« Cette vérité que l’on ne saurait cacher » Par Boubacar Boris Diop, Felwine Sarr et Mohamed Mbougar Sarr

La situation en cours résulte de la dérive autoritaire du président. L’hubris d’un pouvoir qui emprisonne ou exile ses opposants les plus menaçants, réprime les libertés et tire sur son propre peuple avec une révoltante impunité.

Il convient, tout d’abord, de nous incliner devant nos morts et d’avoir une pensée pour leurs proches endeuillés. Ils sont une vingtaine, à l’heure où nous écrivons cette tribune, à avoir déjà perdu la vie. Ce décompte lugubre pourrait croître dans les jours qui suivent.

Les événements en cours exigent de chacun qu’il prenne ses responsabilités. Nous affirmons que la situation que vit actuellement notre pays résulte de la dérive autoritaire du président Macky Sall. En 2012, notre confiance l’a placé à la tête de l’État sénégalais. Mais mû par son désir de se maintenir à tout prix au pouvoir, il s’est promis de « réduire l’opposition à sa plus simple expression ». Le président Macky Sall a ainsi semé les graines de la discorde et de la violence dans notre pays. Sa responsabilité devant le peuple sénégalais est sans appel. L’Histoire retiendra que c’est lui qui nous a entraînés dans cette crise politique sans précédent, fragilisé notre tissu social et affaissé nos Institutions. Il a de surcroît imprudemment libéré les monstres qui sommeillent en chaque groupe humain et qu’il convient de toujours brider par une pratique de la justice, de l’égalité des citoyen.ne. s et de la paix sociale.

Si nous en sommes arrivés là, c’est parce que nous, le peuple sénégalais, n’avons pas assez réagi quand le régime en place s’est mis à traquer les militants et les cadres de Pastef en plus bien évidemment de son leader, Ousmane Sonko. Il y a pourtant eu des signes avant-coureurs – que nous n’avons hélas pas su décrypter – de cette campagne de répression systématique et sans précédent au Sénégal.

Depuis quelque temps, en effet, tous ceux qui osent élever la voix contre une troisième candidature du président sortant en font immédiatement les frais. Peu à peu, les interdictions de marches pacifiques sont devenues la règle ; les arrestations et emprisonnements arbitraires se sont multipliés. Dans un tel contexte de brutale fermeture de l’espace politique, les procès aux verdicts ubuesques et la séquestration illégale d’un dirigeant de l’opposition en sont venus à paraître d’une inquiétante banalité.

La nature socratique du verdict du procès d’Ousmane Sonko a fini par convaincre que ce n’était pas la manifestation de la vérité qui était visée, mais bel et bien l’élimination d’un opposant politique dans la perspective des prochaines élections présidentielles. Elle pose surtout le problème de notre appareil judiciaire dont la fragilité et la fébrilité sont apparues au grand jour.

En vérité nous sommes tous témoins, depuis plusieurs mois, de l’hubris d’un pouvoir qui emprisonne ou exile ses opposants les plus menaçants, réprime les libertés (notamment celles de la presse) et tire sur son propre peuple avec une révoltante impunité. Nous sommes aussi tous témoins des errements d’un État désireux de rester fort à tout prix – ce prix fût-il celui du sang, de la dissimulation, du mensonge -, oubliant qu’un État fort est un État juste, et que l’ordre se maintient d’abord par l’équité.

A cette réalité brute, l’appareil idéologique du régime en place a répondu que rien ne se passait ; et que ceux qui se trouvaient en prison étaient des individus qui avaient contrevenu aux règles, violé la loi, ou mieux, n’avaient pas respecté les règles de l’État de droit. Par un étrange renversement de perspective, ceux qui ont affaibli et décrédibilisé les Institutions de la République – notamment la Justice, devenue partisane -, les mêmes qui ont rompu l’égalité des citoyens devant la loi, sont ceux qui s’en proclament les gardiens.

Aux citoyen.ne.s dénonçant cet état de fait, on oppose une batterie de chefs d’inculpation allant de la diffusion de fausses nouvelles au discrédit jeté contre les Institutions, en passant par l’appel à l’insurrection, pour justifier l’appareil répressif mis en place contre eux. Par ces actes, c’est toute la conscience démocratique de la société civile sénégalaise qui est réprimée, sommée de rentrer chez elle et de baisser pavillon. Ce désir d’instiller la peur chez les citoyens et d’inhiber ainsi toute velléité de protestation par le langage et le discours a cependant quelque chose de profondément anachronique : les Sénégalais.e.s sont attachés à leur liberté de parole et ils n’y renonceront pas.

Un autre déni majeur est celui de la demande de justice sociale et de justice contentieuse de la part d’une jeunesse qui représente 75 % de la population sénégalaise. Cette jeunesse, en plus de manquer de perspectives, n’a pas d’espace d’expression politique et voit ses rêves d’une société plus équitable hypothéqués. Nous voyons enfin des populations, déjà précaires et laissées à elles-mêmes, aux prises avec les problèmes élémentaires du quotidien le plus rude. Elles observent avec tristesse et impuissance la frénésie accumulatrice d’une caste qui s’enrichit illicitement, cultive un entre-soi indécent et répond, quand on l’interpelle ou lui demande des comptes, par le mépris, la force ou, pire, l’indifférence. Une caste que rien ne semble plus pouvoir affecter, ni la misère sociale, ni sa propre misère morale : voilà le drame.

Aujourd’hui, comme hier, le langage, lieu primal de la lutte de la vérité contre le mensonge, demeure fondamental. La première des compromissions consiste à ne pas nommer ce qui est, à l’esquiver, à l’euphémiser, à le diluer par des tours de passe-passe sémantiques, ou à tout bonnement travestir la réalité. La première des oppressions qui nous est faite est d’avoir tenté par moult opérations de nous obliger à prendre le mensonge pour la vérité. Pour cela, l’appareil idéologique de l’État a tourné à plein régime en produisant des discours ayant pour objectif de voiler le réel.

Nous tenons à alerter à travers cette tribune sur l’usage excessif de la force dans la répression du soulèvement populaire en cours. Symbole de la violence de l’État contre la société, cette répression prend aujourd’hui une forme nouvelle et particulièrement inquiétante. Il s’agit, ni plus ni moins, de la « dé-républicanisation » des forces de défense et de sécurité auxquelles ont été intégrées des milices armées opérant au vu et au su de tous. En agissant de la sorte, le régime actuel est en train de faillir à son devoir de protéger le peuple sénégalais.

Une autre dimension de l’oppression est le gouvernement par la violence et la peur que le régime actuel a méthodiquement mis en œuvre depuis un certain temps. L’intimidation des voix dissidentes, la violence physique, la privation de liberté ont été une étape importante du saccage de nos acquis démocratiques.

Nous n’ignorions pas, après 1963, 1968, 1988, 1993, 2011 et 2021, que l’histoire politique du Sénégal charriait sa part obscure de violence. Mais de toutes les convulsions qui ont agité l’histoire moderne de notre pays, celle qui se déroule sous nos yeux nous semble être la plus simple à résoudre et, par ce fait même, la plus tragique en ses conséquences actuelles. Il suffirait qu’un homme dise : Je renonce à briguer un troisième mandat qui déshonorerait ma parole d’homme, mon pays et sa Constitution, pour que la colère qui s’exprime dans les rues sénégalaises en ce moment même, sans disparaître tout à fait, s’atténue. Cet homme, c’est le président de la République. Qu’il annonce que les articles L29, L30 et L57 du Code électoral seront révisés, que le parrainage sera aboli afin de rendre les élections inclusives et que tous les prisonniers politiques et d’opinion seront libérés pour que la tension baisse, et que la paix ait une chance de revenir.

La vague de violence qui secoue le Sénégal depuis plusieurs jours n’est pas seulement liée à une conjoncture politique passagère : elle est aussi structurelle, profonde, ancienne. Elle traverse tous les pans de la société sénégalaise, et traduit une foi perdue dans l’État de droit ainsi que le désir d’une plus grande justice (sociale), que garantirait un pacte démocratique renouvelé. Toute la question est de savoir si le pouvoir actuel a encore le temps, la latitude, la volonté de mettre un terme à une spirale de violence dont il nous semble qu’il est, tout compte fait, le principal responsable. La voie royale vers une paix durable est cependant dans la réhabilitation de la Justice et dans l’édification, cette fois-ci, d’une société véritablement démocratique. Il s’agira après la tempête, de refonder le pacte Républicain, de construire d’authentiques contre-pouvoirs, de reformer en profondeur nos Institutions, de sortir de notre hyper-présidentialisme afin de ne plus conférer à un seul individu un pouvoir sans limites et sans contrôle.

14 COMMENTAIRES
  • otis

    Ces écrivains pyromanes doivent se taire. Ils sont où actuellement? Certes Macky Sall est fautif mais ce quon vit actuellement dépasse votre argumentaire. Banissons dabord cette violence inouie pour sauver des vies et rétablir notre économie. Après on soccupera du cas macky sall

    • Soweto

      Ferme ta sale gueule badola kharame de merde va chercher du travail c mieux pour toi

  • niul

    Merci pour ces paroles de vérité. Il faut un moment donné s’arrêter et après analyse, dénoncer froidement les causes de la situation actuelle.
    A tout ces « Kilifas » et surtout les journalistes fumistes qui voient la vérité depuis belle lurette et n’ont jamais osé la dire: cette arrogance dans la gouvernance, ces manipulations manifestes de la justice, cette répression des idées opposées… Tout le monde a vue, tout le monde sait mais par hypocrisie, certains préfèrent se tairent croyant qu’ils ne seront jamais inquiétés….

  • no borisse

    De vrais farceurs ces types.
    Actuellement, nous avons besoin d’apaiser les tension et ce qui doit être dit sera dit.
    C’est malhonnête de tirer sur un camp et de ménager l’autre.
    La responsabilité première de Macky est engagée mais tous les autres, y compris les familles, l’opposition, … tous coupables d’une façon ou d’une autre

    • Nbd

      Diam day lalou si deug. Si on veut la paix il faut osee dire la vérité à ce dictateur en carton qui fait chier tt le monde. Le respect ça ne s’impose ça se gagne. Mais vouloir de force imposer sa volonté au peuple. On ne l’acceptera jamais.

  • Ndiaye diatta

    Vous osez dire la vérité? Vous ne savez même pas ce que vous venez de faire en donnant votre avis. Il est interdit de dire la vérité dans ce pays. Ils vont vous traquer, vous traiter d’opposants déguisés et finalement vous foutre un procès au cul et vous serez condamnés malheureusement.
    Pour ma part je vous dit merci et bonne chance pour la suite qui sera compliquée pour vous, je n’espère pas.

  • SYLLA

    je me réjouis que des intellectuels de cette trempe prennent leurs responsabilités. je me réjouis davantage de voir que des valeurs telles que l’intégrité et le courage n’ont pas déserté le coeur de ces hommes de pensée et de plume. A l’heure où le mensonge, la dissimulation et la vénalité sont érigés en régle afin de masquer les tares d’un régime liberticide,le combat pour la vérité et la démocratie doit demeurer vivace

  • Diackou

    Enfin un discours qu’on attendait de part de nos intellectuel s’il en restait encore car la plupart à depuis longtemps pris place autour de la grande table du banquet tout de même mieux vaut tard que jamais .

  • Soweto

    Revue merci à vous écrivains et compatriotes

  • baba

    De veritable connards ces disants donneurs de lecons.

  • Jambalo

    Et Le rêve de 3 mandat tomba dans l,ocèan perdu à jamais

  • Laz

    Que vaut la parole de ces trois dits intellectuels. Leur analyse de la situation est erronée et ne repose que sur des accusations gratuites et partisanes ce qui montre à quel point ils sont passés à côté. La paix et la stabilité du pays devrait les amener à faire des propositions objectives pour une sortie de crise. Ce qui me déçoit c’est d’entendre le Pr SARR verser dans dans ce comportement. Peut-être qu’ils sont certainement membres de pastef et c’est leur droit. Ne pas dire la vérité, c’est de voir un citoyen se lever et défier l’État, notre bien commun et notre raison d’être. Occulter cela est synonyme de lâcheté et de parti pris flagrant pour des intellectuels de ce niveau.
    Dire la vérité aux différents protagonistes et faire des propositions concrètes de sortie de crise, doit fonder notre posture à nous tous.
    Quand l’état est menacé, nous devons nous lever tous et faire en sorte de le vivifier et de lui donner toute qui lui revient.

  • Malick

    Ne faites surtout pas attention aux commentaires de ceux qui sont payés…
    Mme Aminata Touré nous avais averti il ya des jeunes qui inondent la toile du matin au soir pour casser l’opposition…

  • MOHAMMED

    MACHALLAH

Publiez un commentaire