Le conflit politique qui oppose l’Alliance pour la République (APR) et la coalition Jamm ak Njariñ est un des moments clés des tensions internes qui caractérisent les alliances politiques sénégalaises à l’approche des élections législatives du 17 novembre 2024. À la suite de la publication des listes de candidats, plusieurs désaccords ont émergé, principalement autour des investitures, mettant en lumière des fractures au sein de la classe politique sénégalaise.
Un conflit sur fond de désaccords liés aux investitures
Le point de départ de ce conflit réside dans la publication des listes électorales pour les législatives. L’APR, l’ancien parti au pouvoir dirigé par le président Macky Sall, a mis en place une commission d’évaluation pour examiner les processus de négociation et les investitures dans la coalition Takku Wallu Sénégal, ainsi que dans les inter-coalitions d’opposition. Cette analyse a révélé des dysfonctionnements, notamment dans plusieurs départements, et a mené à une dénonciation publique de la coalition Jamm ak Njariñ, dirigée par l’ancien Premier ministre Amadou Ba.
Selon un communiqué officiel de l’APR, l’examen des investitures a mis en lumière un « manque de sincérité » et une « tricherie » dans la démarche adoptée par la coalition Jamm ak Njariñ. L’APR accuse cette coalition d’avoir engagé des manœuvres qualifiées de « perfides », en particulier à Guédiawaye, une ville emblématique politiquement. C’est dans ce contexte que l’APR a rompu son alliance avec Jamm ak Njariñ dans les 46 départements du pays.
L’affaire Néné Fatoumata Tall : un symbole de la rupture
L’un des points cruciaux de cette rupture est l’investiture de Néné Fatoumata Tall, une figure de l’APR, sur la liste de Jamm ak Njariñ à Guédiawaye. Son association avec cette coalition a été perçue comme une trahison par l’APR, qui considère cette candidature comme une entorse à ses principes et à ses engagements politiques.
Mme Tall, colistière d’Aliou Sall, frère du président Macky Sall, s’est retrouvée malgré elle au cœur de ce conflit. L’APR, dans son communiqué, a annoncé le retrait immédiat de son nom de la liste de Jamm ak Njariñ pour le département de Guédiawaye. Cette décision a également conduit à un appel au rejet systématique de cette liste par les militants de l’APR. Ce geste symbolique vise non seulement à préserver l’unité du parti au pouvoir, mais aussi à affirmer son rejet des pratiques qu’il juge contraires à l’éthique politique.
La réaction de l’APR : recentrer ses forces sur Takku Wallu Sénégal
Face à cette crise, l’APR a décidé de concentrer ses efforts sur sa propre coalition, Takku Wallu Sénégal, et a appelé ses militants à se focaliser exclusivement sur cette liste nationale pour les législatives du 17 novembre. L’APR souhaite ainsi éviter toute dispersion des votes et renforcer son positionnement face à ses adversaires politiques. Le parti ambitionne de rassembler ses forces autour d’un projet commun, consolidé par cette rupture d’alliance, en espérant mobiliser ses bases de manière massive.
Cependant, cette exclusion de Néné Fatoumata Tall pose des questions légales. Selon Ndiaga Sylla, spécialiste en droit électoral, une fois une liste validée, il est juridiquement impossible de retirer un candidat, sauf en cas d’inéligibilité. Si cette situation se présente, le candidat peut être remplacé sans invalider toute la liste, mais cela ne semble pas être le cas pour Mme Tall. Cette règle électorale soulève donc des incertitudes sur l’applicabilité des décisions prises par l’APR concernant son retrait de la liste de Jamm ak Njariñ.
Un conflit symptomatique des rivalités internes
Ce conflit entre l’APR et Jamm ak Njariñ est révélateur de luttes d’influence et de pouvoir qui traversent le paysage politique sénégalais à l’approche des législatives. La coalition dirigée par Amadou Ba, ancien Premier ministre sous Macky Sall, est perçue comme un rival sérieux dans ces élections. En conséquence, la fracture entre ces deux entités, qui étaient auparavant alliées, met en évidence les enjeux de repositionnement stratégique des différents acteurs politiques.
L’APR, par son action, semble vouloir consolider son assise et éviter toute ambiguïté quant à son leadership au sein de la coalition Takku Wallu Sénégal. L’objectif est d’éviter que la situation à Guédiawaye, où un de ses membres est présent sur une liste d’opposition, ne devienne un précédent susceptible d’affaiblir la dynamique électorale du parti.
Par ailleurs, le rôle de personnalités comme Aliou Sall dans cette affaire montre que des enjeux locaux viennent également alimenter les tensions nationales. Les alliances locales, souvent fragiles, peuvent avoir des répercussions sur l’équilibre politique global et sur les résultats électoraux au niveau national.
Quelles conséquences pour les élections législatives ?
La rupture entre l’APR et Jamm ak Njariñ pourrait avoir plusieurs implications pour les élections législatives à venir. D’une part, cette situation risque de diviser l’électorat des deux formations politiques, affaiblissant ainsi leurs chances respectives de victoire dans certaines circonscriptions. D’autre part, la focalisation de l’APR sur Takku Wallu Sénégal pourrait permettre au parti de renforcer son soutien dans d’autres départements, en capitalisant sur l’appel à l’unité lancé à ses militants.
Toutefois, la question de la candidature de Néné Fatoumata Tall demeure un point sensible, tant sur le plan juridique que politique. Si l’APR ne parvient pas à obtenir son retrait effectif de la liste de Jamm ak Njariñ, cela pourrait engendrer des tensions supplémentaires au sein du parti, ou être interprété comme un signe de faiblesse face à une opposition en pleine réorganisation.