Les villes face aux catastrophes climatiques : diagnostic des outils de prévention et de gestion des inondations...

Les villes face aux catastrophes climatiques : diagnostic des outils de prévention et de gestion des inondations et perspectives d’aménagement du territoire.

Les inondations au Sénégal, et particulièrement dans la ville de Dakar, ne représentent que la partie immergée de l’iceberg face aux catastrophes causées par les pluies dans d’autres villes du monde. En effet, les inondations survenues à Derna, en Libye, ont fait des milliers de victimes ; de même, celles de Valence ont causé plus de 240 morts, tandis qu’à Mokoa, au Nigeria, plus de 700 personnes ont perdu la vie. À ces pertes humaines s’ajoutent des infrastructures détruites, des habitations ravagées, des services sociaux de base paralysés et des quartiers complètement dévastés. Ainsi, dans ce contexte de dérèglement climatique généralisé, aucune ville n’est véritablement à l’abri des risques naturels.

Par ailleurs, les crises climatiques au Sénégal ne constituent pas des événements atypiques, mais des réalités qui se répètent chaque année. Par exemple, en 2009, près de 380 000 personnes ont été touchées, entraînant des déplacements climatiques vers DiaKhaye. Depuis 2011, à chaque saison des pluies, Dakar et Touba, qui concentrent une grande partie de la population, subissent des pluies diluviennes aux conséquences dramatiques. Malgré les dégâts, Dakar parvient encore à se relever après chaque crise. Cependant, il est légitime de se demander s’il faut attendre que la capitale s’effondre pour agir sérieusement. Dès lors, ne serait-il pas temps de repenser l’aménagement des quartiers inondables, d’évaluer les outils de prévention et de gestion des inondations, de revoir les systèmes d’assainissement, d’adapter les politiques de gestion des risques climatiques et d’améliorer la coordination entre les services de l’État et les collectivités territoriales ?

Problèmes et diagnostic des outils de gouvernance

Premièrement, le facteur urbain explique en grande partie la vulnérabilité des villes face aux inondations. En effet, les systèmes d’aménagement restent fragiles face aux catastrophes naturelles, ce qui explique pourquoi les zones urbaines sont souvent plus touchées que les campagnes. Cette situation s’explique principalement par la transformation abusive des territoires urbains, réalisée sans laisser d’espaces tampons ou épongespermettant l’infiltration de l’eau. De surcroît, elle résulte de l’artificialisation croissante des sols, de la bétonisation continue, du bitumage des ruelles et du pavage des petites rues qui, auparavant, facilitaient l’absorption des eaux de pluie. À cela s’ajoute la surpopulation, qui accroît la demande en logements et entraîne l’urbanisation des zones de réserve, des points bas ou encore des espaces non conformes à l’habitation. Avec une densité estimée à 8 547 habitants par km², le sol de Dakar apparaît totalement utilisé, urbanisé et artificialisé. Enfin, ce phénomène est aggravé par les constructions non réglementaires et la violation flagrante des documents de planification, notamment les Schémas Directeurs d’Aménagement et d’Urbanisme (SDAU) et les Plans Directeurs d’Urbanisme (PDU).

Deuxièmement, le facteur organisationnel constitue également un obstacle majeur. En effet, le manque de coordination entre les pouvoirs publics locaux et les démembrements de l’État refait surface à chaque crise climatique. Plusieurs acteurs interviennent dans la gestion des inondations au Sénégal : ORSEC, DGPI, ANACIM, PGIIS, OMVS, les délégués de l’État et les collectivités territoriales, qu’elles soient compétentes ou non. Or, cette multiplicité d’intervenants, sans réelle articulation, engendre un chevauchement des responsabilités et un manque de clarté dans la répartition des rôles, ce qui rend le pilotage incohérent. Par conséquent, il se produit des défaillances informationnelles entre les institutions telles que l’ANACIM ou l’OMVS et les structures territoriales, ce qui bloque également la mise en place de solutions concertées et efficaces en temps de crise.

Troisièmement, le facteur technique complique encore davantage la situation. En milieu urbain, les inondations surviennent généralement par le ruissellement, le débordement des cours d’eau, l’immersion marine ou encore la remontée de la nappe phréatique. Dans tous les cas, les eaux arrivent avec une vitesse, un débit et une capacité que les infrastructures d’assainissement ne peuvent souvent pas absorber entièrement. En effet, les réseaux d’évacuation des eaux ne sont généralement pas dimensionnés pour supporter de forts volumes. De même, les bassins de rétention en ville présentent souvent une capacité inférieure à la quantité d’eau enregistrée. Par exemple, si un bassin est calibré pour 5 000 m³ et que la zone reçoit 10 000 m³ de pluie, il déborde et provoque une catastrophe.

Pistes d’aménagement du territoire

Dans ce contexte, l’idée de réaménager les quartiers touchés par les inondations constitue une solution durable et structurelle. En effet, la délocalisation est souvent la réponse la plus efficace pour limiter les catastrophes et réduire les risques, car certaines formes d’adaptation aggravent parfois la situation, notamment lorsque des populations s’installent dans des zones non aedificandi. L’exemple de l’Île-de-France illustre bien cette approche : à l’image de Dakar, c’est la région la plus peuplée et la plus riche de France. Lors de la dernière inondation, les décideurs ont opté pour un réaménagement de la place Bourdon, en procédant à la démolition des maisons endommagées et à l’acquisition du foncier, afin de prévenir de futurs risques naturels. De même, au Sénégal, après les inondations marines de Saint-Louis, 42 familles issues de la Langue de Barbarie (Guet Ndar, Santhiaba et Gokhou Mbathie) ont été relogées à Djougob (commune de Gandon), dans des unités mobiles d’habitation, dans le cadre du Projet de relèvement d’urgence et de résilience à Saint-Louis (SERRP), mis en œuvre par l’Agence de Développement Municipal (ADM).

Par ailleurs, face aux défaillances informationnelles et à la désorganisation dans la réponse entre les services de l’État, notamment l’ANACIM, l’ONAS, la DPGI et les structures territoriales, pourtant plus proches des populations sinistrées et des infrastructures endommagées, il devient crucial de repenser la prévention et la gestion des inondations au Sénégal. Cette situation souligne l’urgence d’harmoniser les stratégies entre acteurs institutionnels et territoriaux afin de mettre en place une politique inclusive de gestion des risques climatiques. Concrètement, cela pourrait passer par la création d’une cellule nationale et locale de crise, intégrant les pouvoirs publics locaux au cœur de la gouvernance.

Enfin, concernant les problèmes techniques liés aux ouvrages d’assainissement, il est nécessaire de renforcer la collaboration avec les pouvoirs publics locaux en leur apportant un appui financier, notamment à travers la cellule de crise locale, afin d’assurer le débouchage et le curage réguliers des bassins de rétention et des canaux souvent obstrués par le sable. De plus, il est essentiel d’investir davantage dans la science spatiale et la technologie pour améliorer la planification entre les prévisions météorologiques et la gestion des infrastructures. En effet, il arrive fréquemment que les services d’alerte annoncent 50 mm de pluie, alors que les précipitations réelles atteignent 100 mm. Dans ce contexte, l’intégration de l’intelligence artificielle dans la prévention et la gestion des inondations représenterait un atout majeur, car elle permettrait d’analyser plus efficacement les données, d’améliorer la précision des prévisions et de planifier de manière rigoureuse la gestion des risques liés aux pluies intenses.

Par Cheikh Ahmed Fadel Diouf, Doctorant Géographie et Consultant en Aménagement et Gouvernance territoriale.

Votre avis sera publié et visible par des milliers de lecteurs. Veuillez l’exprimer dans un langage respectueux.

5 commentaires

  1. le penseur démasqué

    Sous Macky Sall on disait que c’était une question de manque d’infrastructures et maintenant sous le régime de Sonko-Diomaye on parle de changement climatique. Ah que Macky a bon dos !


Laisser un commentaire