Anniversaire du décès de Mamadou Dia : la clairvoyance d’un patriarche (Par Henriette Kandé Niang)

Anniversaire du décès de Mamadou Dia : la clairvoyance d’un patriarche (Par Henriette Kandé Niang)

Dans une interview accordée à Babacar Touré, publiée dans le numéro 3 de Sud Magazine (octobre 1986) Mamadou Dia répondait à la dernière question posée : « Quelle image voudrez-vous que la postérité garde de vous » ? Réponse : « Oh, ça c’est m’est égal. L’image qu’elle voudra, mais l’essentiel pour moi, c’est de lui donner suffisamment d’informations qui lui permettent, n’est-ce pas, de se faire l’image la plus correcte. Ce que je souhaite tout simplement c’est qu’elle puisse choisir objectivement l’image qu’elle veut bien se faire de ma personne »

Aujourd’hui, l’image que la jeune génération d’hommes politiques sénégalais a de lui, est que Mamadou Dia est une référence, pour plusieurs raisons, principalement, en lien avec ses valeurs, sa vision politique, et son rôle historique dans la construction du Sénégal indépendant. Les points qui expliquent cet attrait son un modèle d’intégrité politique, un leader visionnaire et progressiste, un engagement inébranlable en faveur du peuple et un symbole de rupture avec les pratiques politiciennes.

Pendant longtemps, l’histoire de Mamadou Dia a été reléguée au second plan. Cependant, une réhabilitation de sa mémoire a eu lieu à travers des livres, des documentaires, des témoignages et des débats politiques. Pour la jeune génération, donc, il représente une figure historique marquante à (re)découvrir. Son nom évoque une trajectoire unique. Éducateur, militant, et homme d’État, il a incarné avec constance des principes inébranlables, au prix de sacrifices personnels immenses.

Mamadou Dia a traversé son temps en témoin privilégié, marquant son époque par son rôle de pionnier et sa fidélité à ses idéaux. De l’école à la politique, son chemin fut tracé par un profond désir de justice sociale et d’émancipation.

Entré en politique grâce à son mentor, Léopold Sédar Senghor, dès 1948, il participe à la création du Bloc Démocratique Sénégalais (BDS) et contribue à son implantation à travers le pays. Il conduit le parti de victoire en victoire électorale, devenant en 1957 vice-président du Conseil de Gouvernement, sous le régime de l’autonomie interne.

Toutefois, des divergences profondes avec Senghor émergèrent à propos du référendum de 1958 sur l’indépendance. Dia, fervent partisan du « non » à toute forme d’allégeance envers la France, s’opposa à la position plus modérée de Senghor. Finalement, un compromis en faveur du « oui » fut trouvé, mais Dia resta convaincu que cette décision compromettait la souveraineté nationale.

Premier ministre du Sénégal indépendant, Dia entreprit de profondes réformes visant à moderniser l’économie et à libérer la paysannerie de l’économie de traite. Son projet d’« économie de participation collective » reposait sur l’autogestion et l’animation rurale. Mais cette vision, jugée trop progressiste, attira des ennemis puissants, tant à l’intérieur qu’à l’étranger.

En 1962, des tensions avec Senghor dégénérèrent en une crise politique majeure. Accusé de tentative de coup d’État, Dia fut condamné à une déportation perpétuelle et emprisonné à Kédougou. Pour la première fois dans l’histoire de l’Afrique post-indépendance, un affrontement éclate, dépassant le simple conflit de tempéraments, personnalités ou styles. L’incompatibilité d’humeur laisse place à un divorce ancré dans des divergences politiques profondes. Tout le reste relève de l’anecdotique, que l’Histoire ne retiendra qu’en marge, comme des détails accessoires. Aux dirigeants d’hier et d’aujourd’hui, aux générations d’Africains marginalisées par les manœuvres politiciennes et privées de leur potentiel décisif, aux alliés et adversaires du continent, le témoignage de Mamadou Dia rappelle que, dans une ère marquée par des ruptures inévitables, seules les idées ont un véritable poids.

Malgré plus d’une décennie d’emprisonnement, Dia resta fidèle à ses convictions. Il qualifia cette période d ’« ermitage pieux et studieux », durant laquelle il approfondit sa réflexion sur la justice sociale et le développement participatif. Libéré en 1974, il poursuivit son combat politique, publiant plusieurs ouvrages d’analyse et de propositions.

Critique avéré des présidences de Senghor et de Diouf, il ne le fut pas moins quand Abdoulaye Wade, qu’il avait soutenu en 2000, arriva au pouvoir. Dans une de ses chroniques « L’œil du Patriarche », il dénonça les atteintes à la démocratie et appela à une opposition vigoureuse. Il fait partie des rares leaders politiques à s’être distingué par son opposition frontale lors du référendum constitutionnel du 7 janvier 2001. Ce scrutin, décrit comme un « plomb dans les ailes de l’Alternance balbutiante », l’a poussé à qualifier le projet de Constitution wadiste de « chef-d’œuvre d’hérésie [et] de nid d’artifices de bas étage ».

La suite de son combat s’intensifie après la présidentielle du 25 février 2007, marquée par ce qu’il désigne comme un « pickpocket électoral sans précédent ». Dans une déclaration solennelle, il dresse un parallèle saisissant entre les autocrates d’hier et les dirigeants de l’époque : « Naguère, on a eu la génération Bokassa, Amin Dada, Mobutu. Assiste-t-on à un remake de cette ère lugubre pour l’Afrique avec Mugabe, Conté et Wade ? »

Critiquant fermement les dérives du pouvoir de Wade, il dénonce un climat d’impunité : « Sous le Sénégal de l’alternance, on absout les crimes politiques, on tente d’assassiner les opposants et on les agresse – eux et d’autres- en toute impunité. » Il fustige également le comportement de Wade : « Lorsque le gardien de la Constitution, et donc de la légitimité républicaine, se met hors la loi de façon éhontée […] il n’y a plus de place pour l’illusion d’un formalisme juridique quelconque. »

Appelant à une riposte courageuse, il exhorte l’opposition à prendre les devants : « La riposte doit être à la mesure de la provocation. Il n’y a pas d’autre solution que l’action sur le terrain, en acceptant sans hésiter les risques possibles et imaginables. »

Il conclut sur une note déterminée, reprenant la célèbre devise du capitaine chouan : « J’avance, suivez-moi. Si je meurs, vengez-moi. Si je recule, tuez-moi !

Aujourd’hui, Mamadou Dia laisse l’image d’un homme politiquement intègre, ayant traversé les tumultes de l’histoire politique sénégalaise sans jamais trahir ses principes. Il laisse en héritage une vision audacieuse d’un pays souverain et démocratique.

2 COMMENTAIRES
  • Alioune Toure

    QUE SON AME REPOSE EN PAIX AU PARADIS CELESTE.

  • Babel

    Le grand Maodo.Respect!!!

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