Cette dame que tous les Sénégalais voyaient comme une battante indomptable sur les principes est donc, elle aussi, tombée dans le piège du troisième mandat.
Invitée ce dimanche dans l’émission Grand Jury sur la Rfm, voici son raisonnement (je parlerais plutôt d’un paralogisme) : « Le Conseil constitutionnel est intervenu sur cette affaire, en 2016… Le président Macky Sall souhaitait réduire le mandat de 7 à 5 ans. Le conseil dit non, vous ne pouvez pas le faire car la Constitution qui vous a élu sur les 7 ans n’est pas celle que vous êtes en train de nous soumettre… Ce que le Juge dit, est plus vrai que la vérité. C’est ce qu’on m’a appris depuis 40 ans. Quand le juge a fini de décider, c’est la décision. C’est ce que le Conseil constitutionnel a dit. Donc le décompte du mandat commence avec la nouvelle Constitution. À partir de ce moment, la question n’est ni juridique, ni politique, elle est strictement mathématique ».
Est-ce vraiment sérieux ? Vous êtes en train d’insinuer qu’il sera loisible au prochain Président de modifier la Constitution sous le prétexte qu’un mandat de cinq ans c’est beaucoup, je vais donc m’aligner sur les standards américains et comme je veux pénaliser l’homosexualité je vais me faire voter une nouvelle constitution (pour qu’une telle pénalisation ne soit pas en contradiction avec la loi fondamentale, et d’autres baratins de ce genre) ;et une fois cette nouvelle Constitution votée, je pourras faire trois mandats tout en en faisant seulement deux ! C’est quoi cette prestidigitation ? C’est donc ça le droit, une forme de rhétorique capable de faire de Satan le sultan de Dieu sur terre ?
Vous savez parfaitement que Macky Sall ne peut pas participer aux prochaines élections, arrêter de jouer avec le feu. Laissez les Sénégalais choisir en toute quiétude le successeur de Macky et ne les poussez pas dans les bras de n’importe quel aventurier qui se présentera contre Macky et qui, à coup sûr, le battra sans le mériter.
Pour la première fois nous avons la chance de choisir un président au lieu d’en démettre un ; pour la première fois nous avons l’opportunité de discuter de la qualité des offres et de la probité des gens qui les portent ; pour la première fois nous avons la chance de ne pas laisser la passion être la boussole électorale des Sénégalais.
Macky Sall a fini ses cartouches ; de toute façon il est fini : aidez-le à sortir de façon honorable au lieu de mettre vos intérêts égoïstes comme curseur de la nation. Pourquoi d’ailleurs la RFM ne vous a pas rappelé vos propos tenus dans le même studio en 2019 : « Je me demande quand est ce que les Sénégalais vont s’arrêter de poser des débats nocifs… Ce mandat de 5 ans est le dernier pour Macky Sall. La constitution est claire. Je ne vois pas pourquoi les Sénégalais agitent ce débat, sauf à poser de faux problèmes » ?
La mauvaise foi n’est pas selon Sartre, un jugement moral, c’est un jugement logique : il a raison ! Le voleur est de mauvaise foi car en s’appropriant illégalement la propriété d’autrui pour en faire paradoxalement sa propriété.
Alors comment pouvez-vous combattre le 3e mandat hier et venir le légitimer aujourd’hui par tant de circonvolutions ? Macky aura échoué sur toute la ligne si après plus de 4 ans de primature et douze ans de présidence, il n’a pas réussi à trouver un Sénégalais compétent pour être le candidat de sa coalition.
Ne vous moquez pas des Sénégalais, nous ne sommes pas des enfants. Rousseau a dit « La première et plus importante maxime du gouvernement légitime ou populaire, c’est-à-dire de celui qui a pour objet le bien du peuple, est donc (…) de suivre en tout la volonté générale ; mais pour la suivre il faut la connaitre, et surtout la bien distinguer de la volonté particulière en commençant par soi-même… ».
Or vous-même avez dit en 2011 que le peuple ne veut plus de troisième mandat, pourquoi le voudrait-il aujourd’hui ? Oserez-vous dire que Macky Sall nous est indispensable ? Oserez-vous nier qu’il y a, dans ce pays, une foultitude de citoyens probes et compétents pour diriger ce pays ?
*Alassane K KITANE p
Professeur de philosophie à Thiès