Tribune – Chérif Salif Sy : « Relire le monde des affaires pour comprendre les impasses économiques »

L’économiste et politiste Chérif Salif Sy livre une analyse percutante de l’ouvrage de Samir Amin, « Le monde des affaires sénégalais », plus d’un demi-siècle après sa parution. Dans une tribune publiée par Sud Quotidien, cette réflexion interroge les fondements structurels de l’économie nationale et les conditions d’émergence d’un véritable capitalisme autonome, dans un contexte marqué par l’arrivée au pouvoir du Président Bassirou Diomaye Faye.

Selon Chérif Salif Sy, la pertinence de l’œuvre de Samir Amin demeure d’une « actualité troublante » en 2024. Alors que le Sénégal expérimente une alternance politique porteuse de promesses de souveraineté économique, l’auteur souligne que les indicateurs fondamentaux révèlent des fragilités persistantes, notamment une inflation tenace et une pression de la dette publique. Pour l’économiste, ignorer ce texte fondateur revient à « penser son économie sans mémoire, donc sans boussole ». Il rappelle que l’ouvrage d’Amin ne se contentait pas d’un échantillon, mais passait au crible la totalité des 500 entreprises du Sénégal des années 1960, offrant une radiographie scientifique loin des modèles importés.

L’analyse met en lumière une réalité structurelle qui, d’après l’auteur, n’a guère changé : la dépendance du secteur privé national. Si des entrepreneurs locaux existent, ils évoluent dans un environnement hostile dominé par le capital étranger et dépendent massivement de la commande publique. Cette situation, qualifiée de dépendance structurelle héritée de la colonisation, expose les entreprises locales aux aléas politiques. Chérif Salif Sy note que si les acteurs ont changé — avec l’arrivée de capitaux marocains, turcs ou chinois — la logique de prédominance étrangère dans les secteurs stratégiques comme l’énergie ou les télécommunications perdure.

Le talon d’Achille identifié par Samir Amin et réaffirmé par Chérif Salif Sy reste le système financier. L’économiste déplore un système bancaire « extraverti et averse au risque », qui privilégie la sécurité du capital plutôt que l’investissement productif national. La crise actuelle du crédit, exacerbée par une dette souveraine dépassant 75 % du PIB, illustre cette analyse : sans financement structurel adapté, l’accumulation de capital local reste bloquée. L’auteur rappelle également l’histoire occultée d’une bourgeoisie marchande sénégalaise du XIXe siècle, liquidée non par incompétence, mais par le développement de l’économie coloniale, déconstruisant ainsi le mythe d’une absence de culture entrepreneuriale locale.

En conclusion, Chérif Salif Sy exhorte la jeunesse et les décideurs à relire Samir Amin pour comprendre que le développement est un rapport de force historique. Il estime que l’alternance de 2024 offre une fenêtre d’opportunité pour remettre en question ces pactes hérités, à condition d’accepter de regarder l’économie « sans fard ». Pour lui, la souveraineté économique ne se décrète pas mais se construit par une rupture avec les mécanismes de reproduction de la dépendance.

Votre avis sera publié et visible par des milliers de lecteurs. Veuillez l’exprimer dans un langage respectueux.

Laisser un commentaire