est expliqué puisqu’il détient plus de soutien des conservateurs de droite.

Je le félicite aussi dans un sens. Vraiment. Nous les musulmans avons beaucoup de travail à faire. Je suis une musulmane pratiquante qui croit qu’il n’y a d’autre Dieu qu’Allah et que le Prophète Muhammad (paix soit sur lui) est le dernier prophète. Mais pour ceux d’entre nous qui ont obtenu une grande partie de leur compréhension de cette belle religion sur Google, que Dieu nous aide. Le terrorisme a transformé le nom de notre religion, l’Islam, en un sanctuaire méconnu d’hommes brutaux en colère, sadiques qui cherchent à terroriser quiconque ne se conforme pas à leur esprit fanatique.

Oui, voilà comment l’Islam est compris pour le moment et nous ne voulons pas qu’il domine sur l’Amérique de sitôt. Laissons les Arabes dépenser leurs milliards d’argent du pétrole à nous rendre plus populaires. Si le genre de leadership qui existe dans les pays musulmans d’aujourd’hui vient en Amérique, où est ce que les opprimés dans le monde se réfugieront? Aucune excuse M. Carson, pour ces propos. Les républicains peuvent être des hypocrites, mais tout d’eux n’est pas absolument cruel.

L’Amérique devrait être bien protégée. Vive la liberté! Le monde devient plus compliqué et l’Amérique a besoin de sa force pour lutter contre les tyrans. Il suffit de laisser les immigrés en paix. Et en dépit de tous les discours durs, le président des États-Unis ne peut pas faire ce qu’il veut. Il n’a pas le pouvoir et ne peut pas violer les lois et la Constitution comme il lui plaît, sans conséquences. La présidence fonctionne dans un système des pouvoirs. Les trois branches du gouvernement ont tellement de composantesqu’aucun président ne peut tout simplement se réveiller un bon jour et bombarder un autre pays, tuer ses propres citoyens ou envoyer les intellectuels dans un asile psychiatrique ou politique. Que Dieu bénisse l’Amérique!

Pendant ce temps, en Afrique, l’inverse est une réalité dans la plupart des pays. Très récemment, la garde présidentielle au Burkina Faso a fait irruption dans la salle où se tenait le conseil des ministres, avant de prendre en otage le président de la transition et son premier ministre et de s’auto déclarer dirigeants du pays. Ils ont organisé ce coup d’Etat monstrueux, avec le soutien suspect de l’ancien président qui avait été renversé par un soulèvement populaire pour être resté au pouvoir pendant 27 ans et avoir tenté de modifier la Constitution afin qu’il puisse y rester pour toujours. Dieu merci, nous avons des hommes bons et courageux comme le président Macky Sall du Sénégal qui se sont précipités sur les lieux et ont évité qu’un autre pays de la région rentre dans un tourbillon d’instabilité. Le Sénégal est l’un des rares pays démocratiques en Afrique de l’Ouest avec un processus électoral démocratique.

Mais le voisin coléreux et despotique du président Sall, Yahya Jammeh, est encore occupé à tous nous opprimer ou nous envoyer dans un asile clinique. Pour lui, l’asile politique est trop indulgent pour ses ennemis. Par ailleurs, merci à Trevor Noah de Comedy Central pour avoir rendu ce «guérisseur de sida » au remède de bananes, encore plus tristement célèbre dans le monde qu’un fou exerçant le pouvoir en Afrique. Hélas, c’est ce fou que mon pays appelle président. Ce n’est qu’en Amérique qu’un comédien africain talentueux peut faire une telle parodie hilarante. Avertissement à Trevor: restes loin de la Gambie à partir de maintenant. Yahya Jammeh t’enlèvera à la seconde où tu mettras le pied là-bas et il ne sera pas si bien de te nourrir avec ses bananes guérisseuses du sida. Voilà le monde que certains d’entre nous ont fui.

Alors vive l’Amérique! Que la bataille pour la Maison Blanche continue. Voyons jusqu’où l’argent, la popularité, la beauté, l’intelligence ou l’histoire amènera les candidats. Quel que soit le résultat qui se révèlera, la campagne  présidentielle nous régale. Même si les projets de Donald Trump sur l’immigration nous effrayent, rien n’est comparable à la campagne de l’élection présidentielle américaine. Que Dieu bénisse l’Amérique!

Fatou Jaw Manneh is a

Gambian journalist

and activist residing in the USA.

fatoujm@gmail.com

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