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Oustaz Abou Faye, le mystique et mythique esprit de Réfane (Par Zaynab Sangaré, journaliste)

Oustaz Abou Faye, le mystique et mythique esprit de Réfane (Par Zaynab Sangaré, journaliste)

Il y a des jours qu’on n’oublie pas du fait de leur richesse, des expériences qu’on n’oublie pas du fait de la force des actions exécutées, des lieux qu’on oublie pas pour les signes qui y sont, mais aussi des hommes qui seront à jamais dans nos cœurs pour les aux souvenirs qu’ils y sèment.

Oustaz Abou Faye en est un. Homme de Refane, il fut un personnage spécial, exemplaire, mythique et mystérieux. J’ai eu la chance de le rencontrer en marge d’une caravane de reportages que je faisais dans les zones impactées par la Covid-19 au Sénégal. Après un long périple dans les régions de Thiès, Fatick et Kaolack, nous atterrîmes au Baol, précisément à Refane, une commune du département de Bambey dans la région de Diourbel.

Arrivée à ce village à la nomenclature spéciale, aux maisons qui rappellent le Sénégal oriental, ses ruelles espacées où on peine à voir des ordures, l’on aperçoit des hommes et femmes assis en face du poste de santé sous un palétuvier à palabres.

Je m’approche avec mon équipe composée de Modou (le chauffeur) et du défunt cameraman Amadou Yoro Diallo ( Paix à son âme ) pour m’enquérir de leur situation face à la Covid-19. Après un accueil chaleureux, ils nous firent part de leurs doléances.

« Madame nous sommes très heureux de vous voir ici car nous n’avons pas la chance de voir les «taskatu xiibar » journalistes, surtout en ces moments très difficiles de Covid-19. Ici, nous vivons d’agriculture et de commerce Depuis l’avènement de la pandémie, toutes nos activités sont gelées, nos enfants qui sont à l’université de Dakar n’envoient plus de soutiens mensuels. Pire, certains d’entre eux sont rentrés à cause de la fermeture des écoles et universités, cette maladie nous cause énormément de problèmes, nous nous lavons les mains à chaque fois et nous portons des masques dans la mesure du possible, sachant que même se payer un masque n’est pas évident», disaient ils, à l’époque.

Crispée et peinée, j’essaye de me contrôler face à cette situation si affligeante. Après quelques minutes de répit, je poursuis mon reportage, avec la dernière question :  » Avez-vous reçu de l’aide de la part du gouvernement ou d’une quelconque personnalité ? »

Ils se regardèrent puis une femme allongée sur une natte juste à côté de l’arbre se leva pour dire:  » Ma fille, ici la seule personne qui nous aide et qui a fait un don très important c’est Oustaz Abou Faye, sans lui nous mourrons de faim, Oustaz Abou Faye nous aide spirituellement et financièrement et nous lui sommes très reconnaissants».

Étonnée de la réaction unanime de toutes ces personnes autour d’elle, qui inclinaient la tête en murmurant « hun hun wallay », je leur demande : « Mais qui est ce Oustaz Abou Faye ?»

Ils m’ont dit que la meilleure manière de savoir qui est ce personnage c’est de le rencontrer. Ainsi je boucle cette capsule de reportage avec eux en toute gaieté riant de nos moqueries de cousins à plaisanteries.

Une dame nous conduit vers ce personnage énigmatique. En face de chez lui, on aperçoit une très grande et belle mosquée en vert et blanc, on s’arrête devant un groupuscule de femmes qui battaient le mil avec des pilons en chantant. J’étais tout simplement dans un conte de fées. Ces femmes répondirent à nos saluts avec un grand sourire et me conseillent de mettre un pagne sur mon pantalon car cet homme que je vais rencontrer est un grand érudit de l’islam. En attendant que l’une d’elles m’apporte un pagne, je profite pour prendre un pilon ( Rire ) après trois à quatre coups de pilon, je sentais mes mains rougir et j’étais toute en sueur. Malgré les chansons qui accompagnaient cette activité, j’étais obligée d’arrêter car c’était trooop mais trooop dur. Quand j’ai déposé le pilon, elles se mirent toutes à rigoler en me chahutant « xaaley taxx nga » t’es une citadine.

La dame qui était allée me chercher un pagne est arrivée avec un joli wax dans les mains, elle me proposa de m’aider à le nouer. Après que j’ai mis là pagne, elles ont applaudi et dansé pour moi, tandis que Yoro et Modou rigolaient de me voir en pagne pilant le mil. Une situation presque inédite pour eux.

Après quelques échanges accompagnées de moqueries, nous nous sommes retournés pour rentrer chez le fameux Oustaz Abou Faye. À peine dans la maison, nous avons enlevé nos chaussures, pied au sol, on sentait la douceur du sable bien tamisé. À gauche vers la véranda, on apercevait un canari très agréable à voir, vu la peinture artistique de sa face. Un jeune garçon nous accueille et nous apporte de l’eau de ce beau canari, l’eau était fraîche. Je buvais d’un coup un pot d’eau, j’avais soif mais cette eau était fraîche comme sortie d’un frigo et bonne comme de l’eau de source.

Après les salamalecs, le jeune nous conduit vers la case du grand marabout.

On l’aperçoit, entouré d’une immense quantité de livres coraniques. La photo de Serigne Mourtada Mbacké, un des fils de Serigne Touba Khadimou Rassoul, était visible au milieu des livres saints ainsi qu’une photo de Serigne Touba et Mame Cheikh Ibra Fall lampou baboul mouridina.

Oustaz Abou Faye, ce visage rayonnant enveloppé par un sourire magique, nous fixa de ses beaux yeux qui faisaient baisser notre regard par timidité et respect, tellement on sentait la divinité chez ce personnage. Un homme très élancé à peu près un mètre quatre-vingt, pas trop âgé, vêtu d’un boubou blanc, le chapelet entre les doigts, nous reçoit.

Après les salutations, il nous remercie et nous installe. Suite à une longue discussion sur l’islam, sa relation avec Serigne Mourtada Mbacké fils de Serigne Touba Mbacké, il me dit: « Tu sais Zaynab, je n’ai jamais accepté de parler avec les journalistes, je l’ai fait une fois sous l’ordre de Serigne Mourtada Mbacké et j’avais tenu deux phrases sur le micro de la RTS, tu es la seule journaliste pour qui j’accorde une interview dans ma vie, car tu es venue de loin et dans une situation particulière de la Covid-19, ce geste est très important et c’est ça le rôle du journaliste…».

Après l’interview, riche en informations mais aussi en apprentissages et conseils à la population pour lutter contre cette maladie qu’il considérait comme une maladie divine, et qui était d’ailleurs citée dans le Saint Coran, Oustaz Abou Faye fait d’intense prières pour toute l’équipe et le Sénégal avant que l’on ne prenne congé de son sourire apaisant.

Oustaz Abou Faye, impressionnant, empli de spiritualité et de sagesse, est décédé quelques mois après.

Quand j’ai eue écho de sa disparition, le mardi 12 janvier 2021, je n’ai pu me retenir. Cet homme s’en est allé, doucement, tranquillement au moment où le Sénégal avait tellement besoin de lui. Le célèbre Oustaz Abou Faye n’est plus, une bibliothèque s’est fermée, un grand soufi est parti, un monument est tombé, l’espoir de toute une génération parti à jamais.

Affectueusement pour cet homme dont le visage plane toujours dans mon esprit et à mon très cher cameraman Ahmadou Yoro Diallo, avec qui j’ai fait ce reportage et tant d’autres aventures, qui est aussi décédé suite à un violent accident lors de la tournée économique du Président Macky Sall.

Que Firdawsi soit leur demeure éternelle.

 

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