« Une Victoire amère », Par Alioune DIOP

Après le référendum, prévu par le chef de l’Etat au mois de mai quelques jours auparavant et précipité de manière unilatérale, se confirment les prévisibles rejets qui allaient se manifester par un faible taux de participation, le boycott et le vote d’un « non » massif. Ainsi, en dépit de quelques bravades et triomphalismes servis par quelques tenants du pouvoir, il plane le goût d’une victoire amère.
Evidemment, au-delà du retour des monstres que sont l’achat des consciences, les pratiques frauduleuses et les intimidations, toutes les analyses s’accordent sur la recomposition politique en cours et la nécessité de changement. Toutefois, il n’est pas superflu d’interroger les véritables tendances à l’œuvre dans la société sénégalaise. C’est pourquoi, l’interpellation du projet référendaire n’autorise pas à se soustraire à l’analyse de son prétexte et de son contexte car l’évaluation de la réforme ne peut pas se passer des référentiels de départ. Dés lors, ne sont pas acceptables les œillères qui ont cherché à figer notre attention uniquement sur le texte de la réforme car il arrive souvent que le non-dit soit plus informatif que le textuel.
Il faut, tout de suite, rappeler que la revendication de séparation des pouvoirs est récurrente depuis le régime du Président SENGHOR. La plupart des partis politiques et des mouvements ont, à un moment ou un autre, indexé l’hypertrophie du pouvoir du Président de la république et l’asservissement des autres pouvoirs par l’exécutif. C’est dire que la nécessité de changer les institutions et d’établir l’équilibre des pouvoirs est une revendication consensuelle. Le fait que certains partis ou dirigeants s’en démarquent quand ils sont au pouvoir n’y change rien.
De toute façon, les constitutions adoptées au Sénégal depuis 1960 sont des copies de celle de la France et consacrent la domination étrangère. En effet, elles s’adossent sur la déclaration universelle des droits de l’homme de 1789 et d’autres marqueurs internationaux mais elles tournent le dos à l’histoire et la culture du Sénégal. C’est dire alors que la rupture avec la colonisation et l’aliénation culturelle qui en découle reste à réaliser notamment dans le domaine des institutions et des options théoriques. Et, on doit reconnaitre que ce qui est essentiel et universel dans le projet démocratique peut se pervertir s’il n’est pas bien adapté à la situation particulière. Or, le projet démocratique reste, par essence, centré sur l’expression libre et la délibération des citoyens sur les politiques publiques. La représentation et la délégation sont, tout juste, des pouvoirs dérivés qui tirent leur légitimité du peuple souverain. C’est pourquoi, les citoyens doivent être au cœur de l’élaboration, de la mise en œuvre et de l’évaluation des politiques publiques.
Aussi, le « présidentialisme » qui consacre l’hypertrophie du pouvoir du Président de la république constitue une question essentielle dans la refondation des institutions. D’ailleurs, tous les programmes des partis lorsqu’ils ne participent pas au pouvoir s’accorde sur cette contestation.
C’est dans cette perspective que les « Assises nationales » et la CNRI préconisaient la réduction du pouvoir du Président de la république et un meilleur équilibre des trois pouvoirs.
En plus, à cette distorsion des institutions, s’ajoute, comme marqueur du contexte le recul de la catégorie politique. En effet, l’affaissement de l’idéal chez la plupart des leaders politiques, les trahisons, le manque de respect de la parole, les enrichissements individuels aux dépens de l’Etat ont poussé beaucoup de citoyens à bouder les partis politiques et parfois à se refugier dans une indifférence. C’est pourquoi on se tromperait gravement en comptant la non-participation au référendum comme un consentement. Beaucoup de citoyens optent pour un rejet massif des partis politiques et de leurs activistes même s’ils en subissent les effets.
C’est, au demeurant, dans la volonté de remédiation de ces manques que des citoyens, des mouvements et des partis politiques, parmi lesquels le Président SALL et l’APR, avaient proclamé à travers la charte des « Assises nationales » : « nous nous engageons, de façon libre et solennelle dans notre comportement et notre action de citoyen et dans l’exercice de tout mandat et de toute responsabilité, à mettre en œuvre et à veiller au respect de la présente charte ». Un tel engagement n’est pas banal. Il explique, dans une large mesure, les cassures et les fissures qui s’opèrent et continueront de classer les forces politiques et sociales dans un camp ou un autre.
Il est, en effet, clair que le Président SALL et les dirigeants de la mouvance présidentielle ont décidé de renoncer à la plupart de leurs engagements. Ainsi, dans cette foulée, ils ont choisi de rompre le contrat de confiance avec les « Assises nationales » et ceux qui avaient contracté les mêmes engagements. Par conséquent, ils ne peuvent s’autoriser à expliquer le « non » par une détermination crypto-personnelle de certains contre le Président SALL.
Evidemment, certains d’entre eux, s’efforcent de montrer que la réforme actuelle est venue corriger la « constitution monarchique et autocritique » des précédents régimes. Cependant, il leur est difficile d’établir dans celle-ci une réduction du pouvoir du Président et un équilibre réel des pouvoirs. A la vérité, la constitution du Président SALL non seulement reste identique aux autres dans le fond mais elle est surtout la plus impopulaire de la séquence historique actuelle.
Il faut, de plus, rappeler que même dans la mouvance présidentielle certains dirigeants avaient affirmé qu’ils n’avaient pas étaient associés à la consultation préalable au projet référendaire. Et, en tout cas, l’arrogance et le mépris que le Président et ses conseillers avaient réservé aux travaux de la CNRI ne sont pas en phase avec le principe de la démocratie participative. On avait, en effet, tenté de les tourner en dérision.
En vérité, le est connu, le diagnostic est tracé, des propositions sont posées sur la table du Président et dans une certaine mesure elles sont la place publique.
Ainsi donc, alors que sa mission originelle était de doter le Sénégal d’une constitution réduisant le pouvoir excessif du Président de la république et assurant l’équilibre des pouvoirs, la réforme de 2016 se limiterait à la légalisation de petites réformes sans susciter une dynamique qui s’inspirerait de la devise du Sénégal. La montagne aurait-elle accouché d’une souris ? En tout cas, la mouvance présidentielle se glorifie et souhaite tourner la page. Toutefois, le problème pourrait être plus compliqué. Pourquoi le Président appelle-t-il au dialogue après avoir soumis la réforme au référendum ? Par quels engagements compte-t-il rassurer ceux qui doutent de sa parole ? En l’état, ses collaborateurs qui ont proclamé de manière péremptoire que le Président n’était pas lié par les engagements n’ont-ils pas rendu la situation délicate ?
Par ailleurs, les leaders qui avaient appelé et concentré un « non » dense ne sont-ils pas placés devant une terrible responsabilité ? Peuvent-ils, eux aussi, se contenter de nous tracer uniquement comme objectifs les législatifs de 2017 et la présidentielle de 2019 ?
Evidemment, le premier ministre Idrissa SECK nous proposerait une nouvelle constitution si DIEU lui prêtait les prérogatives. Et, de la même manière, certains dirigeants ont appelé à une assemblée constituante ou un mouvement constituant. D’autres encore préconisent une refondation des institutions. Et, s’ajoute, à ces projets, la préconisation des jeunes guides religieux qui ont mobilisé pour le « non », surtout à Touba et ses environs. Dès lors n’est –il pas obligatoire pour tous ces leaders de favoriser, ici et maintenant, une dynamique de réflexion collective à propos d’une nouvelle constitution et des institutions afin de mieux préciser les alternatives ?
Dans la perspective d’un procès constituant, les querelles sémantiques pourraient être minorées car celui-ci devrait être conduit avec rigueur et surtout en privilégiant les délibérations des populations. Il faut, dans tous les cas, verser dans les matériaux de l’élaboration tous les travaux qui existent sur cette question : « Assises nationales », CNRI, constitution du PVD de Serigne Modou Kara MBACKE, travaux scientifiques, etc.
De plus, il faut s’entendre sur le fait que rien ne s’imposerait sans se justifier et sans conquérir sa légitimité devant les délibérations des populations. C’est la voie pour aboutir à un consensus large.
Aussi, ne faut-il pas interpeller la conscience des leaders qui avaient appelé au « non » ? Ont-ils, le droit de trahir le mouvement suscité pour la quête de leurs propres intérêts ou de privilèges ?
Et cette demande est beaucoup plus judicieuse à l’endroit des jeunes guides religieux dont la contribution à la densification du « non » est énorme. En effet, certains expliquent leur intervention par des privilèges qu’ils auraient perdus. C’est pourquoi en vue de renverser la tendance on voudrait leur proposer d’abord la carotte en ayant le bâton derrière le dos. En tout cas la plus petite défaillance de leur part produirait incontestablement un recul profond dans la quête de la désaliénation culturelle.
Même si on admet que c’est une démarche unilatérale qui a convoqué le référendum du 20 mars 2016, force est d’accepter que celui-ci a consacré la légalisation de quelques réformes de la constitution. Evidemment, alors qu’on s’attendait à une nouvelle constitution, le Président et ses conseillers ont, très vite, écarté nos illusions en précisant qu’il s’agissait tout juste d’opérer quelques changements sans changer de constitution.
Le déficit dans le partage, adossé au recul de l’engagement politique, n’a pas favorisé une large adhésion des populations à l’actualisation de la constitution. Du reste, celle-ci a été effectuée dans des conditions que de nombreux citoyens ont dénoncé comme un reniement des engagements et une banalisation de la parole et des valeurs culturelles. C’est aussi ce qui a poussé des citoyens, des acteurs politiques et des associations à appeler et réussir à lui opposer le vote d’un « non » assez dense.
Assurément, le chef de l’Etat a convié au dialogue mais celui est rendu difficile par les préjugés défavorables qu’il a suscité en renonçant à certains de ses engagements surtout la réduction du mandat en cours. C’est pourquoi s’imposent quelques interrogations. En effet, fera-t-on preuve de suffisamment d’humilité du côté de la mouvance présidentielle pour que ce dialogue puisse prospérer ? De même, les leaders qui ont construit le « non » seront-ils dans les dispositions adéquates pour proposer des alternatives orientées par l’histoire et la culture du Sénégal et de l’Afrique ?
Alioune DIOP
badadiop@hotmail.com
Tél 76 680 08 23
toujours politique………
Vraiment yena soff oui non diekhna dotoul actualité