Lorsqu’une société donnée ne s’identifie plus aux valeurs qui, jadis , fondaient son unité, faisaient son identité et préservaient son équilibre, elle poursuit la voie qui mène à la perdition. Cette voie-là éteigne, comme les bourrasques éteignent les bougies du matelot, les belles voix qui narraient notre geste commune, les exploits guerriers de nos rois et les moments de gloire de nos aïeux. Une telle société ne perçoit plus le sifflement des vents du divin, de la mystique et de la paix intérieure. Ses fils les moins chanceux, telles des épaves humaines, vocifèrent , déblatèrent, et creusent, par conséquent, la tombe de la concorde et laisse croître l’arbre du mal, celui de la haine, des invectives et des insultes. Les ramparts d’une telle société s’effilochent. Ses intellectuels se recroquevillent dans leurs salons et renoncent au débat public. Ses juges vilipendés tergiversent avant de prendre une décision quelconque, ses enfants échouent en masse aux examens, ses éducateurs constatent leur lamentable échec et ses scribes et moralisateurs se cachent pour échapper à des avalanches d’insultes et d’insanités. Les politiques d’une telle société pensent et agissent au gré des humeurs de la foule dont l’autre disait qu’elle ne réfléchit ni n’agit dans le discernement.
Michel Foucault disait qu’on juge une société à la manière dont elle juge ses fous. Le paraphrasant, j’affirme sans hésiter : « On juge une société à la manière dont elle juge ses artistes». Si dans la Grèce antique, Platon considérait les artistes comme étant des êtres dangereux dans la mesure où, selon le theoricien du mythe de la caverne, les artistes ne nous présentent que des apparences, ici, en Afrique, l’on a toujours pris les artistes voire les traditionalistes pour des gardiens du temple, des veilleurs de la cité, qui nous invitent, pour parler comme Picasso, à « ouvrir l’oeil intérieur de l’imaginaire», lequel oeil nous permet de percevoir au- delà du réel, en un mot, la surréalité.
Les artistes, vigies des temps modernes, gardiens de notre identité, tisseurs de liens et surtout propagateurs de vertus, méritent plus que des éloges. Ils ne doivent pas être jetés au cloaque comme nous le constatons avec le Maître de la Parole, Boucounta Ndiaye, un des monuments de la culture sénégalaise. Peu de catégories Socio-professionnelles trouvent une place dans la Constitution. Depuis, l’avènement de Wade à la magistrature, le Président de la République passe pour un protecteur des arts, des lettres et des artistes. Au nom de cette consécration faite à ceux qui restituent le passé, cogitent le présent et scrutent, de leurs yeux ouverts sur tout, le futur, aucun artiste ne doit être cloué au pilori ni colomnié. Il appartient aux autorités de mettre de l’ordre dans la société afin qu’elle redevienne ce qu’elle était: un espace de convialité, d’amour réciproque, de vérité collective et de compréhension mutuelle.
El Hadji Ibrahima Mboup
Professeur de Lettres