Durant ces dernières années, des polémiques, des cycles de tensions et des cas d’homicides, découlant de la manifestation du Kankourang, ont été notés.
Ceux-ci constituent des symptômes de maux bien plus profonds, qui exigent des mesures d’urgences exceptionnelles impliquant les communautés, les experts, les organismes non gouvernementaux et l’Etat du Sénégal.
Pour le rappel historique, le Kankourang est le masque sacré qui apparait durant la manifestation initiatique qui porte également le même nom. Mbour est la ville la plus septentrionale dans laquelle des souches originelles mandingues, venues principalement du Sud-est du grand Mandé, perpétuent cette tradition depuis plus d’un centenaire.
Cette communauté, se réclamant du Woyi et du Gabu, a su faire preuve de résilience et de persévérance afin de bien s’adapter et de survivre dans un environnement urbain dynamique très ouvert aux influences de la modernité.
Les activités économiques foisonnantes sont à la base de l’attractivité de la commune qui est devenue un vrai melting-pot.
Ainsi, quand l’expansion territoriale de la ville et les changements climatiques ont eu raison des derniers quartiers de bois, les sites de réclusion se sont repliés à l’intérieur de la cité qui offre plus de sécurité et de sérénité aux jeunes circoncis, soumis à l’initiation du Kankourang. En étudiant les conditions d’installation et la trajectoire historique de la communauté mandingue dans la localité, nous retrouvons une forme d’ouverture qui offre des possibilités d’intégration aux autres membres des groupes ethniques à travers le mariage pour les femmes ou l’initiation pour les hommes (bauf).
La zone de Mbour a contribué activement à la réputation nationale du Kankourang à cause du sérieux que les dépositaires accordent à leur patrimoine ancestral et l’engouement général noté aux seins des populations locales.
La musique, les danses, les chants et les accoutrements conservent des sens que seuls les initiés sont capables de décortiquer, effacent les individualités et fusionnent les participants dans un ensemble culturel homogène et mouvant. La liesse population notée témoigne de la puissance de l’entité sociale mère de la cérémonie du Kankourang. Depuis plusieurs décennies, à chaque mois de septembre, les mbourois se mobilisent pour célébrer cette expression culturelle qui a un impact économique réel.
À cause de la valeur universelle exceptionnelle du Kankourang du point de vue de l’histoire, de l’art et la science, l’Etat du Sénégal, associé à la République sœur de la Gambie, a proposé avec fierté son inscription sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’Unesco en 2005. Inscrit en 2008, il sera rejoint sur la liste par le Xooy, une cérémonie divinatoire chez les Sérères, en 2013 et par le Ceebu jën, art culinaire du Sénégal en 2021.
Ces classements sont en soi des titres de reconnaissance, des consécrations du génie de communautés qui ont secrété des attitudes, des connaissances et des savoir-être exceptionnels en vue de constituer et d’entretenir leurs âmes.
Malgré, le retard dans la mise en place de mesures pour pallier l’absence de cadre théorique et normatif visant la préservation du patrimoine culturel immatériel, les groupes ethniques ont continué à garder intactes les structures de socialisation et les canaux de retransmission de leurs patrimoines, en dépit du rouleau compresseur de la modernité.
En soi, la convention de l’Unesco de 2003, constitue un grand pas dans la gestion du patrimoine culturel immatériel qui caractérise les civilisations négro-africaines. Il identifie les caractéristiques du patrimoine immatériel, fixe les critères de classement et définit les limites à surveiller et les conditions d’intervention en cas de péril.
Dans le document portant les Directives opérationnelles de la convention sur le patrimoine culturel immatériel de 2003 de l’Unesco réactualisé, l’Assemblée générale des États parties demande expressément à chaque Etat de :
« Adopter des mesures juridiques, techniques, administratives et financières appropriées, notamment à travers l’application des droits de propriété intellectuelle, du droit au respect de la vie privée et de toute autre forme appropriée de protection juridique, afin de s’assurer que les droits des communautés, groupes et individus qui créent, détiennent et transmettent leur patrimoine culturel immatériel sont dûment protégés » (Unesco : 2024-57)
Devant à la situation actuelle dans le département de Mbour, la responsabilité de l’Etat est plus que jamais engagée face à la crise dans laquelle cette belle expression culturelle est désormais profondément empêtrée.
Les aspects économiques et folkloriques ne peuvent guère prévaloir sur la sacralité et les valeurs sociales du Kankourang et ouvrir la porte à des dérives dommageables à sa réputation.
Il ne s’agira pas seulement de produire des lois et des arrêtés pour freiner le processus de banalisation de cet extraordinaire legs ancestral. Pour ce patrimoine culturel immatériel, dynamique de nature, il faut une stratégie de prise en charge globale incluant une démarche prospective en vue d’anticiper sur la trajectoire.
Mieux, il est absolument nécessaire de l’inclure dans la stratégie nationale de développement durable en valorisant ses fonctions pédagogique, symbolique, identitaire et économique. Pour cela, il serait important d’explorer avec les communautés, les pistes que nous offre le monde moderne, celles qui ont fait leurs preuves ailleurs. Les centres d’interprétations, les musées, les supports didactiques, l’audiovisuel, les jeux, etc., les possibilités foisonnent. Cependant, la mobilisation des moyens humains et matériels et une implication au niveau central seraient nécessaires. Dans ce processus, l’Etat devrait également aider :
« à respecter la nature de ce patrimoine et les situations spécifiques des communautés, groupes ou individus concernés, en particulier leur choix de gestion collective ou individuelle de leur patrimoine, tout en leur offrant les conditions nécessaires à la pratique de leurs expressions créatives ».
Le cas échéant, si le cours des transformations sociales continue, sans une sérieuse prise en compte des facteurs identitaires, l’implosion serait inévitable.
Quelle puissance économique s’est érigée sans les basses d’une identité forte alimentée par la fierté d’appartenance à un peuple fort et créatif ?
Face à la sagesse asiatique, la combativité américaine et la fierté européenne, la Téranga seule ne suffira pas pour briller au firmament des nations prospères. Le modèle de développement dont nous aspirons doit forcément être sous-tendu par une approche scientifique centrée sur l’humain.
Le Kankourang, à l’image des toutes les expressions culturelles chères aux communautés de la Sénégambie, constitue encore une sentinelle, une capsule extratemporelle conservant encore les graines à semer pour alimenter notre essence afin de survivre au péril qui nous guette.
Dr Mandiaye Fall, Expert en patrimoine culturel*
Merci mais nous qui ne sommes pas du gabu on voit un mec déguisé en paille qui se promene en ville avec deux machettes accompagnés de costauds armés de gourdins qu’on n’a le droit de croiser au péril de notre intégrité physique