A tous ceux qui souffrent injustement dans les prisons ! (Par Alassane K. KITANE)*

Ironie

L’imitation peut-elle, davantage que la création, révéler le génie ?
Rôy du niroo’g piir ! Xana « Chimes of freedom » bu Yùsu Nduur boku ĉa ?

Chaque fois que je regardé le clip de Chimes of freedom de Youssou Ndour, je suis envahi par un profond sentiment métaphysique. Je ne suis pas sûr que le contenu de la chanson soit la cause de cette impression : le langage du clip par contre pourrait en être la source. Pour nous autres humains, tout ce qui touche au ciel renvoie à la transcendance : les étoiles, les nuages et les comètes nous semblent souvent exprimer des réalités surnaturelles dont ils ne sont d’ailleurs que les apocryphes allégories. Nous ne savons que très peu de choses du ciel et, c’est probablement pourquoi tout ce qui y a trait nous inspire révérence, spiritualité et réviviscence. Les devins comme les astronomes scrutent le ciel et méditent la position des étoiles pour lire et orienter la réalité : l’avenir de la terre est dans le ciel. Ce n’est pas seulement vrai au premier sens (nous serons obligés un jour de quitter cette terre qui deviendra sans doute inhabitable, pour aller coloniser d’autres planètes afin de sauver l’espèce humaine) mais aussi au 2nd sens (nous levons la tête et les yeux pour accompagner nos paroles invocatoires en vue de supplier le ciel de changer les choses). C’est dire combien ce clip a été bien pensé, surtout si l’on tient compte du message véhiculé par la chanson qui parle de liberté, de combattants pacifiques, d’injustice, de souffrance, de figures informes, de symboles, etc. Les jeunes musiciens doivent, en regardant ce clip, retenir que dans l’univers du showbiz, la production des clips est presque aussi importante que la production musicale elle-même.

Pour quiconque regarde cet imaginatif clip de Chimes of freedom, le sentiment de quiétude est vite bouleversé par un étonnement consécutif à la perception de réalités paradoxales entre le tangible et le chimérique. L’univers nocturne dans lequel se déroule le clip augmente la sensation indescriptible que donne cette voix sublime de Youssou Ndour déchirant la chaleur nocturne, noire de mystères et de controverses sur l’issue incertaine du combat pour la liberté. Ceux qui ne savent pas que cette musique est une reprise de celle de Bob Dylan peuvent certes êtres éblouis par la grâce contenue dans la voix de Youssou dans Chimes of Freedom, mais ils ne pourront jamais imaginer la grande faculté de créativité contenue dans cette parodie. Youssou Ndour a fini de prouver à travers cette œuvre qu’une imitation vraiment réussie nécessite autant voire plus de créativité que la création originale. Le texte de Bob Dylan est d’une beauté artistique et d’une profondeur philosophique très rares :

« Bien après le coucher du soleil et avant que sonne minuit
Nous nous réfugiions sous le porche, alors que la foudre frappait
Et que des éclairs grandioses chassaient l’ombre avec fracas
Ils ressemblaient aux carillons de la liberté qui étincelaient
Qui étincelaient pour le guerrier dont la force est de ne pas combattre,
Qui étincelaient pour les réfugiés sur la route sans armes
Et pour tous les soldats égarés dans la nuit,
Nous regardions étinceler les carillons de la liberté … ».

Prendre le risque faire une reprise d’une telle chanson exige du courage, de la foi et surtout beaucoup de génie. Bob Dylan est une légende tellement immense que la reprise d’une de ses œuvres les plus connues est un pari très risqué pour un artiste : c’est dire combien cette œuvre est réussie par Youssou Ndour. C’est d’autant plus réussi qu’il a traduit la pensée de son collègue sans la trahir, mais en la moulant dans un contexte culturel quand même différent ! La Traduction fait doublement sens : d’abord elle consiste à faire passer un message (donc un sens) d’une langue à une autre ; ensuite, elle prouve, par sa réussite, l’unité linguistique (et donc générique) de l’humanité par-delà la diversité des langues et des contextes culturels. Traduire, c’est unir, c’est transcender la diversité apparente pour mettre en exergue l’unité sous-jacente de l’humanité : les idées et les émotions n’ont pas de langue. Les mathématiques nous montrent que les idées vraiment abouties sont exprimables dans un langage universel, un métalangage, un langage purement formel. Les émotions également le montrent avec la même évidence : un visage flamboyant de joie, un visage crispé, des cris de désespoir, une anxiété. Les lois de la nature nous parlent malgré la diversité de nos cultures et de nos croyances. L’action de la pesanteur se lit dans le biologique qui est finalement elle-même une modalité de ces lois physiques.

Ce que Youssou Ndour a réussi est à tout point de vue exceptionnel : adapter une œuvre produite dans un contexte culturel autre et dans une langue différente, sans jamais se laisser emprisonner par la logique syntaxique ! Tout en restant fidèle au message d’origine, Youssou Ndour a non seulement admirablement adapté la chanson de Bob Dylan en wolof, mais encore dans les représentations cosmogoniques du wolof. « Chimes of freedom » de Youssou Ndour nous montre d’ailleurs à quel point la musique est un langage universel : elle parle à nos émotions, elle peut les provoquer, les conduire, les éduquer, les sublimer. Beaucoup de mystiques utilisent la musique (au sens large) pour initier leurs disciples ou compagnons dans la voie de l’aspiration. La musique élève l’âme vers l’universalité, vers la contemplation, l’extase, c’est-à-dire la disjonction avec le corps qui, même s’il l’abrite, demeure sa principale pesanteur. La musique donne l’idée sensible de ce qu’est la discipline et l’ordre. Aristote a dit :

« La musique doit être pratiquée non pas en vue d’un seul avantage, mais de plusieurs (car elle a en vue l’éducation et la purgation… et en troisième lieu elle sert à la vie de loisir noblement menée, et enfin elle est utile à la détente et au délassement après un effort soutenu) : dans ces conditions, on voit que nous devons nous servir de tous les modes, mais que nous ne devons pas les employer tous de la même manière : dans l’éducation nous utiliserons les modes aux tendances morales les plus prononcées, et quand il s’agira d’écouter la musique exécutée par d’autres nous pourrons admettre les modes actifs et les modes exaltés…. » La politique, Livre VIII, Ch. 7

On comprend en partie pourquoi chaque peuple a besoin de ses musiciens. Il n’est pas absurde de penser que par la vénération de la musique, les peuples ont cherché certes à panser les blessures sociales et psychologiques, mais aussi et surtout à ancrer l’idée de l’harmonie dans les consciences. Le défi que cette reprise de Bob Dylan par Youssou Ndour nous lance est maintenant celui-ci : et si nous nous inspirions des grandes œuvres des autres pour faire de notre pays un univers de merveilles ? Il faut imaginer ce que serait le Sénégal si chacun, dans son domaine, s’employait à créer dans l’imitation et à imiter dans la création !

* Par Alassane K. KITANE

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