Urbanisation, pénurie d’eau potable en milieu urbain et municipalisation de la gestion de l’eau au Sénégal

Selon une étude de TheGlobalEconomy, un citadin sénégalais utilise en moyenne 62 litres d’eau potable par jour. Rapportée à la région de Dakar, où la population est estimée à 4 157 756 habitants (ANSD, 2025), cette consommation correspond à environ 257 780 872 litres par jour, soit 257 780 m³, et près de 94,09 millions de m³ par an, sans prendre en compte les besoins en eau des administrations publiques et des services privés. Malgré la distribution conséquente assurée par les sociétés concessionnaires comme SEN’EAU et l’apport des producteurs d’eau embouteillée, notamment Kirène, Casamancaise et Séo, ainsi que l’installation de nombreuses fontaines dans les quartiers, l’approvisionnement reste insuffisant face à l’essor démographique rapide et à l’expansion urbaine des villes sénégalaises.

La forte demande en eau potable s’explique également par les usages domestiques liés aux tâches d’assainissement et d’hygiène. Par exemple, Dakar compte 238 511 ménages (ANSD, 2024), sans inclure les foyers collectifs, estimés à environ 15 000 structures telles que les casernes, internats, hôpitaux, hôtels, établissements pénitentiaires et autres infrastructures sociales, éducatives ou environnementales. Cette pression sur la ressource est par ailleurs renforcée par la concentration d’activités économiques nécessitant de grands volumes d’eau, c’est-à-dire la consommation industrielle et celle des entreprises commerciales. La capitale concentre à elle seule 54 % du tissu industriel national, auxquels s’ajoutent les besoins du secteur informel.

La problématique de l’eau en milieu urbain se situe donc à un tournant, avec des pénuries et tensions croissantes autour de sa disponibilité, dans un contexte marqué par l’urbanisation accélérée, la privatisation de la gestion, les conflits d’usage, les difficultés techniques, les crises récurrentes, la tarification et surtout la gouvernance. Dès lors, plusieurs questions se posent : qui doit fixer la politique de l’eau au niveau local ? Les usagers participent-ils réellement à sa gestion ? Faut-il revoir les systèmes actuels d’organisation ? Quelle est la part de responsabilité des acteurs publics locaux ? La décentralisation de la gestion constitue-t-elle une réponse adaptée aux défis urbains ?

À l’état actuel, au Sénégal, la compétence en matière d’eau potable n’est pas confiée aux collectivités territoriales. Elle relève de l’État qui, par l’intermédiaire de ses démembrements, l’OFOR (Office des Forages Ruraux) et la SONES (Société Nationale des Eaux du Sénégal), délègue l’exploitation à des opérateurs. En zone urbaine, c’est la SEN’EAU qui assure ce service, tandis qu’en milieu rural, la gestion est confiée à des fermiers tels que SEOH, AQUATECH, SOGES, FLEXEAU et FDER. Ces exploitants se chargent de la distribution, de la facturation et du suivi du service. Toutefois, les ouvrages hydrauliques demeurent la propriété exclusive de l’État. Leur maintenance est également assurée par les structures techniques étatiques.

Cependant, les municipalités, malgré des ressources financières limitées, prennent souvent en charge la maîtrise d’ouvrage de projets d’approvisionnement et d’assainissement de petite envergure, en partenariat avec les services compétents de l’État. C’est dans ce cadre que l’OFOR a signé une convention avec l’Association des Maires du Sénégal (AMS) pour une gestion intégrée des ressources hydriques à l’échelle locale. Malgré ces initiatives, la question de la gestion de l’eau demeure une problématique quotidienne au niveau des structures territoriales. Les inquiétudes portent sur la qualité et la quantité disponibles, les coupures fréquentes, la tarification, les pertes techniques (fuites), le manque de participation citoyenne dans les décisions, ainsi que l’absence des communes dans la négociation et la signature des contrats d’exploitation.

Dans cette optique, transférer la gestion de l’eau aux collectivités représenterait une opportunité majeure pour les élus locaux d’exercer pleinement cette compétence et de décider, au sein des conseils municipaux, des orientations stratégiques : adoption d’une politique locale de l’eau, élaboration de « plans bleus » pour préserver et optimiser la ressource, négociations avec les fermiers et concessionnaires sur la qualité, la quantité et les tarifs, tout en intégrant l’avis des habitants. Cette implication citoyenne pourrait se traduire par des séances extraordinaires du conseil municipal pour discuter et co-décider des modalités de gestion, conformément à l’article 7 du Code général des collectivités territoriales (CGCT).

En outre, la responsabilisation des élus contribuerait également à réduire les tensions récurrentes entre exploitants et populations, comme en témoigne le slogan « AQUATECH DÉGAGE » entendu dans certaines zones. Elle permettrait de limiter le nombre d’intervenants, de clarifier les missions et de renforcer la lisibilité des responsabilités entre distributeurs et autorités locales, sans dépendre systématiquement de l’État pour chaque décision.

Enfin, cette approche s’inspire d’expériences locales réussies dans d’autres secteurs déjà gérés efficacement par les communes, sans intervention directe du pouvoir central. Par exemple, Ndiob a mis en place un plan local de développement agricole durable ; Kolda a instauré un programme municipal de gestion des déchets ; Rufisque a initié des politiques locales de voirie et d’assainissement financées par le budget communal et des partenariats. De même, Saint-Louis et Ziguinchor disposent déjà de comités locaux de l’eau regroupant élus, techniciens, associations de consommateurs et opérateurs privés, afin de planifier les investissements, contrôler la qualité de l’eau et sensibiliser à l’économie de la ressource.

Cheikh Ahmed Fadel Diouf, Géographe et consultant en décentralisation et Gouvernance territoriale .

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