Le Mouton ou la Mort : Autopsie d’une Société sacrifiée*

C’est un drame qui se rejoue chaque année. Une pièce tragi-comique, jouée à guichets fermés dans tous les quartiers du Sénégal. Le rideau se lève sur une scène que nous connaissons trop bien : un père de famille, le regard vide, le visage rongé par l’anxiété, s’apprête à vendre son honneur, hypothéquer sa dignité, brader sa conscience sur l’autel d’un bélier bien dodu. Pourquoi ? Parce que Tabaski arrive. Et dans cette comédie du sacrifice, l’acte de foi est devenu une course effrénée à l’apparence.
Oui, nous sommes entrés dans l’ère du “Mouton ou la mort sociale”. Si tu n’as pas ton bélier, alors tu n’es pas un homme. Si tu ne poses pas ta bête, grasse et ornée de tresses berbères, devant ta maison, tu es un raté. Un “faible”. Un misérable. Tes enfants auront honte, ta femme fera la moue, ton voisin exhibera la sienne comme un trophée de guerre. Dans le théâtre de la Tabaski contemporaine, l’acte sacré a été vidé de son sens, travesti en démonstration grotesque de virilité économique.
On ne célèbre plus Dieu, on célèbre l’endettement. Le véritable sacrifice, c’est celui du père qui, pour faire illusion, va emprunter à des taux usuraires, vendre son téléphone, fuir le quartier ou simuler une maladie. L’hypocrisie règne en maître : on prêche la foi, mais on adore la pression sociale ; on cite le Coran, mais on oublie que le sacrifice n’est prescrit qu’à celui qui en a les moyens.
Quelle foi peut justifier que des pères de famille soient poussés au suicide moral pour acheter un mouton à 800.000 francs CFA ? Quelle piété existe dans le fait d’affamer sa famille pendant trois mois pour nourrir le regard des autres pendant trois jours ?
C’est l’ère du consumérisme halal. Le mouton est devenu le code-barres du statut social. Plus il est gros, plus ton honneur est sauf. Moins tu as, plus tu dois simuler, ou fuir. Ce n’est plus de la religion, c’est du théâtre. Le culte de l’apparence a remplacé celui du cœur. L’Islam de la sobriété a été trahi par le fétichisme du “sacrificiel spectaculaire”.
Dans cette parodie, les femmes, les enfants, les voisins sont les choristes de l’exigence. “Papa, où est le mouton ?”, “Chéri, tous les voisins ont déjà acheté !”, “Vous n’avez pas encore trouvé ?” Voilà les flèches qui percent chaque jour le cœur du pauvre père. Et dans le silence complice de l’État, des religieux et des intellectuels, la tragédie continue.
Les marchands de moutons, eux, rient. Les spéculateurs de la foi se remplissent les poches. La misère, elle, se répand. Un peuple affamé mais sacrificateur. Une nation qui préfère l’endettement au bon sens, le paraître à la paix intérieure.
Ce phénomène n’est pas anodin. Il est le reflet d’une société déchirée par une schizophrénie spirituelle. D’un côté, la foi proclamée ; de l’autre, la folie des grandeurs. D’un côté, les textes sacrés qui appellent à la mesure ; de l’autre, les pratiques sociales qui glorifient le gaspillage. La Tabaski est devenue un rituel de reproduction sociale, un mécanisme de domination morale, un concours d’orgueil.
Les vrais croyants sont aujourd’hui ceux qui osent dire non. Ceux qui résistent à la dictature du paraître. Ceux qui élèvent leurs enfants dans la sobriété. Ceux qui enseignent que la dignité d’un homme ne se mesure pas au poids d’un mouton mais à la clarté de sa conscience. Ceux qui rappellent que l’Islam n’est pas une religion de honte mais de lucidité.
Un proverbe peul dit : “Le regard du voisin n’achètera pas ton mouton.” Mais combien sommes-nous à en avoir conscience ? Dans cette folie générale, la sagesse est devenue marginale. L’ostentation est devenue norme. Le silence des mosquées face à cette dérive est assourdissant. Où sont les prêcheurs qui dénoncent ce terrorisme social ? Où sont les savants qui rappellent que “Dieu n’impose à une âme que ce qu’elle peut porter” (Sourate 2, verset 286) ?
Pendant ce temps, les riches achètent des béliers comme on achète une Mercedes. Et les pauvres s’endettent pour survivre à l’humiliation. Nous avons remplacé la spiritualité par la performance. La fête par le fardeau. L’amour de Dieu par la peur du regard des autres.
La Tabaski, jadis occasion de partage, est devenue un dispositif d’humiliation. Un système d’exclusion symbolique. Une machine à broyer les pauvres. L’hypocrisie est institutionnalisée. Les faux-semblants sont célébrés. Et la société sénégalaise continue de s’autodétruire, joyeusement, collectivement, chaque année, dans le sang d’un mouton qu’on n’a même pas les moyens d’acheter.
“Quand l’âme est à découvert, les habits du paraître n’ont plus d’utilité.” Et pourtant nous continuons à cacher notre pauvreté derrière des toisons de bêtes qui n’apporteront ni baraka, ni paix, ni sens.
Il est temps de réveiller les consciences. De désacraliser l’excès. De re-spiritualiser l’essentiel. De casser l’idole sociale du mouton. Car à ce rythme, ce n’est plus seulement le mouton que nous sacrifions. C’est nous-mêmes.
*Vieux macoumba mbodj
Sociologue
Oui le silence complice de l’Etat .
Au Maroc on a
Ntetdit de tuer une bete
« le silence complice de l’État », qu’est ce que vous voulez que l’Etat fasse exactement ?
C’est surtout aux individus de se détacher du poids qu’il donne à la vision des autres. Quelle importance que je n’ai pas de mouton alors que les autres en ont ? Pourquoi comparer mon achat à celui de mon voisin ? Je sacrifie pour Dieu si j’en ai les moyens sinon kmje prie pour qu’il me permette de les avoir l’année suivante
Les maîtres du monde veulent remplacer progressivement la consommation de viande naturelle par la consommation de viande artificielle ( produites dans des « fermes verticales » ) et par la consommation d’insectes ( qui sont des animaux impurs donc interdits par Dieu ).
Donc tous les gouvernements contrôlés par les maîtres du monde font tout ce qu’ils peuvent pour priver leurs citoyens respectifs de la capacité de consommer de la viande naturelle.