« C’est une vérité de tous les temps que ce ne sont pas les héros qui font l’histoire, mais l’histoire qui fait ces héros. »
Le vendredi 28 juin 2024 restera gravé dans les annales de l’histoire de Mayumba et de Touba. La ville sainte de Touba a été témoin d’une cérémonie empreinte d’émotion et de symbolisme, marquant un tournant majeur dans le renforcement de l’axe de tourisme religieux entre le Sénégal et le Gabon.
Le Maire de Mayumba, accompagné du Ministre du Tourisme gabonais, Pascal Ogowe Sifflin, de l’Archevêque de l’Église catholique et de l’Évêque local, a remis les clés de la ville à Serigne Mountakha ainsi que les plans de la mosquée construite à l’endroit où Serigne Touba, Cheikh Ahmadou Bamba, fut exilé. Cet événement symbolise non seulement la reconnaissance du courage et de la foi inébranlable du Cheikh, mais aussi l’unité interreligieuse et la coopération entre deux nations africaines.
L’histoire de Cheikh Ahmadou Bamba au Gabon est celle d’un homme de foi et d’héroïsme. Arrêté le 10 août 1895 à Djewol, au Sénégal, par l’administration coloniale française, il fut exilé à Mayumba, au sud du Gabon.
Cheikh Ahmadou Bamba embarqua finalement le samedi 21 septembre 1895 à bord du paquebot « Ville de Pernambouc » sur lequel il affronta d’autres épreuves, notamment l’hostilité affichée de l’équipage et la ruée d’un taureau déchaîné vers sa sainte personne dont il fut miraculeusement préservé.
Pendant ses sept années d’incarcération, Cheikh Ahmadou Bamba dut faire face à de nombreuses épreuves. Dès son arrivée, il fut débarqué du paquebot Ville-de-Pernambouc et transféré dans une base de l’armée coloniale proche de l’actuelle place de l’Indépendance. Par la suite, il fut envoyé à la Montagne Sainte de Libreville, un lieu où les colons tentèrent de briser sa foi par des atrocités et des humiliations incessantes.
Une fois aux îles, le Cheikh, selon ses propres dires, fut sujet à toutes sortes d’exactions et de brimades tout au long de ses séjours successifs dans la jungle de Mayumba, à Lambaréné et ailleurs. La moiteur, le grand nombre de maladies tropicales mais surtout la solitude caractérisant ces lieux firent de ces années les plus éprouvantes de l’existence du Cheikh.
Cet isolement est perceptible dans nombre de ses écrits où il exprime avec humilité tout son attachement, sa confiance et sa reconnaissance au TRES-MAJESTUEUX, de même que sa résolution inébranlable à rester « l’esclave de DIEU et le Serviteur du Prophète (PSL). »
Malgré plusieurs tentatives de l’administration coloniale de mettre fin à ses jours, il survécut miraculeusement, relatant lui-même ces événements.
Les écrits de Serigne Touba au Gabon sont également empreints de mystère et de profondeur spirituelle. Une fois, un Mauritanien lui avait demandé de lui expliquer la dimension réelle de ce qu’il avait écrit pendant toute la durée de sa déportation. Il lui répondit :
« Ce n’est pas facile de l’expliquer, car il y a une partie que Mon Créateur m’a ordonné de la mettre dans l’océan. Je l’ai noyée dedans. Il y a une autre partie, Il m’a ordonné de la mettre sous terre. Je l’ai enfouie. Il y a encore une partie, Il m’a ordonné de l’élever vers le Trône et le Siège. Je l’ai élevée et elle se trouve là-bas. Ce que je peux te dire en résumé s’agissant de ce que j’ai ramené et que les gens peuvent voir, l’ensemble dépasse la capacité que peut transporter un chameau pour se déplacer. »
N’ayant pour la plupart pour témoins que la Nature dans cet exil périlleux, il eut cette poignante profession : « Ô Océan de Mayumba ! Témoigne que je suis l’esclave de DIEU, Celui qui pardonne les péchés, et que je demeure le Serviteur du Prophète Élu (PSL) ! Témoigne qu’en tant qu’ami intime du Prophète, celui qui comble d’honneurs ses amis, je rejette toute forme d’association à DIEU et n’adore que Lui seul ! »
Ces épreuves et autres privations que le Cheikh s’infligeait volontairement pour la FACE de DIEU furent parfois observées par les habitants primitifs de ces contrées ou des indigènes originaires du Sénégal, dont certains lui manifestèrent leur estime ou même lui firent allégeance. Le Cheikh rencontra également, durant son exil, des personnalités marquantes de l’époque telles que le futur premier député d’Afrique noire, Blaise Diagne, alors fonctionnaire des Douanes.
Il entretenait aussi une correspondance avec l’illustre résistant guinéen, l’Almamy Samory Touré, déporté depuis 1899 à Njolé, au Gabon, où il trouva la mort le 2 juin 1900. Il est rapporté que le Cheikh effectua, lorsqu’il apprit la nouvelle, la prière des morts à son intention depuis Lambaréné, conformément à la Sunna prophétique.
Fort de toute cette histoire poignante, le Khalife général des Mourides, Serigne Mountakha Mbacké, dans son discours de ce vendredi, a réaffirmé l’importance de Mayumba dans l’histoire de la Mouridiya, rappelant que c’est sur cette terre que Serigne Touba a été auréolé de gloire par son Créateur.
Le 14 juillet 2024, une caravane d’une centaine de Mourides quittera Dakar en direction de Libreville pour commémorer la bravoure de Cheikh Ahmadou Bamba et son inébranlable foi. Les miracles qu’il a accomplis continuent d’inspirer des générations, et aujourd’hui, Mayumba, avec sa nouvelle mosquée, se dresse comme un témoignage vivant de cette histoire héroïque, prête à accueillir les pèlerins du monde entier.
En célébrant cet héritage, les deux nations ont renforcé leurs liens culturels et spirituels, démontrant ainsi que l’histoire peut être un puissant moteur de développement touristique et de rapprochement entre les peuples.
Mohamadou Manel FALL
Directeur de la Promotion
Touristique au Ministère
du Tourisme et de l’Artisanat