Covid-19 et conflits en Afrique : Timbuktu Institute s’insurge contre l’afro-pessimisme

« Les dirigeants africains et leurs partenaires internationaux ne doivent plus être induits en erreur par certaines analyses statiques et pré-pensées, biaisées par leur défaut d’ancrage et la non prise en compte des nouvelles réalités d’un continent en profonde mutation ». Ce texte est un extrait d’une contribution critique d’un think tank africain, Timbuktu Institute, basé à Niamey et à Dakar au débat sur le monde post-Covid-19 que « l’Afrique ne doit pas subir » d’après les mots de son directeur Dr. Bakary Sambe qui craint qu’en ce « moment d’une auto-remise en cause », la communauté internationale rate encore la « précieuse opportunité d’un new deal »

Déterminisme structurel…

Les notes qui ont émané d’officines diplomatiques présentent des fragilités théoriques à partir de postulats simplistes reposant sur un lien causal entre les structures et les résultats ultérieurs en ignorant totalement la question de la temporalité. En s’appuyant sur les événements passés pour juger de l’avenir, on est dans la méthodologie de la facilité voulant que les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets. Ainsi faisant, ces experts semblent ignorer que les événements déclencheurs, dans ce genre de raisonnement, relèvent parfois de simples épiphénomènes, tout comme l’effet cumulatif des causes, tant il est évident que la structure prédétermine un certain résultat qui se produira tôt ou tard. C’est dans ce genre de déterminisme structurel que Pierson range les travaux de Barrington Moore sur les origines de la dictature et de la démocratie, dans la mesure où il se base sur des variables macro sociales qui prédisposent les pays à tel ou tel résultat.

« Aucune projection sérieuse ne peut…« 

Appréhender ainsi l’avenir de l’Afrique face à cette pandémie serait injuste si l’on retient que, dans l’Histoire de l’Europe, par exemple, les conjonctures critiques ont placé les Etats sur des trajectoires qui ont transformé de petites différences institutionnelles initiales en grandes disparités de la même manière que l’effet amplificateur des conjonctures critiques avait été développé dans le cadre de la peste noire. Justement, cette pandémie n’avait pas abouti à l’éclatement des sociétés en crise mais bien à la fin de la féodalité en Europe de l’Ouest alors qu’en même temps, à l’Est, elle a renforcé cette même féodalité avec le second servage. A partir de ce rappel d’une cause historique ayant produit des effets complètement différents, on peut bien apprendre qu’aucune projection sérieuse ne peut conclure de manière catégorique que l’Afrique réagira forcément de la même manière que lors des crises précédentes.

L’Afrique réagira différemment à la montée des nationalismes post-Covid-19 : une leçon africaine à méditer face aux crises identitaires ?

Il est vrai que l’après-covid-19 s’annonce comme l’ère du retour paradoxal au nationalisme où même l’élite mondiale, celle de la génération de la « Fin de l’Histoire », qui, pendant plusieurs décennies, nous avait théorisé le libéralisme et la mondialisation prône, désormais, l’économie nationaliste après celle du container à un moment où l’Union européenne, dans son essence, vole en éclats. Le parallélisme précipité a pu certainement pousser les analystes à une généralisation ou une standardisation des réactions face au retour des nationalismes et des populismes.

C’est, peut-être, pour cela que certaines conclusions sont vite allées dans le sens d’un éclatement probable des systèmes politiques africains au lieu de mettre l’accent sur les très possibles recompositions au sein du continent.

L’Europe qui redécouvre sa vulnérabilité…

S’il n’est point aventurier de penser que l’après-coronavirus sera marqué par un fort retour ou un renforcement des nationalismes et des réflexes identitaires, il est sûr que ces relents identitaires ne se manifesteront pas de la même manière en Europe qu’en Afrique. Fidèle à l’esprit westphalien, les nationalismes et populismes européens vont exacerber le repli car construit autour de l’Etat et des frontières, tel qu’on en a vu les prémisses dans la gestion « barricadière » de la crise sanitaire. L’Europe qui redécouvre sa vulnérabilité, en même temps que le monde entier, a rompu d’avec les principes mêmes des idéaux mondialistes et libéraux et a retrouvé les réflexes de la fermeture sur soi.

Le retour au panafricanisme…

L’Afrique est l’une des zones du monde où nationalisme rime avec régionalisme au sens panafricain du terme et où le sentiment national n’a jamais nui au projet régional. La montée du nationalisme signifie, aussi en Afrique, le retour au panafricanisme puisque l’idée d’Etat-nation n’y est pas complètement tropicalisée depuis sa migration à partir de l’Occident européen où il y a effectivement une superposition de l’Etat et de la Nation, du moins dans leur construction sociale et historique.

Pour ce qui est de la gestion de la pandémie à proprement parler, le Covid-19 aura des effets différents sur les régions selon qu’on se situe au début ou à la fin du cycle. Le strict contrôle de l’information dans les régions asiatiques d’où la crise est partie a fait que l’alerte n’est pas arrivée très tôt dans les pays occidentaux qui ont été moins préventifs, sûrs des capacités de leurs systèmes sanitaires qui ont finalement lâché face à des maladies qu’ils croyaient tellement bénins et révolus.

L’Afrique a eu le temps d’apprendre de l’expérience des autres tout en étant consciente de sa principale vulnérabilité dans cette pandémie : le déficit de moyens de traitement qui a, ipso facto, entraîné une concentration dans la prévention, seule phase où elle peut espérer des victoires ou le miracle du non-effondrement que prédisent les analystes de crise.

D’ailleurs, la manie de qualifier de « miracles » toutes les autres réussites qui échappaient à ses prévisions est le signe qu’a sonné, depuis belle lurette, l’heure du renouveau paradigmatique pour la tradition universitaire européenne.

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