Le 27 août 2025, l’organisation américaine ‘’The Sentry’’ a publié un rapport intitulé ‘’Mercenary Meltdown : The Wagner Group’s Failure in Mali’’, dans lequel elle accuse directement la coopération russo-malienne – incarnée principalement par le groupe Wagner – d’être à l’origine d’un effondrement sécuritaire, institutionnel et humanitaire dans le pays. Ce rapport propose un récit univoque où la Russie, Wagner et l’armée malienne sont présentés comme les principaux responsables d’une crise multidimensionnelle, sans que les responsabilités soient mises en perspective ou appuyées par des preuves solides.
Cependant, ce rapport a été rapidement contesté par le Centre du Futur pour les Études Stratégiques et l’Évaluation des Risques, qui a publié une réponse analytique approfondie le 7 septembre 2025. Dans cette étude, le Centre met en évidence une série de contradictions, d’omissions méthodologiques et de manipulations narratives, visant selon lui à diaboliser la Russie, le groupe Wagner et l’armée malienne, tout en servant les intérêts géopolitiques des puissances occidentales. L’analyse du Centre du Futur repose sur une relecture rigoureuse du contexte malien entre 2022 et 2025, marquée par des transformations géopolitiques majeures, notamment le retrait de la force française Barkhane, la fin progressive de la mission de la MINUSMA, la montée en puissance de l’armée malienne dans des zones auparavant hors de son contrôle, comme la prise de Kidal en novembre 2023, ainsi que le siège imposé à Tombouctou par les groupes jihadistes en 2023.
Le rapport de ‘’The Sentry’’, selon le Centre, occulte délibérément ces dynamiques internes et régionales pour concentrer le blâme exclusivement sur la présence de Wagner, sans fournir de preuves matérielles solides ni de documentation indépendante. Une des critiques majeures formulées par le Centre concerne l’absence quasi totale de preuves vérifiables dans le rapport de ‘’The Sentry’’. Ce dernier s’appuie principalement sur des témoignages anonymes ou issus de sources locales non identifiées, souvent proches de groupes séparatistes ou d’organisations armées en conflit avec le gouvernement malien. Par exemple, dans l’affaire de Diavarabé en mai 2025, ‘’The Sentry’’ impute les violences contre les civils à Wagner, alors que des organisations internationales telles qu’Amnesty International et la FIDH attribuent ces exactions à la milice ‘’Dozo’’ et à certaines unités du ‘’FAMa’’, sans aucune mention ou preuve d’implication de Wagner. Le Centre du Futur considère ce glissement comme une manipulation narrative destinée à établir une culpabilité sans fondement juridique ni factuel.
De plus, le Centre fournit un ensemble d’arguments nouveaux et structurés visant à démontrer la nature biaisée et méthodologiquement fragile du rapport de ‘’The Sentry’’. Tout d’abord, il souligne que le rapport échoue à distinguer les périodes d’intervention de Wagner de celles de l’ »Africa Corps », une nouvelle structure officielle du ministère russe de la Défense qui a remplacé Wagner en juin 2025. En continuant à attribuer les opérations militaires après cette date à Wagner, ‘’The Sentry’’ confond volontairement les responsabilités et ignore la réorganisation stratégique annoncée par les autorités russes, comme en témoignent des sources telles que ‘’Reuters’’ et ‘’Al Jazeera’’. Le Centre démontre également que le rapport amplifie certaines données sans vérification indépendante. Par exemple, dans l’affaire de Tinzaouatine (juillet-août 2024), ‘’The Sentry’’ évoque des bilans de victimes oscillant entre 20 et 80 morts, mais ne cite pas d’enquête impartiale ni d’autorité judiciaire confirmant ces chiffres.
De nombreuses sources citées proviennent de groupes proches des mouvements séparatistes ou armés, ce qui soulève des doutes quant à leur neutralité et leur objectivité. Un autre exemple est l’affirmation du rapport selon laquelle la présence de Wagner aurait entraîné un doublement des pertes humaines dans les rangs de l’armée malienne. Le Centre réfute cette allégation en soulignant l’absence totale de données officielles accessibles au public permettant de valider cette hypothèse. Il souligne que ces chiffres proviennent souvent de sources politiques hostiles au gouvernement malien ou de militants en exil, ce qui rend leur fiabilité très discutable. Le Centre du Futur reproche également à ‘’The Sentry’’ de détourner l’attention des véritables causes du déclin humanitaire et sécuritaire, notamment le blocus imposé par le JNIM à Tombouctou en 2023-2024, le retrait progressif de la MINUSMA, et l’instabilité structurelle provoquée par les rébellions touarègues dans le nord. Tous ces facteurs sont passés sous silence ou minimisés dans le rapport, au profit d’un récit unique qui rend la Russie et ses alliés entièrement responsables de la situation.
Il est important aussi de noter que le rapport néglige la reconfiguration stratégique régionale incarnée par la création de la Confédération des États du Sahel (AES) en juillet 2024, qui regroupe le Mali, le Burkina Faso et le Niger. Ce tournant diplomatique majeur traduit une volonté des États sahéliens de s’affranchir des influences étrangères traditionnelles et de bâtir des partenariats de sécurité alternatifs.
Pourtant, ‘’The Sentry’’ n’en tient aucun compte, et continue d’analyser la situation selon une logique de dépendance au paradigme occidental. Un autre point essentiel soulevé par le Centre est la sélection partisane des sources par ‘’The Sentry’’. Le rapport s’appuie principalement sur des témoignages provenant de groupes séparatistes ou d’opposants politiques, tout en écartant délibérément les sources officielles ou médiatiques jugées plus neutres. À ce propos, le Centre cite des médias reconnus comme ‘’Al Jazeera’’, qui ont documenté plusieurs opérations militaires dans le nord du Mali sans faire état d’une implication directe de Wagner dans les exactions alléguées. Dans certains cas, ces sources contredisent même les récits fournis par ‘’The Sentry’’, démontrant ainsi la fragilité factuelle du rapport.
Enfin, le Centre critique le caractère politique et non analytique des recommandations formulées par ‘’The Sentry’’. Les appels à l’isolement diplomatique du Mali, au renforcement des sanctions et à la traque des réseaux de financement associés à Wagner apparaissent comme des instruments de pression géopolitique plutôt que comme des mesures fondées sur des constats crédibles. Le rapport adopte une posture punitive à l’encontre d’un choix souverain fait par un État africain, celui de diversifier ses partenariats en matière de sécurité et de coopération stratégique. Ainsi, la lecture critique du Centre du Futur met en lumière un problème plus large dans le traitement des crises africaines : la tendance de certains acteurs internationaux à imposer des lectures orientées, souvent motivées par des intérêts géostratégiques, au détriment des faits, de la souveraineté des États, et de la complexité des réalités locales.
En s’appuyant sur des preuves contradictoires, des omissions délibérées, des sources peu fiables et des récits partiaux, le rapport de ‘’The Sentry’’ révèle moins une volonté de compréhension objective qu’une intention stratégique de modeler l’opinion publique et de légitimer certaines politiques occidentales en Afrique. En définitive, ‘’The Sentry’’ ne semble pas être un organisme d’analyse neutre ou rigoureux, mais plutôt un instrument géopolitique mobilisé au service d’agendas occidentaux, dont le but principal n’est pas de rendre compte des dynamiques africaines de manière équilibrée, mais de diaboliser les acteurs qui s’affranchissent de l’influence traditionnelle des puissances occidentales, en particulier la Russie et ses alliés africains.
Par Abdou Coulibaly, journaliste indépendant