Sénégal : Un peuple friand de dictature ? (Par Alassane K. KITANE)*

Quand on ne progresse pas on recule même si on est à la même place.

* Du temps de Senghor, ce fut : « Senghor le tyran néocolonialiste » !
* Avant-hier, c’était : « Abdou Diouf dictateur » !
* Hier, c’était : Wade dictateur
* Aujourd’hui c’est : « Macky Sall dictateur » !

Et nous le faisons jusque dans les pays occidentaux qui ont connu tous des régimes corrompus et autoritaires mais qui ne vont jamais accepter que leurs présidents soient dénoncés et humiliés en terre étrangère. Nous combattons des chefs d’Etat accusés de trainer le complexe de la France et pourtant nous entretenons ce même complexe par les actes que nous posons en les combattant.

Mais le pire est que nous ne savons pas qui nous sommes ni même ce que nous voulons. C’est quoi ce peuple qui ne sait que se choisir des dictateurs ? Sommes-nous aveugles ou un peuple masochiste au point de ne faire que de mauvais choix quand il s’agit de nous chercher des gouvernants ?

Il y a quelque chose qui ne marche pas, et il nous faut interroger notre rapport à la démocratie et notre conception du pouvoir pour tenter de comprendre pourquoi ça coince. Qu’est-ce que le pouvoir politique dans une société où le clanisme, le clientélisme, le goût de l’argent facile règnent en maitre, sinon un outil (ou machin politique) pour récompenser ou pour punir ? Il suffit de regarder la scène politique pour s’en convaincre : on ne s’oppose que pour des raisons purement personnelles ou mercantiles ; on ne cherche le pouvoir que pour le pouvoir. Comment comprendre que des gens se distribuent de futures fonctions politiques alors qu’ils sont encore dans l’opposition ? Comment comprendre qu’un gouvernement élu sur la base d’une rupture avec la mal gouvernance fasse de celle-ci le principal levier de sa gouvernance ?

Nous refusons toujours de nous remettre en cause, d’assumer nos responsabilités et de cesser par conséquent de nous chercher des boucs émissaires. Si nous produisons autant de dictateurs, c’est probablement parce que dans l’ADN de notre culture politique nous sommes enclins à nous chercher des maîtres en lieu et place de serviteurs, à transformer nos serviteurs en seigneurs surhumains. Le problème, c’est nous, arrêtons de perturber la quiétude des Français : Macky Sall et ses prédécesseurs sont nos fils.

Il n’y a nulle part au monde un peuple qui aime autant le mensonge, la corruption, la flagornerie, la vengeance, la grégarité ; un peuple qui sait, avec autant de facilité et de dévergondage, créer des mythes, transformer des chats en lions, des pervers en saints, des cafards en dinosaures ; un peuple qui aime le spectacle et le folklore même dans la spiritualité, qui préfère vénérer ceux qui lui mentent et agonir ceux qui ont l’outrecuidance de lui dire la vérité.

La question à se poser est de savoir si ce n’est pas le peuple lui-même qui est dictateur ou qui aime la dictature. Dans le pouvoir comme dans l’opposition, le chef de parti se comporte en monarque infaillible. Or il n’y a pas de raison qu’on ne devienne pas autocrate quand on manie et manipule un parti à son image. Les partis politiques sénégalais en sont réduits à n’être des effigies à leur leader ou des affiquets sur le costume de leur personnage hyper reluisant. Un parti politique est déjà une machine à produire de la scission, du manichéisme, du favoritisme, la victoire de l’intérêt de parti sur celui général : il n’y a qu’à observer la façon dont les uns et les autres interprètent l’actualité et choisissent leur camp, non en fonction de la vérité, mais de leurs intérêts ou sentiments pour le constater.

Le « divin » Platon, à travers le mythe de Gygès (République, Livre II, 359b6-360b2) nous donne une autopsie du mal qui gangrène notre démocratie. Platon nous demande d’imaginer un anneau qui procurerait à celui qui le porte le don d’invisibilité :

« Supposons maintenant deux anneaux comme celui-là, mettons l’un au doigt du juste, l’autre au doigt de l’injuste ; selon toute apparence, nous ne trouverons aucun homme d’une trempe assez forte pour rester fidèle à la justice et résister à la tentation de s’emparer du bien d’autrui, alors qu’il pourrait impunément prendre au marché ce qu’il voudrait, entrer dans les maisons (c) pour s’accoupler à qui lui plairait, tuer les uns, briser les fers des autres, en un mot être maître de tout faire comme un dieu parmi les hommes. En cela, rien ne le distinguerait du méchant, et ils tendraient tous deux au même but, et l’on pourrait voir là une grande preuve qu’on n’est pas juste par choix, mais par contrainte, vu qu’on ne regarde pas la justice comme un bien individuel, puisque partout où l’on croit pouvoir être injuste, on ne s’en fait pas faute. »

S’il est vrai que Platon, à travers le personnage de Glaucon, apparait ici très pessimiste, il nous démontre la nécessité d’être toujours très circonspects sur la vertu réelle des prétendants à la vertu et sur la sincérité de leur souci de justice. Kant a dit que le bois dont est fait l’homme est tellement courbe qu’on ne peut espérer y tailler quelque chose de tout à fait droit sans le casser ! Mais justement, c’est ce qui doit nous motiver à toujours légiférer davantage et à nous employer à rendre les lois plus sages. L’anneau pourrait ici désigner de façon allégorique le pouvoir dans son acception le plus large (argent, media, justice, exécutif, législatif, spirituel, etc.). Sommes-nous capables de nous refuser à nous-mêmes ce que nous refusons aux autres ? Sommes-nous capables de juger les choses en dehors de toute posture partisane ?

* Par Alassane K. KITANE

2 COMMENTAIRES
  • Deries

    Bravo pour cet article et merci pour cette « introspection philosophique ».

  • Africainencolere

    Friands de dictature,de mensonges,de contre vérités,de faux savants ,d’opportunistes politiques,d’intellectuels opportunistes et mendiants d’honneurs …

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