Avec la volonté de l’État de découper le territoire national en pôles-territoires, il conviendrait de procéder à la réforme de l’Acte III de la décentralisation afin d’évoluer vers une nouvelle loi sur la décentralisation, laquelle devrait apporter de nouvelles approches efficaces, corriger les incohérences et améliorer la lisibilité organisationnelle, en vue de réussir la territorialisation des politiques publiques. Dans cette perspective, il apparaît nécessaire de mener une réflexion approfondie et inclusive sur le statut juridico-administratif et sur les compétences à accorder aux pôles ainsi que sur leurs mécanismes d’interaction avec les collectivités territoriales.
Lors du lancement de Dakar Métropole 2050, il a été évoqué qu’aucune décision définitive n’avait encore été prise concernant le modèle de gouvernance ni le statut à accorder aux pôles-territoires. Cela laisse supposer en conséquence que la réflexion sur le sujet est ouverte et que rien n’est encore définitivement scellé. Toutefois, dans le discours du Premier ministre, on peut relever qu’à l’état actuel de la réflexion, il n’a pas été décidé d’ériger les pôles-territoires en collectivités territoriales, et qu’il y aurait déjà certaines propositions qui préconisent la mise en place des pôles sous forme d’établissements publics territoriaux (EPT). Si l’on se réfère au modèle de la France, un EPT n’est rien d’autre qu’une entité publique regroupant plusieurs communes dans une structure de coopération intercommunale, dotée de compétences clairement définies. C’est une option qui mérite une analyse approfondie, sans pour autant copier intégralement le modèle français.
A ce titre, il convient d’interpeller l’État, et en particulier le Ministère de l’Urbanisme, des Collectivités territoriales et de l’Aménagement des Territoires (MUCTAT), afin qu’il prenne le temps nécessaire pour mûrir la réflexion et penser suffisamment l’organisation administrative des pôles. Dans ce cadre, il faudra réfléchir à fond sur leurs compétences, leurs domaines d’action et sur leurs règles de fonctionnement, lesquels devront être clairement définis. L’objectif est d’éviter que le pays ne s’engage dans une nouvelle structuration administrative susceptible de générer des blocages et de freiner les actions de développement économique et social.
Force est de constater que la configuration spatiale actuelle des pôles reprend presque intégralement le découpage administratif mis en place au lendemain de l’indépendance, qui divisait le territoire sénégalais en sept régions (Sine Saloum, Cap Vert, Sénégal oriental, région du Fleuve, Casamance, Diourbel et Thiès.). La seule différence réside dans l’ancienne région du Fleuve, scindée en deux pôles distincts (Nord et Nord-Est), tandis que les autres pôles correspondent globalement aux régions créées durant les premières années de l’indépendance.
De ce fait, l’érection des pôles en collectivités territoriales reviendrait pratiquement à réintroduire un nouvel échelon administratif, similaire à la région supprimée en 2013 (Loi n° 2013-10 du 28 décembre 2013). En effet, dans le contexte senegalais, la région comme collectivité territoriale a déjà montré ses limites, n’ayant pas permis d’atteindre les objectifs de développement escomptés. Puisque les pôles doivent principalement avoir une vocation économique (d’après la “Vision Sénégal 2050”), il convient d’éviter d’en faire un nouvel échelon administratif supplémentaire. Il n’est donc pas impératif d’en faire des collectivités territoriales.
Dans l’une de nos publications du 21 avril 2025, intitulée « Supprimer le département et renforcer les communes puis créer une structure intercommunale dans chaque pôle économique », nous avions déjà émis la proposition de regrouper les communes au sein des pôles dans une structure intercommunale. En outre, nous avions suggéré de se départir des départements en tant que collectivités territoriales, tout en maintenant cet échelon comme structure administrative placée sous l’autorité du préfet. Qui plus est, dans le cadre de la nouvelle réforme, il convient de restructurer et de supprimer ou fusionner les communes dépourvues de viabilité économique et de cohérence territoriale en vue de mutualiser les ressources et les moyens. Toutefois, avec les compétences dont elles disposent actuellement, les communes éprouvent d’énormes difficultés pour accomplir intégralement leur mission. Par conséquent, il ne serait pas souhaitable de leur confier d’autres domaines de compétence qui ne feraient qu’alourdir leur tâche.
En définitive, nous préconisons une approche consistant à organiser les pôles en structures intercommunales, chargées de coordonner les projets d’envergure d’intérêt intercommunal, relatifs à l’aménagement du périmètre territorial, à l’urbanisation, à la construction d’infrastructures routières, hospitalières et industrielles, ainsi qu’aux projets d’ordre économique. Ces structures vont travailler en étroite collaboration avec les ministères, les services déconcentrés de l’État et les partenaires techniques et financiers. Pour ce faire, il sera impératif de mener une réflexion nationale sur le sujet, afin de mettre en place un cadre réglementaire lisible, de clarifier le champ d’action de ces structures intercommunales et les sources de financement des projets d’investissement.
Babacar Ndiogou
Mouvement Jappo Yessal