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30 recommandations : découvrez le rapport général des Assises de la Justice sénégalaise

Synthèse du rapport général des Assises de la Justice

28 mai-4 juin 2024

I. Origines, persistance et effets des dysfonctionnements de la Justice

La « Justice » est l’un des sujets les plus discutés ces deux dernières décennies au Sénégal. De manière cyclique, elle se retrouve au cœur de larges délibérations comme celles organisées dans le cadre des Assises nationales (2009), de la Commission nationale pour la réforme des institutions (CNRI 2013) ou encore de concertations ciblées comme celle relative à la Modernisation de la Justice (2018). À ces consultations, s’ajoutent les nombreux manifestes et autres textes collectifs émanant d’universitaires et d’intellectuels ainsi que de multiples débats publics ayant pour préoccupation la consolidation de l’État de droit sous le prisme de la Justice.

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Cette sur-présence de la problématique de la Justice dans le champ social renseigne à la fois sur sa centralité, ses contradictions, ses limites et les attentes qu’elle suscite. Il est indéniable que l’institution judiciaire est au fondement de l’État démocratique : elle est la condition de possibilité du contrat social, la garantie que la dignité, les droits et libertés des citoyennes et des citoyens seront protégés et restaurés, que l’intérêt général et la paix sociale seront préservés. La croyance en une Justice impartiale et en l’existence d’un État de droit est de ce point de vue aussi importante que la qualité de la pratique judiciaire elle-même. Sans cette croyance en l’existence d’un état de justice socialement satisfaisant et d’un pouvoir judiciaire capable de s’opposer à l’hybris de l’exécutif, le vivre-ensemble s’effrite indubitablement. Les citoyens en arrivent à retirer progressivement leur confiance dans le système judiciaire et à créer des mécanismes d’auto-régulation et de justice privée, ce qui accélère lentement mais inexorablement la déliquescence du projet collectif.

Les contradictions qui assaillent la Justice sénégalaise depuis les indépendances et qui la maintiennent dysfonctionnelle et fragile sont d’autant plus pernicieuses qu’elles s’attaquent à sa fonction régulatrice et de stabilisation sociale mais aussi à tout récit valorisant ses qualités intrinsèques. Ces contradictions sont nombreuses et s’observent dans chacune des deux dimensions de la justice : en tant qu’elle est un pouvoir indépendant et en tant qu’elle constitue un secteur social faisant l’objet de politique publique.

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II. Transformations attendues par les sénégalais.e.s : réparer et refonder

Pendant une semaine d’échanges intenses (28 mai-4 juin 2024), près de quatre-cents (400) personnes réunies au Centre international de Conférence Abdou DIOUF (CICAD), à Diamniadio, ont réfléchi sur :

  • Les (nouveaux) imaginaires, rites, valeurs et symboles de la Justice.
  • L’implication et la participation effectives des citoyens dans l’organisation et le fonctionnement du pouvoir judiciaire.
  • La réforme des dispositions légales et réglementaires, ainsi que des mécanismes institutionnels.
  • La création d’institutions nouvelles comme la Cour constitutionnelle et la Haute Autorité de la Justice.
  • Les investissements conséquents nécessaires pour une Justice de qualité (personnels, infrastructures, allocations budgétaires, formation, communication).
  • L’amélioration du statut et des conditions de travail des acteurs du système judiciaire.
  • L’amélioration substantielle de l’accessibilité, l’équité et du temps de la Justice.
  • Un encadrement du régime de privation de liberté respectueux de la dignité humaine.
  • La lutte contre toutes formes de corruption, de conflits d’intérêt, de dilatoires et d’entraves dans l’administration de la Justice.
  • La protection de l’enfance.
  • La protection des lanceurs d’alerte et des défenseurs des droits humains.
  • La prise en compte des sexo-spécificités et des vulnérabilités.
  • La nécessaire accélération de la transition numérique.
  • La reddition des comptes et la lutte contre la criminalité économique et financière.

Les échanges ont aussi révélé qu’une rupture systémique passait nécessairement par une revue de fond de la Constitution sénégalaise dans laquelle se trouvent tous les ingrédients de la capture de l’appareil judiciaire par un Président de la République hyper-puissant. Les participants ont montré la direction à prendre et dessiné l’esquisse de l’institution judiciaire dans laquelle ils souhaitent dorénavant se reconnaître. L’aspiration collective est celle d’une institution judiciaire forte, indépendante, républicaine et ancrée dans sa culture. Une Justice qui protège les droits fondamentaux et les libertés publiques et individuelles, sanctifie la dignité des usagers et des justiciables, renforce l’État de droit, guide la démocratie et garantit la paix et la cohésion sociales. Une Justice porteuse de sens et de légitimité pour les citoyens et pour laquelle l’usager est au cœur du service public.

III. Consensus et dissensus

Cette volonté de rupture collective s’est exprimée à travers l’unanimité et les consensus forts obtenus autour d’une grande majorité de questions :

  1. La centralité de l’éthique et de la déontologie qui doivent guider les pratiques des acteurs.
  2. La transformation du Conseil constitutionnel en une Cour constitutionnelle qui serait la juridiction suprême du pays.
  3. La création d’une Haute Autorité de la Justice, institution constitutionnelle au sein de laquelle acteurs et usagers vont désormais assurer un contrôle du bon fonctionnement du système judiciaire.
  4. L’instauration d’un Juge des libertés et de la détention en vue de garantir le respect des droits des personnes arrêtées dans le cadre d’une procédure pénale et présentées devant la justice.
  5. L’effectivité d’un véritable service d’exécution des peines et de l’aménagement des peines avec une autonomisation des fonctions du juge de l’application des peines (JAP).
  6. La formulation d’une politique de numérisation de la Justice afin d’optimiser les processus, d’améliorer l’accessibilité, la transparence et l’efficacité des services judiciaires et sa mise en œuvre.
  7. L’institution d’une Commission permanente de réforme des textes pour réviser les principaux codes du Sénégal et tendre à l’idéal d’un ensemble législatif dans l’objectif de moderniser le corpus juridique tout en favorisant la cohérence d’ensemble.
  8. La nécessité de faire des efforts structurels en faveur de la justice (financement, ressources humaines, infrastructures).
  9. La réforme structurelle du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) pour lui conférer plus de liberté et d’indépendance avec un nombre égal de membres de droit et de membres élus et un statut administratif qui assure son autonomie financière et organisationnelle.
  10. L’amélioration du dispositif de réddition des comptes, y compris la consécration d’un régime de protection des lanceurs d’alerte, et le renforcement de la lutte contre la criminalité économique et financière.
  11. La création d’une Direction de la communication et des relations publiques au Ministère de la Justice.
  12. Le renforcement de la protection des droits des citoyens au cours des enquêtes de police et de gendarmerie.
  13. Le renforcement du régime de protection de l’enfance et de l’efficacité de la Justice juvénile.

Les points de désaccords majeurs entre participants sur les réformes à introduire étaient essentiellement liés au statut de la magistrature. Il s’agit principalement de la réorganisation du CSM, notamment la présence ou non du Président de la République et du Ministre de la Justice en son sein, son ouverture à des personnalités extérieures qualifiées, questions qui ont fait l’objet d’âpres discussions. De manière générale, deux tendances se sont dégagées entre les tenants de la sortie de l’Exécutif du CSM et les défenseurs du statu quo. Pour les tenants de la sortie, il s’agit là du premier jalon vers l’édification d’un pouvoir judiciaire réellement indépendant et assumant sa fonction régulatrice de la société. Pour les tenants du maintien de la situation actuelle, le plus important est de procéder à une restructuration de la composition du CSM avec une égalité arithmétique entre membres élus et membres de droit. Les deux camps ont adopté les mêmes positions relativement à la question de l’ouverture ou non du CSM à des personnalités extérieures. Les tenants de la sortie de l’Exécutif accueillent cette ouverture positivement puisqu’elle serait, selon eux, de nature à éviter l’entre-soi, le corporatisme, la gérontocratie, le copinage et l’existence d’un éventuel « gouvernement des juges ». Le « devoir de justification » devant des membres extérieurs avec voix consultative serait une contrainte de nature à favoriser la transparence dans la gestion des carrières des magistrats. Cette ouverture permettrait, à leur avis, de renforcer la crédibilité et l’indépendance du pouvoir judiciaire auprès des citoyens. Les partisans du maintien en revanche, optent pour un CSM formé exclusivement de magistrats excepté la présence du Président de la République et du Garde des Sceaux. Ils se fondent sur la particularité de la carrière des magistrats notamment, pour arguer de l’inopportunité d’y associer des personnes extérieures.

Le rapport général des Assises rend compte de ces larges points de consensus ainsi que des quelques points de dissension. Les propositions formulées sont regroupées en trente (30) grandes familles de recommandations traçant la voie pour une Justice réconciliée avec ses usagers, un État de droit renforcé et une démocratie renouvelée.

1. Les mesures visant à réparer le service public de la Justice

Recommandation 1
Renforcer les ressources financières et infrastructurelles du service public de la Justice pour la consolidation de l’État de droit et l’accès équitable à la Justice.

Recommandation 2
Instituer une commission permanente de réforme des textes pour répondre aux besoins actuels de la société.

Recommandation 3
Modifier les dispositions pertinentes du Code de procédure pénale, du Code de la famille, du Code procédure civile et autres lois spéciales pertinentes (Code des drogues, Code de l’environnement, Code du domaine de l’État, Code de la propriété intellectuelle et des droits voisins, etc.).

Recommandation 4
Installer les tribunaux déjà créés en les rendant fonctionnels et décentraliser la matière administrative en donnant cette compétence aux tribunaux de grande instance avec une instance d’appel au niveau des cours d’Appel.

Recommandation 5
Promouvoir la justice de proximité en élargissant la carte et les compétences des Maisons de Justice.

Recommandation 6
Assurer un véritable service d’exécution des peines, favoriser l’aménagement des peines avec une autonomisation des fonctions du juge de l’application des peines (JAP).

Recommandation 7
Assurer une protection optimale des droits des citoyens au cours des enquêtes de police et de gendarmerie.

Recommandation 8
Instaurer un juge des libertés et de la détention pour éviter les mandats de dépôts systématiques et protéger la liberté des citoyens.

Recommandation 9
Renforcer le régime de protection de l’enfance et assurer l’efficacité de la Justice juvénile.

Recommandation 10
Proscrire toute pratique attentatoire à la dignité et aux droits des citoyens dans le cadre des procédures d’enquête et judiciaires.

Recommandation 11
Mener une politique de recrutement et de formation des acteurs de la justice.

Recommandation 12
Renforcer les mécanismes pour garantir l’éthique et la déontologie des acteurs de la Justice, la transparence et l’efficacité du système judiciaire.

Recommandation 13
Renforcer l’indépendance du pouvoir judiciaire.

Recommandation 14
Améliorer les conditions de travail des magistrats.

Recommandation 15
Améliorer les conditions de travail des greffiers.

Recommandation 16
Améliorer les conditions de travail des autres auxiliaires de Justice.

Recommandation 17
Résorber le déficit d’avocats et améliorer leur maillage territorial.

Recommandation 18
Accélérer les efforts de recrutement et de démultiplication des charges dans le notariat.

Recommandation 19
Promouvoir et développer le corps des experts judiciaires.

Recommandation 20
Promouvoir et développer le corps des interprètes judiciaires.

Recommandation 21
Renforcer les moyens et les prérogatives des éducateurs spécialisés.

Recommandation 22
Renforcer l’administration pénitentiaire et humaniser les conditions de détention.

2. Les mesures visant à refonder le service public de la Justice

Recommandation 23
Reconstruire les symboles et attributs de la Justice afin qu’ils fassent sens pour le peuple au nom duquel elle est rendue.

Recommandation 24
Amorcer et accélérer la transition numérique de la Justice.

Recommandation 25
Créer une direction de la communication et des relations publiques au ministère de la Justice aux fins de rapprocher les usagers de la justice, simplifier et clarifier les procédures et assurer l’éducation au droit et aux droits humains dans les langues nationales.

Recommandation 26
Assurer une reddition des comptes générale et performante.

Recommandation 27
Lutter efficacement contre la criminalité économique et financière en mettant en place un dispositif robuste de lutte contre le blanchiment de capitaux, de saisie patrimoniale et de recouvrement des avoirs.

Recommandation 28
Définir un régime de protection des lanceurs d’alerte et des défenseurs des droits humains et mettre en place des mécanismes d’information des autorités compétentes tout en respectant les droits et libertés des citoyens.

Recommandation 29
Créer une Cour constitutionnelle avec des compétences et des pouvoirs élargis prenant en compte la représentativité hommes-femmes.

Recommandation 30
Créer une Haute Autorité de la Justice (HAJ) pour ouvrir la Justice aux citoyens et servir de cadre de délibération de tous les acteurs de la Justice.

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