Turquie : « J’ai voulu attendre jusqu’à 6h40 pour faire la 1ère prière de la journée, cela m’a sauvé »
Lundi, la Turquie a été touchée en plein cœur. De violents tremblements de terre ont secoué le pays et fait de nombreuses victimes au sein de la population. Présent sur place, Kévin Soni a vu sa vie prendre un terrible tournant en quelques minutes. Le joueur d’Hatayspor est encore choqué mais il mesure aussi la chance qu’il a d’être encore en vie aujourd’hui. Pour Foot Mercato, l’international camerounais âgé de 24 ans revient avec beaucoup d’émotion sur ce jour où tout a basculé.
Foot Mercato : Kévin, on a avant tout envie de vous demander comment allez-vous ?
Kévin Soni : ça va… Franchement, c’est une épreuve que je n’avais jamais vécue auparavant. C’est vraiment quelque chose qu’on ne prévoit pas et qui vous marque à vie. On dit souvent que dans la vie on ne sait jamais. Je peux vous dire que j’ai vraiment vu pourquoi on dit qu’on ne sait jamais il y a quelques jours. Sur le coup, je me suis dit c’est la fin du monde et la fin tout court. J’ai vu des gens mourir à côté de moi. Je suis traumatisé. Aujourd’hui, je réalise que la vie ne tient qu’à un fil. C’est dans ces moments-là qu’on se rend compte que tout est vanité. Tout le monde abandonne sa maison, ses voitures, et cherche un endroit où se réfugier. C’était vraiment une situation digne d’un film sur Netflix sauf que c’était la réalité malheureusement. C’est le truc qui m’a le plus choqué depuis que j’ai commencé à jouer au football et dans ma vie. Je n’aurais jamais pensé vivre quelque chose comme ça.
FM : vous êtes arrivé à Hatayspor cette saison, comment cela se passait-il jusqu’à présent pour vous ?
KS : je suis arrivé au mois de septembre, quelques mois avant la Coupe du Monde. J’avais pour objectif de faire une saison en prêt ici. Ensuite, soit je renouvelais mon contrat avec Hatayspor, soit j’allais dans un autre club. Je me suis blessé à la cuisse lors de mon premier match. On m’a opéré deux jours après. Trois mois plus tard, je suis revenu à la compétition mais j’ai rechuté. J’ai été blessé au pied. Je suis resté un mois out et je suis revenu dimanche soir lors de notre match face à Kasimpasa (victoire 1 à 0).
FM : et tout a basculé quelques heures plus tard…
KS : je suis rentré chez moi après le match. J’étais posé avec mes cousins et on jouait à PlayStation. Vers 4 ou 5 heures du matin, le sol a commencé à trembler. Sur le coup, j’ai dit à mes cousins de se calmer. C’est quand le plafond et les murs ont commencé à tomber sur nous qu’on a commencé à prendre la fuite par les escaliers. On a juste eu le temps de prendre nos passeports et nos téléphones, je ne sais même pas comment j’ai fait pour y penser. On a eu la chance de sortir de l’immeuble avant que tout s’écroule (…) C’est un jour où vraiment tout a basculé. Il y a eu beaucoup de morts. Si vous m’aviez dit ça une semaine avant, je vous aurais dit que c’était impossible…
FM : avez-vous senti rapidement que cet évènement serait tragique ?
KS : sur le coup, je n’avais pas forcément capté. C’est la première fois que j’ai vécu une telle chose. J’ai senti la terre trembler et je me suis dit qu’il devait y avoir un vent violent dehors. Mais c’est quand j’ai vu que les secousses étaient vraiment puissantes et que le sol a commencé à se fendre en deux, je me suis dit que c’était vraiment sérieux. Au début, je voulais sauter par la fenêtre. Mais on était vraiment haut, au septième étage. Je me suis dit si je saute là, je vais me casser le pied et je ne jouerai plus au football. Donc j’ai pris les escaliers et j’ai foncé pour sortir.
FM : avez-vous craint pour votre vie ou celles de vos proches ?
KS : oui, c’est clair. Quand vous voyez des gens mourir à côté de vous, vous vous dites que vous allez être le prochain. L’immeuble était en train de tomber sur nous. On a vraiment eu de la chance car on est sorti un peu avant qu’il s’effondre. Je me suis dit qu’on s’en était bien sorti. Mais une fois dehors, on a vu le bâtiment s’écrouler et devenir poussière. Il n’y avait plus rien. Ensuite, j’ai vu le sol se fendre en deux. Je me suis dit que si on arrivait à sortir de cette ville, c’est parce que Dieu l’avait voulu. Le sol pouvait se fissurer à tout moment. Et ça a été le cas, la route s’est ouverte en deux. Je ne savais pas ce qu’il y avait dans les profondeurs de la terre. Ce jour-là, j’ai vu ce qu’il y avait en bas. C’est tout noir, il y a rien en bas. Je ne sais pas ce que c’est mais c’est tout noir.
FM : vous sentez-vous miraculé ?
KS : oui. Mais je me suis dit que si je n’y suis pas passé ce jour-là, c’est que ce n’était pas mon jour. Je suis musulman et je suis très croyant. Ce qui m’a sauvé, c’est que j’ai voulu attendre jusqu’à 6h40 afin de faire la première prière de la journée. C’est pour cette raison que je ne dormais pas. Donc je me dis que si j’avais dormi, vu comment tout est tombé dans la maison, je serais certainement mort. C’est sûr même. Les pierres qui sont tombées étaient énormes. C’était un immeuble de dix-sept étages, imaginez. Donc si j’avais dormi, je pense que je serais mort.
FM : pouvez-vous nous raconter cette journée de lundi, marquée par plusieurs tremblements de terre en Turquie ainsi qu’en Syrie ?
KS : c’était chaud ! Après les événements, j’ai pris ma voiture pour me rendre aussi vite que possible au centre d’entraînement du club. Les joueurs y sont allés afin de se confiner. On était posés en train de parler et d’essayer de manger quelque chose mais le sol continuait à trembler. Toutes les dix minutes, il y avait d’énormes secousses. Pendant deux jours, on n’a pas mangé. On n’avait que de l’eau. On avait des fruits de temps en temps mais il y avait des femmes et des enfants, avec mes coéquipiers on leur a laissé ces denrées. On ne mangeait pas et on essayait d’aller chercher de l’eau afin que les femmes et les enfants puissent boire. Un avion est venu nous chercher dans la ville d’à côté. On a tout laissé là-bas. L’important était d’être en sécurité, le matériel n’est que vanité.
FM : cela a dû être éprouvant pour vos proches, qui ont tenté de vous joindre.
KS : tout le monde a essayé de nous joindre avec mes cousins, mais personne n’a réussi. Il n’y avait pas de réseau, pas d’eau. Plus rien. Les gens se battaient dans les supermarchés pour récupérer de la nourriture, à boire. Il n’y avait pas d’essence non plus (…) Quand j’ai eu ma mère, c’était un soulagement pour elle car je suis fils unique. Elle ne dormait plus. Ma mère est traumatisée, elle ne veut plus entendre parler de foot. Elle m’a dit de rester auprès d’elle, mais j’ai un contrat à respecter.
FM : plusieurs membres du club n’ont pas eu votre chance et sont toujours portés disparus, à l’image de Christian Atsu.
KS : j’ai la chair de poule en vous parlant. Avant que ça arrive, je parlais avec Christian Atsu au téléphone. Il avait marqué un coup-franc dimanche et je lui disais qu’il avait bien joué et que j’avais bien aimé son match. Je lui disais que j’espérais vite retrouver les terrains pour qu’on joue ensemble. Mais je ne savais pas que c’était la dernière fois que je parlais avec lui. Deux heures après, je n’avais plus de nouvelles. On m’a dit que mon ami était peut-être mort, il y a de quoi devenir fou. Je suis certainement la dernière personne à avoir parlé avec lui au téléphone. Je ne suis pas fier de dire ça, j’espère vraiment qu’on va le retrouver sain et sauf. C’est mon souhait. Je prie tous les jours pour ça.
FM : certains médias ont pourtant dit qu’il avait été retrouvé. Avez-vous eu des nouvelles ?
KS : ce sont des mensonges. Mardi soir, on a pris l’avion pour rentrer à Istanbul et il n’était pas avec nous. S’il avait été retrouvé, pourquoi n’était-il pas dans l’avion ? Ce sont des mensonges. Ils ont peut-être dit ça pour entretenir l’espoir et ne pas effrayer sa famille. Ce que je peux vous dire c’est qu’il n’a pas pris l’avion avec nous pour se rendre à Istanbul. J’espère qu’on va le retrouver.