« Misère de la politique! « , Par Amadou Tidiane WONE

« Sur notre continent, il ne nous a pas fallu longtemps pour découvrir que la lutte contre le colonialisme ne prend pas fin lorsqu’on a réalisé l’indépendance nationale. Cette indépendance n’est que le prélude d’un combat nouveau et plus complexe pour la conquête du droit de diriger nous-mêmes nos questions économiques et sociales, en dehors des entraves écrasantes et humiliantes de la domination et de l’intervention néo-colonialiste. »

Extrait du Discours de Kwame NKRUMAH, Président du GHANA
A l’occasion du Sommet Fondateur de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA)
le 24 Mai 1963 à Addis Abeba (ETHIOPIE)

C’était en 1963 ! Un constat d’une lucidité qui nous accuse après cinquante-cinq ans « d’indépendance » qu’il va falloir, de plus en plus, mettre entre guillemets pour retrouver la lucidité des pères fondateurs.

Notre pays, le Sénégal, n’est pas indépendant ! La plupart des pays africains, pour ne pas dire tous, non plus. Même, la tragi-comédie des célébrations annuelles, couteuses et inutiles, n’attire plus les foules. En tous cas l’enthousiasme des premières années des « indépendances » n’y est plus. Notre incapacité à définir nos politiques, notamment économiques, sans la tutelle d’institutions financières internationales, ou carrément sous la « dictée » d’assistants techniques souvent en service militaire, est dramatique. Au fond, il y’a comme une rupture émotionnelle entre le Peuple et ses élites dirigeantes. Un fossé se creuse lentement, profondément. Inexorablement ? Le temps est venu de se le demander.

Il s’agit de réfléchir, gravement, à ce processus de putréfaction des ambitions légitimes nourries au lever du « soleil des indépendances ». Il faut se demander pourquoi cinquante-cinq après le constat d’échec est quasi général, à de rares exceptions près, et dans des limites convenues comme étant satisfaisantes pour les africains. Et pourtant le Continent africain est riche, le Continent africain est jeune, le Continent africain est créatif…. Alors qu’est ce qui manque à l’Afrique pour jouer dans la cour des grands ?

A mon avis, il ne faut plus se voiler la face : L’Afrique est malade de ses élites, notamment politiques. Un manque cruel de leadership inspiré, depuis les premières heures des « indépendances », nous a conduit à faire fausse route. Comme fascinés, ou éblouis, par les dorures des pouvoirs et privilèges hérités de la colonisation, nous avons négligé de déconstruire son projet. Les premières générations de dirigeants africains formés à l’école coloniale (Génération ENFOM) étaient en fait plus des administrateurs coloniaux que les inspirateurs d’un nouveau destin. En face d’eux, des opposants embourbés dans les idéologies toujours d’inspiration occidentale (Marxisme-léninisme et compagnie) ont installé nos pays dans le cercle infernal de bavardages sans lendemains.

Et on tourne en rond depuis, sous le regard paternaliste des ex-puissances coloniales ravies de contrôler nos politiques sans se salir les mains! A chaque crise risquant de mettre en cause les intérêts majeurs de ces grandes puissances, leurs officines concoctent des prêt-à-penser relayés par des élites, aujourd’hui appelées « société civile «, lourdement financées et intellectuellement formatées pour répéter des mots-clés et brouiller l’entendement populaire. Arrivent alors les technocrates pour administrer des posologies standard qui ont ceci de commun qu’elles n’ont fait leurs preuves nulle part ! A chaque échec retentissant d’un modèle, pourtant présenté comme la panacée, des « experts », endollardés de sottise, aurait dit Aimé Césaire débarquent et débitent de nouvelles formules sous le regard apathique de fonctionnaires désabusés, conscients qu’ils sont que tout est déjà joué au-dessus de leurs têtes et qu’il vaut mieux se taire et encaisser perdiems et frais de mission pour achever le chantier de la maison si difficilement acquise !

En effet, les fonctionnaires africains ont baissé les bras depuis si longtemps qu’ils ne s’en souviennent même plus. En fait, c’est le modèle de l’Etat néocolonial qu’il serve mécaniquement qu’il faut aujourd’hui interroger et réformer profondément. Il s’agit pour les élites africaines, et sénégalaises pour ce qui nous concerne ici, de développer une introspection qui va au-delà des clivages politiciens importés et construire de nouveaux paradigmes. Il faut concevoir un projet de société qui prenne racine sur notre patrimoine culturel, nos valeurs de civilisation et nos aspirations spirituelles. L’indépendance, c’est démolir quatre siècles de domination culturelle, économique et politique. C’est entreprendre résolument la reconstruction d’un système éducatif et social qui puisse générer une élite dirigeante décomplexée, visionnaire et conquérante ! Avons-nous pris ce chemin ? Je crois que non. Il va falloir auparavant se convaincre que les crises violentes qui secouent notre système éducatif sont structurelles. Aucune réparation partielle n’en viendra à bout. Il va falloir aller au fond des choses.

Les aspirations des jeunes africains sont pressantes. Elles s’expriment à travers les crises cycliques qui traversent le Continent. Pays par pays. Les ainés ont la lourde responsabilité de prendre conscience des véritables enjeux au lieu de mettre en avant le confort fragile et factice de la jouissance de « pouvoirs », éphémères par définition, et qui ne valant pas une place de choix dans l’Histoire : Lumumba survit et gagne, chaque jour une place dans le cœur des jeunes africains. Qui se souvient de Mobutu ? Thomas Sankara, de sa tombe, poursuit ses assassins et hante leur sommeil. Cheikh Anta Diop conquiert, chaque jour des cœurs et des esprits. L’Histoire avec un grand H nous invite à mériter le statut de descendants des bâtisseurs de pyramides en lieu et place du destin de mendiants planétaires dans lequel « l’ordre mondial » actuel cherche à nous confiner. Refusons et disons non à la misère de la « politique »qui nous enserre dans des politiques de la misère! Nous vallons mieux.

Amadou Tidiane WONE
Ancien Ministre
woneamadoutidiane@gmail.com

4 commentaires

  1. beukeu

    @a.sene@ Ohhh ! mon doyen , toutes mes ecxuses si vous voyez à travers mes propos une quelconque insulte ! Je ne peux le considérer comme tel puisque je suis un éducateur comme vous doublé d'un syndicaliste, appelant toujours au respect de l'autre et à la mesure dans les propos publics (comme dans l'intimité ). Je comprends pourquoi votre vision de la marche de notre temps est manifestement obsolète ! Etant membre actif du SUDES -enseignement supérieur, je trouve inconvenant qu'un ancien syndicaliste "à la retraite et désormais observateur politique" puisse se permettre de prendre les syndicalistes qui exigent de l'Etat une meilleure prise en charge de leur sort, des "syndicalistes gastronomiques (je ne sais pas d'ailleurs ce que vous appellez "gastronomique" ! Revoyez le sens des mots avant de les employer ;gastronomie = rapport avec la cuisine !!!!! Si vous voulez dire "alimentaire", c'est encore plus imprécis!). Le syndicalisme, je ne vous l'apprends pas, a toujours pris la direction indiquée par les propos de cet universitaire dont vous parlez. Peut-être que votre vie "paisible sans salaire mensuel" vous a totalement éloigné des réalités du terrain.
    Pour terminer, je tenais à préciser que je ne connais pas M.Wone et que la position que j'ai fait voir n'est qu'une position de principe et non pour des prétendus privilèges (venant de qui, d'ailleurs ?). Bon repos , doyen !

  2. Abdoulaye Séne

    j'aurais pu te renvoyer ton "gentil " commentaire juste en remplaçant mon nom par le tien! Mais peine perdue! au moins il est clair que je n'écris pas pour plaire à quelqu'un! Quand aux " privilèges" je remercie Dieu d'être toujours vivant avec un grand capital d'expérience et une vie paisible sans salaire mensuel! juste pour toi : je fus membre du SES avant sa dissolution par Senghor, membre fondateur du SUDES avant " le syndicalisme gastronomique" et maintenant" observateur politique" dans le recul de la retraite! l'insulte ne fait pas partie de mon éducation! Merci de ta contribution.

  3. beukeu

    @abdoulaye sène@ votre raisonnement est tout simplement du coq-à-l'âne mais je comprends : c'est le propre de pseudo intellectuels (et pourtant le texte de wone le signale bien) sénégalais prêts à tirer sur tout ce qui bouge sans prendre le temps de réfléchir. Ils ne réfléchissent d'ailleurs pas ; ils se contentent de râler sur les productions d'autrui. On peut tout reprocher à l'ancien ministre sauf sa forte propension à l'écriture, à l'échange. Au lieu d'entrer dans le texte, m.sène se limite aux confins et parlent de "quelques-uns" (policiers, marabouts, syndicaliste).Mais que voulez-vous : "le responsable syndical du supérieur",comme vous dites, a parfaitement de penser et de dire comme il l'a fait : dans un Etat sérieux, un salaire sa paie à l'heure. Je ne vois aucune indignité à son propos; au contraire , il est dans son rôle et l'immense majorité des syndicalistes , même dans les démocraties avancées ont les mêmes instincts et les mêmes discours (cf grève des professeurs de France, au tout début de l'année scolaire). L'égoisme, c'est plutôt votre façon hypocrite de protéger vos propres intérêts et de ne pas reconnaître à l'autre le soin de défendre les siens. M. sène, je plains votre myopie !

  4. Abdoulaye Séne

    je ne suis pas ministre! je m'étonne qu'un ancien ministre parle comme ça!!! Il était Socialiste ou devenu Libéral! N'oublions jamais que" Quand on pointe Un doigt accusateur vers quelqu'un, on pointe 3 doigts vers soi même! A mon humble avis nous Africains ne faisons que suivre la Route de la Maturation Politique et Économique comme tous les Peuples du monde. Rappelez vous par où est passée La France ou La Russie par exemple! Il n'y a pas de trajectoire linéaire pour le maturité d'un peuple! Il n' y a pas de miracles particulier! Tous ont une longue histoire de succès et d' échecs, de tragédies et de succès, tous! Le Sénégal comme beaucoup de nos pays Africains, n'a pas encore 60 ans d'indépendance! son existence même en tant que pays " unitaire" n' à pas encore 4 siècles ! La majorité de son peuple ne connait pas le " système politique" qu'On lui a amené! Pour s'en convaincre écoutez nos "Politiciens Démocrates" qui parlent , c'est comme si l'Executif était l' État ! Le peuple n'y comprend rien! Un député c 'est rien, un maire c'est moins que rien! la Police c'est du n'importe quoi etc etc! comment voulez vous construire UN ÉTAT avec de puissants lobys syndicaux et maraboutiques qui ne pensent qu'à leurs intérêts propres! Quelques uns se permettent de demander" un retour à nos valeurs traditionnelles de gouvernance"! Ah ils ne savent pas de quoi " le Damelat" était fait! Ce que "les intellectuels veulent faire le Peuple ne le connaît pas et n' aucune référence securisante qui lui permet de bien y adhérer"! Nos salaires sont souvent en retard nous allons bloquer l' ouverture des classes! Ça c' est un responsable syndical du supérieur qui vient fièrement de l'annoncer ! Pauvre Sénégal, que Dieu nous assiste face à l'égoïsme des intellectuels et des petits mar-a-bouts!

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