Il y a des images qui disent tout d’un naufrage politique. Le sommet de l’Alliance des États du Sahel (AES) en fait partie. Une grand-messe militaire, soigneusement mise en scène, où des chefs de juntes se congratulent entre eux pendant que leurs peuples s’enfoncent dans l’insécurité, la pauvreté et l’isolement diplomatique.
Un sommet de trop, une clownerie de plus, dans une Afrique de l’Ouest déjà lourdement pénalisée par l’instabilité politique. Les régimes fantoches à la solde Moscou paradent dans un ridicule affligeant pendant que les djihadistes avancent et les civils sont victimes de sévices, de meurtres et de vol de leur bétail.
L’Afrique de l’Ouest est aujourd’hui la seule région du continent où plus d’un tiers des États sont gouvernés par des militaires. Ce chiffre, à lui seul, devrait alerter toutes les consciences. Au lieu de cela, certains choisissent de l’applaudir, de le justifier, voire de le glorifier au nom d’un souverainisme mal compris. Un souverainisme à géométrie variable : car sous le prétexte de rupture avec le camp occidental, les juntes de l’AES se soumettent aux injonctions d’une puissance étrangère, la Russie. Comme si l’échec démocratique pouvait devenir une idéologie. Comme si la prise du pouvoir par la force était une alternative crédible au suffrage universel.
Le sommet de l’AES n’est pas un acte de courage politique. C’est l’aveu d’une faillite. Faillite de dirigeants incapables de proposer un horizon démocratique clair. Faillite de régimes qui, après avoir promis sécurité et dignité, offrent davantage de propagande que de résultats. Faillite, enfin, d’une vision qui confond autorité et autoritarisme, souveraineté et isolement, fermeté et brutalité.
Derrière les discours martiaux et les déclarations enflammées contre des ennemis extérieurs soigneusement désignés, une réalité implacable s’impose : l’insécurité progresse, les économies s’asphyxient, les libertés reculent et les populations payent le prix fort. Les juntes parlent au nom du peuple, mais gouvernent sans lui. Elles prétendent rompre avec les anciennes dépendances, mais recréent d’autres formes de soumission, plus opaques, plus dangereuses encore.
Ce qui se joue au sein de l’AES n’est pas une renaissance africaine, contrairement à ce que clament certains relais complaisants, maillons de la propagande savamment orchestrée. C’est une normalisation du coup d’État, une banalisation de l’illégitimité, une tentative de transformer l’exception en règle. Un projet fondé non pas sur des institutions solides, mais sur des hommes en uniforme, convaincus que la force des armes peut remplacer la force du droit.
L’Afrique n’a jamais manqué de militaires. Elle manque de dirigeants visionnaires, de gouvernances responsables et de projets économiques structurants. Aucun sommet militaire, aussi bruyant soit-il, ne résoudra les problèmes profonds du Sahel : le terrorisme, la pauvreté, la fracture sociale, la jeunesse abandonnée. Ces défis exigent de la légitimité, du dialogue, de la compétence et de la transparence — tout ce que les régimes issus de putsch peinent à incarner.
Soutenir aveuglément l’AES au nom d’un anti-impérialisme de façade, c’est faire preuve d’une dangereuse paresse intellectuelle. Critiquer les dérives de l’ordre international ne justifie en rien la confiscation du pouvoir par des militaires. L’Afrique ne se libérera pas en remplaçant des présidents élus par des capitaines autoproclamés.
Le sommet de l’AES restera comme le symbole d’un moment de confusion politique où l’échec s’est maquillé en résistance et où la médiocrité s’est donnée des airs de révolution. Il est temps de le dire clairement : l’avenir de l’Afrique de l’Ouest ne se construira ni dans les casernes ni dans les sommets de l’entre-soi militaire, mais dans le retour courageux à la légitimité démocratique et à la primauté du civil.
Saer Diop, Journaliste






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