Au Sénégal, un vent de rupture souffle depuis l’élection d’un nouveau leadership résolu à restaurer la souveraineté du pays sur ses ressources, ses choix économiques, ses politiques publiques et sa parole diplomatique.
Une exigence populaire de dignité, de justice et d’autodétermination résonne dans les rues, les institutions et les cœurs. Or, dans cette quête de souveraineté, une tradition spirituelle longtemps marginalisée revient doucement dans le débat : la voie chiite de l’islam.
Une spiritualité de résistance
Longtemps perçue comme une branche minoritaire de l’islam, le chiisme incarne pourtant, depuis ses origines, une spiritualité fondée sur la justice, la vérité, et le refus de l’oppression. De l’Imam Ali, figure d’un pouvoir juste, éthique et proche du peuple, à l’Imam Hussein, symbole éternel de la résistance contre les tyrans, la voie chiite propose un islam de l’engagement, loin du ritualisme passif.
Au Sénégal, où les citoyens expriment avec force leur rejet de la corruption, des accords inéquitables et des dépendances néocoloniales, cette tradition retrouve une résonance particulière. Le slogan « ni oppresseur, ni opprimé », cher aux chiites, entre en écho avec la posture actuelle d’un pays qui veut se tenir debout dans un monde inégal.
Souveraineté : un principe spirituel avant d’être politique
Dans la tradition chiite, la souveraineté n’est pas qu’un enjeu de frontières ou de ressources. Elle est d’abord un principe théologique et moral : seul Dieu est source légitime d’autorité, et tout pouvoir injuste, corrompu ou usurpé est à dénoncer et à dépasser. C’est cette conscience-là qui pousse les croyants à ne jamais se taire face aux injustices — qu’elles soient locales ou globales.
Or, cette posture rejoint les grandes lignes du nouveau discours sénégalais : transparence, rupture avec les contrats déséquilibrés, soutien à l’économie locale, redistribution des richesses, valorisation de la production nationale. Un alignement presque naturel avec la philosophie socio-politique du chiisme, où gouverner, c’est servir ; diriger, c’est protéger les plus faibles ; et décider, c’est rendre compte devant Dieu et le peuple.
Une économie solidaire et endogène : le modèle Mozdahir
Le chiisme ne s’arrête pas à la théorie. Il propose des modèles concrets de développement ancrés dans les réalités locales. Le cas de l’Institut Mozdahir International, implanté au Sénégal depuis plus de deux décennies, illustre cette vision. Porté par Cherif Mohamed Aly Aidara, intellectuel et guide religieux, ce projet articule agriculture, éducation, microfinance, énergie verte et spiritualité autour d’un seul mot d’ordre : autonomie collective.
Fermes communautaires, coopératives paysannes, écoles rurales gratuites, banques communautaires : ici, l’islam n’est pas seulement prière, il devient force de transformation sociale.
À l’heure où le Sénégal veut reconstruire sa souveraineté agricole, sanitaire et énergétique, ce type d’initiative apparaît comme un laboratoire de solutions africaines.
Un islam africain réconcilié avec lui-même
Enfin, la voie chiite appelle à une reconnexion intérieure : avec le sens, avec l’héritage prophétique, avec l’éthique de l’amour et de la lucidité. Elle met l’accent sur l’ijtihad — la réflexion contextuelle — et le leadership moral, incarné dans l’histoire par les Imams d’Ahl Bayt (Les gens de la demeure prophétique), mais transposable aujourd’hui à toute société en quête d’élévation et de vérité.
Elle ne prétend pas s’imposer, ni remplacer, mais proposer une lecture plus profonde et intégrée de la foi — qui conjugue spiritualité, justice sociale et souveraineté populaire.
Une voie à (re)découvrir ?
Le Sénégal entre dans une ère nouvelle. Et il ne s’agit pas seulement de réformes économiques ou d’audits institutionnels. Il s’agit aussi, et surtout, d’un renouveau intérieur, d’un retour à des sources spirituelles capables d’éclairer le présent sans aliéner l’avenir.
La voie chiite, dans sa version africaine, enracinée, et fidèle à l’éthique du Prophète et de sa famille, pourrait bien faire partie de cette boîte à outils de la souveraineté intégrale. Pas comme modèle unique, mais comme voie d’inspiration pour les générations qui veulent conjuguer foi, dignité, et autodétermination.
La souveraineté commence peut-être dans les urnes, mais elle se consolide dans les cœurs, les convictions, et les actes quotidiens.
Par Aïda Diagne, Sociologue, spécialiste en économie sociale et solidaire*