« Le panafricanisme aujourd’hui : un folklore dans un cul de sac » (Par Alassane K. Kitane)

Il suffit simplement de s’opposer aux occidentaux, de parler de monnaie et de souveraineté pour paraître un prophète du panafricanisme. L’enfantillage est perceptible dans la répétition des formules et dans les attitudes belliqueuses envers les occidentaux

Ce n’est pas cette voie qui fera l’Afrique, ce n’est pas dans la gesticulation qu’on posera les jalons de la libération de l’Afrique. La communication est certes un outil, mais elle ne saurait être une garantie de performance stratégique. Personne n’a vu venir le Rwanda. Dans la sobriété et l’intelligence ils sont en train d’instiller dans les consciences des jeunes Rwandais que ce sont les Rwandais qui feront le Rwanda. Dans ce monde où la géopolitique et la géostratégie sont de la guerre intelligente, c’est faire preuve de candeur que dévoiler ses armes.

Nous devons à tout prix éviter de tomber dans les mêmes travers que nos ancêtres. Les arabes et les blancs nous ont cantonné dans l’émotionnel, pendant ce temps ils se sont emparés de nos consciences et y ont gravé les archétypes de notre dépendance. Nous sommes extravertis jusque dans nos élans de libération. Un esclave qui voudrait se libérer de son maître en le lui annonçant n’est pas encore totalement prêt pour la liberté. La révolution Burkinabé était un merveilleux projet, mais elle portait en son sein les germes de sa déflagration intérieure : le lyrisme jusque dans les attitudes épiques. Les comités de la révolution ont commencé à se substituer à la loi, à la République et parfois même à dieux. Combien de fois Thomas Sankara est intervenu pour recadrer certains révolutionnaires ?

C’est le propre des hommes faibles d’esprit que de s’accrocher comme des sangsues aux idées généreuses, ainsi ils ne seront pas obligés de motiver leurs attitudes parfois déraisonnables. Le Botswana, l’Éthiopie et, dans une moindre mesure le Rwanda, sont en train de faire ce qui chez nous est chanté comme un baragouin synchronisé. Ce qui est dangereux le lyrisme révolutionnaire, c’est qu’il se substitue aux principes de la révolution. La politique n’est pas un jeu, c’est une affaire extrêmement sérieuse, et c’est déjà un manque de génie politique que de se croire nanti de pouvoirs exceptionnels. En politique comme en art, il faut savoir créer en permanence ou disparaître.

En parlant de Robespierre, Hegel affirme qu’il a perdu sa force quand la Nécessité l’a abandonné. Nous ne nous permettront pas ce mysticisme de l’histoire, mais pour nous en inspirer, nous dirons qu’il y a des politiciens qui, pour se donner un semblant de Nécessité, ramassent à l’aveuglette toutes les idées qu’ils pensent pouvoir leur faire incarner la Nécessité. Ces gens sont des calculateurs capables d’épouser une cause avant même de l’avoir assimilée. Ils vous diront que l’heure n’est plus à la réflexion, qu’il faut faire vite, que votre génération a une mission à accomplir ou à trahir, bref tout le baratin propre aux populistes. Pourquoi cherche-t-on à évacuer de la scène politique les politiques réfléchis et les intellectuels libres ? Pourquoi veut-on coûte que coûte dissuader la neutralité et installer un climat de guerre civile dans les esprits ? Lisons ce passage de la République (Platon) pour trouver la réponse.

« Imagine donc quelque chose comme ceci se passant à bord d’un ou de plusieurs vaisseaux. Le patron, en taille et en force, surpasse tous les membres de l’équipage, mais il est un peu sourd, un peu myope, et a, en matière de navigation, des connaissances aussi courtes que sa vue. Les matelots se disputent entre eux le gouvernail : chacun estime que c’est à lui de le tenir, quoiqu’il n’en connaisse point l’art, et qu’il ne puisse dire sous quel maître ni dans quel temps il l’a appris. Bien plus, ils prétendent que ce n’est point un art qui s’apprenne, et si quelqu’un ose dire le contraire, ils sont prêts à le mettre en pièces. Sans cesse autour du patron, ils l’obsèdent de leurs prières, et usent de tous les moyens pour qu’il leur confie le gouvernail; et s’il arrive qu’ils ne le puissent persuader, et que d’autres y réussissent, ils tuent ces derniers ou les jettent par-dessus bord. Ensuite ils s’assurent du brave patron, soit en l’endormant avec de la mandragore, soit en l’enivrant, soit de toute autre manière; maîtres du vaisseau, ils s’approprient alors tout ce qu’il renferme et, buvant et festoyant, naviguent comme peuvent naviguer de pareilles gens ; en outre, ils louent et appellent bon marin, excellent pilote, maître en l’art nautique, celui qui sait les aider à prendre le commandement – en usant de persuasion ou de violence à l’égard du patron – et blâment comme inutile quiconque ne les aide point : d’ailleurs, pour ce qui est du vrai pilote, ils ne se doutent même pas qu’il doit étudier le temps, les saisons, le ciel, les astres, les vents, s’il veut réellement devenir capable de diriger un vaisseau ; quant à la manière de commander, avec ou sans l’assentiment de telle ou telle partie de l’équipage, ils ne croient pas qu’il soit possible de l’apprendre, par l’étude ou par la pratique, et en même temps l’art du pilotage », Platon, la République, Livre VI

Voilà pourquoi on n’aime pas les gens qui ont fait le pari de ne pas se laisser emporter par la clameur et le tumulte, et qui préfèrent scruter ce qui se passe au fond des choses. Un démagogue connaît la psychologie des foules, il sait que celles-ci ne réfléchissent pas surtout quand on peut les distraire avec des thématiques passionnées et des actes qui les flattent ou réchauffent leurs passions. La meilleure façon d’instrumentaliser un peuple, c’est de lui faire croire qu’il sait ce qu’il fait, qu’il ne se trompe jamais, qu’il a la Clairvoyance descendue du ciel pour embrasser et féconder la terre de sa précieuse sagesse. Pourtant, nous savons tous que si le peuple n’était pas sujet à l’illusion, les politiques eux-mêmes deviendraient superflus et leurs activités se réduiraient à jouer aux troubadours. A moins de faire preuve de mauvaise foi, on ne peut pas nier le fait que les peuples sont capables des pires errances : élire et réélire un homme comme Macky Sall n’est-il pas une preuve de la possible errance du peuple ? Lisons plutôt ce propos de Rousseau :

« De lui-même, le peuple veut toujours le bien, mais de lui-même, il ne le voit pas toujours. La volonté générale est toujours droite, mais, le jugement qui la guide n’est pas toujours éclairé. Il faut lui faire voir les objets tels qu’ils sont, quelquefois tels qu’ils doivent lui paraître, lui montrer le bon chemin qu’elle cherche, la garantir des séductions des volontés particulières, rapprocher à ses yeux les lieux et les temps, balancer l’attrait des avantages présents et sensibles par le danger des maux éloignés et cachés ».
Rousseau, Du Contrat social, Liv II. ch.6

Il n’est pas impossible que Rousseau fît une réminiscence de ce passage cité de la République de Platon en écrivant ces lignes. A la lumière de ce texte on comprend en tout cas pourquoi un peuple a besoin d’un législateur surhumain pour traduire en lois sa volonté pure, non encore souillée par le mensonge et la mégalomanie des charlatans et autres charmeurs. Et c’est justement ce qui donne aujourd’hui, après moult errements et reniements, toute leur pertinence aux Conclusions des Assises. Rousseau a dit qu’il faudrait des dieux pour donner des lois aux hommes, mais on pourrait lui répondre qu’une Constituante ou une Assemblée comme celle des Assises est proche des dieux.

C’est vrai que dans tous les pays le Conseil constitutionnel est critiqué et est suspecté parfois de connivence avec l’exécutif, mais c’est parce que la façon dont on rédige les lois est trop humaine. On peut donc naïvement penser qu’une Constituante a plus de chance de traduire en lois et programmes ce que veut le peuple qu’un groupe de techniciens cloitrés dans des bureaux pour écrire des lois ou rédiger des programmes.

Au regard de ce qui précède, nous pensons que le citoyen doit certes militer, mais pas avec son cœur, il doit s’engager pour les causes qu’il connaît et se donner les moyen de contrôler en amont comme en aval les actes et paroles du bénéficiaire de son mandat ou de sa confiance. Liberté donc à ceux qui s’engagent sans exiger la lumière, mais respect et considération à ceux qui préfèrent consulter d’abord les lumières de la raison au lieu de suivre la foule !

Par Alassane K. Kitane

3 COMMENTAIRES
  • Aliou

    merci bien argumenté.

  • Krom

    Hop. Si tu penses à Sonko, il faut clairement le dire et pointer exactement là où il se trompe où trompe ses inconditionnels

  • Af en colère

    L’attitude belliqueuse face à l’occident suffit de nos jours panafricanistes .
    Même les soutiens des assassins de panafricanistes reconnus se prennent aujourd’hui pour des panafricanistes par calcul politique (Choguel MAIGA au Mali par exemple )
    Alors qu’ils n’ont rien ,mais alors rien de panafricanistes de panafricaniste .
    D’autres pour passer le temps se proclament panafricanistes comme KEMI Seba le français d’Alsace qui n’a connu l’Afrique
    que pour échapper à la justice mais aujourd’hui confond tout

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