Pour l’Afrique, il est temps de choisir un chemin géopolitique*

Pour l’Afrique, il est temps de choisir un chemin géopolitique*

Pendant que les consciences africaines continuent de se déchirer sur la mémoire coloniale et sur les blessures encore ouvertes du passé, de nouveaux acteurs étendent silencieusement leur emprise sur le continent, avec froideur et cynisme. Le débat sur la présence française en Afrique, légitime par bien des aspects, tourne à vide alors que la Russie, la Chine et la Turquie redessinent, à marche forcée, la carte des influences africaines alors que personne ne leur oppose le fameux mot « Dégage ».

Il faut oser le dire clairement : ces puissances non-occidentales, que certains présentent naïvement comme des alternatives vertueuses, se révèlent aujourd’hui infiniment plus dangereuses pour la souveraineté africaine que ne l’est une France désenchantée et sur la défensive.

Russie : Le nouveau colonialisme masqué sous les oripeaux de l’anti-impérialisme

La capture récente d’un étudiant sénégalais, enrôlé dans les rangs russes et fait prisonnier par l’armée ukrainienne, n’est pas un accident de parcours. C’est l’aboutissement d’une stratégie méthodique d’instrumentalisation de la misère et de la précarité qui sévissent chez de nombreux jeunes africains.

Parti pour étudier en Russie, ce jeune homme, comme d’autres, s’est retrouvé happé par la machine de guerre russe. Sous couvert de contrats de “volontariat”, d’offres de régularisation ou de promesses de naturalisation, des étudiants étrangers, souvent sans moyens, sont enrôlés dans des unités de combat ou dans des sociétés paramilitaires. Le deal est clair : se battre pour Moscou en échange d’une hypothétique survie sociale.

Loin des projecteurs, la Russie exploite ainsi une main-d’œuvre étrangère pour ses conflits extérieurs, tout en projetant à l’international l’image cynique d’une grande puissance “alliée des peuples opprimés”.

Mais Moscou ne s’arrête pas aux champs de bataille. Sa guerre en Afrique est aussi une guerre de l’information et de propagande avec une toile de journalistes, blogueurs et activistes africains sympathisants, souvent financés ou “encadrés” par des sociétés d’influence. Fake news, campagnes de désinformation, théories du complot anti-occidental, glorification des “amis russes” contre les “ennemis occidentaux” : tout est bon pour brouiller la lecture des enjeux réels et façonner une certaine opinion publique.

Certaines manifestations anti-françaises récentes, certaines tribunes dénonçant “l’impérialisme occidental” tout en louant “l’amitié russe”, portent ainsi la marque discrète mais efficace des officines d’influence moscovites. On flatte la mémoire coloniale pour mieux installer une nouvelle dépendance, plus subtile, mais tout aussi pernicieuse.

Chine : la soie étouffe plus sûrement que le fer

La Chine, elle, pratique une domination plus insidieuse, mais tout aussi implacable. Sous le doux slogan de la “coopération gagnant-gagnant”, Pékin a tissé sur l’Afrique une immense toile de dette, de dépendance technologique et d’influence économique.

Des routes aux barrages, des ports aux réseaux numériques, chaque chantier “offert” par la Chine enferme un peu plus les nations africaines dans une spirale de créances inextinguibles. À Djibouti, Pékin possède déjà un port stratégique ; au Kenya et en Zambie, les dettes publiques menacent de céder à la mainmise étrangère sur des infrastructures vitales. Le piège est d’autant plus redoutable qu’il est silencieux : pas d’armes, pas d’ultimatums, juste des contrats aux clauses léonines que des dirigeants complaisants ou naïfs signent sans mesurer les conséquences. À terme, la Chine n’a pas besoin d’envahir l’Afrique : elle l’achète morceau par morceau.

Turquie : le néo-ottomanisme en marche

La Turquie d’Erdogan, enfin, joue une partition plus complexe, mais tout aussi ambitieuse. Dans de nombreux pays africains, elle multiplie les écoles, les fondations, les mosquées et les accords militaires. Derrière cette stratégie d’influence religieuse et éducative, se dessine un projet géopolitique clair : faire de l’Afrique une extension de son orbite culturelle et économique. De Dakar à Mogadiscio, Ankara investit dans les infrastructures, forme des militaires, finance des associations caritatives — mais aussi exporte ses modèles autoritaires et renforce les réseaux islamiques conservateurs, parfois au détriment de la cohésion nationale. La Turquie ne vient pas en amie innocente ; elle vient pour prolonger un rêve d’empire.

L’heure du choix : pion ou stratège ?

Face à ces dynamiques, l’Afrique continue souvent de combattre les fantômes du passé au lieu d’affronter les menaces bien réelles de l’avenir.

La France, avec toutes ses erreurs et ses maladresses historiques, est aujourd’hui un acteur affaibli, surveillé, contesté, parfois même expulsé. Ses bases ferment, ses entreprises reculent. Le danger ne vient plus du vieux colonisateur : il vient de puissances affamées, sans complexe, prêtes à rayer la souveraineté africaine pour asseoir leur domination sur un continent perçu comme un territoire vierge, ouvert à toutes les prédations.

Dans tout ce magma, le temps de la naïveté est révolu.L’Afrique n’a pas vocation à changer de maître, mais à devenir son propre maître. Cela passe par une vigilance stratégique accrue, par un examen rigoureux de chaque partenariat, par un refus clair d’aliéner son avenir en échange d’avantages immédiats. Il ne s’agit plus de s’indigner, ni même de protester : il s’agit de construire une souveraineté réelle, lucide, exigeante. La seule alternative au néo-colonialisme moderne est un continent qui ose penser et défendre ses propres intérêts sans illusions, ni rancunes, ni nostalgies. Être un pion dans les jeux d’autrui, ou devenir un joueur majeur du monde multipolaire qui s’installe : voilà le véritable dilemme africain.

Il est temps de choisir, et de choisir vite.

Mamadou CISSE*

Journaliste-spécialiste des idées populistes

1 COMMENTAIRES
  • Alpha Nd

    Tant que nous sommes divisés en micro états, comment aspirer à devenir un pion souverain et majeur sur l’échiquier économique et politique dans ce monde. Entre idéalisme et pragmatisme, il faut choisir

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