Vers une société éducative sénégalaise: Comment mettre à contribution le capital primitif sénégalais ?

Vers une société éducative sénégalaise: Comment mettre à contribution le capital primitif sénégalais pour une transformation systémique de l’éducation nationale ?
Après avoir connu une troisième alternance, notre pays s´est résolument tourné vers une éducation nationale de qualité, capable de façonner un nouveau type de sénégalais autonome, compétent et bien adossé à un socle endogène de valeurs africaines culturelles, cultuelles, humanistes et spirituelles, tout en étant préparé aux défis du développement durable. Cependant, la problématique liée aux inégalités d’accès, au manque criard d´infrastructures adaptées et à la qualité pédagogique perfectible reste entière. Ainsi, le changement systémique que nous prônons tant pour asseoir une société éducative, où l’apprentissage et l´apprenant deviennent des vecteurs
de transformation sociale, ne pourra s´opérer qu´avec la mobilisation du capital primitif sénégalais, en l´occurrence les ressources matérielles, financières et humaines existantes.
Mieux appréhender le capital primitif dans le contexte éducatif sénégalais Dans un contexte où la souveraineté est le seul leitmotiv (surtout avec la suspension de l´aide d´un de nos plus grands partenaires techniques et financiers), le recours au capital primitif fait référence aux ressources initiales susceptibles d´être mises à contribution pour réformer l’éducation sur le plan matériel (établissements scolaires, daaras, centres de formation, centres de documentation, bibliothèques, ressources numériques…), financier (budget national, fonds d’appui à l’éducation, financements des collectivités territoriales, apports du secteur privé et de la diaspora sénégalaise…) et humain (formateurs, enseignants, chercheurs, experts et spécialistes en éducation, acteurs et animateurs communautaires…).
Il demeure donc essentiel d’optimiser ces ressources afin d´engager une réforme structurelle profonde pour bâtir un système éducatif arrimé au Référentiel Vision Sénégal 2050 et conforme à nos réalités locales et nos valeurs endogènes.
Mobiliser le capital primitif pour repenser l´éducation
D´abord, il est urgent de moderniser les infrastructures et les équipements scolaires en réhabilitant et en construisant des établissements éducatifs et des daaras adaptés aux conditions ou aléas climatiques et aux besoins locaux, avec en amont une intégration effective des technologies éducatives pour juguler la fracture numérique (tablettes, plateformes d’e-learning, tableau digital interactif…) et un renforcement des espaces d’apprentissage communautaires dans les zones rurales et périurbaines pour combattre plus efficacement l´analphabétisme des jeunes et des adultes.
Ensuite, il faudrait augmenter considérablement l´investissement dans la formation et la revalorisation de la fonction enseignante pour améliorer leurs conditions professionnelles et rémunératives afin d´attirer, de motiver et de fidéliser les talents, renforcer leurs aptitudes pédagogiques avec un bon dispositif de formation continue et des méthodes innovantes adaptées aux besoins des apprenants, et encourager la recherche en sciences de l’éducation pour soumettre l’enseignement aux exigences du monde actuel.
Enfin, avec le processus de la réforme des curricula qui est au cœur des préoccupations, il demeure fondamental de réviser les contenus et pratiques pédagogiques, de les adapter aux réalités socio-économiques et culturelles du Sénégal et d´intégrer les compétences liées aux défis du XXIe siècle, tout en promouvant une éducation inclusive et équitable, et en accordant une place de choix à nos langues nationales.
Il s´agit également de stabiliser et de consolider l’éducation aux valeurs citoyennes et éco-citoyennes, l´éducation à l’entrepreneuriat et au numérique, et l’enseignement technico-professionnel pour une meilleure adéquation formation/emploi.
Par ailleurs, la mise en place d´une «gouvernance ouverte» c´est-à-dire participative, inclusive et transparente, basée sur les principes du New Public Management, consisterait à décloisonner, déconcentrer/décentraliser la gestion du système éducatif pour responsabiliser les parents d´élèves, les enseignants, le secteur privé, les collectivités territoriales et les communautés afin de les impliquer davantage dans les activités péri et parascolaires et dans la prise de décisions stratégiques. Pour
plus de transparence, d´efficacité et d´efficience dans la gestion des institutions éducatives, il faudrait aussi «désagréger» le trop-plein de pouvoirs décisionnaires des IA/IEF et des chefs d`établissements scolaires qui constitue un réel frein au contrôle dans l´opérationnalisation des projets et programmes éducatifs.
Cette politique éducative ne saurait être parachevée sans la réactualisation du cadre législatif ou institutionnel, l´application sans complaisance de certaines dispositions de la loi d’orientation portant sur l’éducation et l´instauration d´un système de suivi-évaluation indépendant, avec des indicateurs bien définis pour mesurer l’impact réel et les performances des réformes entreprises. Cela aiderait à combattre la mercantilisation à outrance du système éducatif, notamment dans la région de Dakar où pullulent des centres scolaires (souvent sans personnel qualifié) qui s´octroient des libertés sans aucune base légale et échappent à tout contrôle des autorités étatiques.
Impliquer tous les acteurs économiques/sociaux pour le renforcement et la diversification des sources de financement et éviter le syndrome de «l´Eléphant Blanc»
L´implication des acteurs économiques et sociaux reste un maillon très important de la chaîne des réformes éducatives. Elle doit être axée sur le renforcement de l’investissement du secteur privé basé sur le développement des partenariats public privé (PPP) pour financer et entretenir les infrastructures et les équipements pédagogiques, tout en motivant les entreprises à investir dans la «formation bonifiée» et la capacitation des jeunes à travers des sessions et programmes pertinents et en jetant les bases d´une incitation fiscale pour celles qui soutiennent l’éducation. Dans la même perspective, la responsabilité sociétale d´entreprises devra être un pilier essentiel du dispositif de changement systémique de l´éducation.
La mobilisation de la diaspora, pour sa part, devra être matérialisée par la création d´un fonds national pour l’éducation et la formation avec les apports des sénégalais de l’extérieur. Aussi, serait-il opportun de mettre en place des programmes de jumelage d’établissements scolaires avec d’autres pays pour promouvoir l’innovation pédagogique et l’échange de bonnes pratiques et d’expériences réussies dans le cadre d´un bon benchmarking.
La société éducative à laquelle nous aspirons exige donc une éducation ne se limitant pas seulement à l’école, mais tendant plutôt vers une culture nationale accessible à toutes et à tous. Pour cela, la promotion de l’apprentissage en dehors du cadre scolaire, la valorisation de l’éducation non formelle et de la formation aux métiers pour une insertion professionnelle rapide et l´intégration de l’éducation aux politiques sanitaires, à la citoyenneté et au développement durable constituent des leviers fondamentaux sur lesquels on peut se baser.
En définitive, notre chère nation dispose d’un capital primitif riche et varié qui, s’il est efficacement mis à contribution, peut être un bon tremplin pour le bond définitif vers la refondation systémique de l’éducation. Ainsi, pour l´atteinte de l´ODD4, la modernisation des infrastructures scolaires, la revalorisation de la fonction enseignante, l´adaptation des contenus scolaires et la mise en place d´une dynamique inclusive et participative avec l´implication de toutes les parties prenantes (État, enseignants, syndicats, apprenants, secteur privé, société civile, diaspora, collectivités territoriales…) constituent les gages sûrs pour bâtir une véritable société éducative, où chaque sénégalais et chaque sénégalaise auront accès à des savoirs de qualité tout au long de sa vie, tout en ayant en bandoulière le fameux triptyque du Jubb, Jubbal, Jubbanti.
Dr. Madieumbe SENE
MONCAP/ Enseignement Sup./Education
Expert en Politiques et Réformes éducatives
Spécialiste des Droits humains, Paix et Développement
durable et en intervention socio-éducative
Chargé de la Coopération et des Partenariats
IGEF/MEN
drmadieumbesene@gmail.com
madieumbe.sene@education.sn
Article très instructif. Belle contribution. C’est ce qu’on attend des cadres.