Lettre fraternelle à Hamet Ly : entre mémoire, résistance et dignité ...

Lettre ouverte à Monsieur Hamet Amadou Ly
Journaliste 38 eme promotion CESTI , défenseur inlassable de la langue et de la culture Pulaar

Monsieur Hamet Amadou Ly,

En ces temps d’agitation où l’émotion semble parfois étouffer la raison, je ressens le devoir moral et fraternel de m’adresser publiquement à vous, non pour vous défendre (car nul ne défend le soleil lorsqu’il brille) mais pour réaffirmer, face aux vents contraires, la justesse de votre posture et l’immensité de votre œuvre.

À la suite d’un commentaire discret et lucide que vous avez formulé dans un cadre privé, vous avez fait l’objet de menaces aussi absurdes qu’indignes, pour avoir simplement rappelé une règle cardinale du journalisme : se poser les bonnes questions. Ce qui devrait être salué comme une démarche de bon sens a été perçu, par certains, comme un blasphème. Et cela, Monsieur Ly, est tout simplement inacceptable.

Car enfin, que vous êtes-vous permis, sinon de vous interroger sur un phénomène devenu viral ? Depuis toujours, de jeunes bergers quittent leur terroir, bravent l’inconnu et reviennent, après des mois de transhumance, avec un troupeau plus conséquent. C’est le cycle ordinaire, attendu, de la vie pastorale. Pourquoi alors ce délire collectif, cette glorification exceptionnelle autour du retour de Demba Hamad Sada, qui n’a rien accompli d’inédit dans l’histoire de notre société peule ? Voilà une question légitime. Et quiconque ose y réfléchir devrait être salué, non vilipendé.

Les mots que vous avez prononcés n’étaient ni une attaque, ni un mépris, mais l’expression d’un esprit libre et éveillé, fidèle à ce qui fait la noblesse du Pulaagu : le sens de l’honneur et cette civilité dans l’échange qui fait de la parole peule une école de dignité. Où sont donc passées ces valeurs lorsque des menaces de mort sont proférées contre un homme dont la seule arme est la plume et l’intégrité ?

Ce qui est le plus douloureux dans cette affaire n’est pas la violence des mots, mais l’oubli (cet oubli cruel) de l’immense contribution que vous avez apportée au rayonnement de la langue et de la culture pulaar à travers le monde. Des générations entières d’étudiants, de journalistes, de militants culturels et d’auditeurs ont grandi à l’écoute de vos chroniques, à la lumière de vos conférences, à l’aune de votre engagement. Et j’en suis témoin, pour avoir eu l’honneur de modérer plusieurs de vos rencontres à l’UCAD et au Centre Amadou Malick Gaye, où vous avez semé, sans relâche, des graines de conscience.

Aujourd’hui, vous êtes injustement pris à partie, mais demain (et pour toujours) vous resterez une référence incontournable, un artisan infatigable de l’éveil intellectuel et du respect de notre identité.

Monsieur Ly, à vos pourfendeurs, je rappelle qu’il est essentiel de replacer le débat dans le cadre de ce que représente scientifiquement un « phénomène social », et d’examiner le rôle que joue le journaliste face à une telle réalité.

Un phénomène, par définition sociologique, désigne un fait ou un comportement collectif qui attire l’attention par son ampleur, sa récurrence ou son caractère inhabituel. Ce qui caractérise tout phénomène, c’est justement qu’il appelle à être interrogé, analysé, compris. Et c’est précisément là où le journaliste (dans son rôle noble) intervient.

Le rôle premier du journaliste n’est pas d’applaudir ni de suivre la foule, mais de poser les bonnes questions, de gratter au-delà des apparences, d’examiner les causes et les implications, même lorsque cela dérange. En cela, vos posture consistant à interroger de manière critique l’engouement massif autour de Demba Hamad Sada n’est pas une attaque personnelle, encore moins une diabolisation, mais une posture intellectuelle légitime, saine et nécessaire dans toute société démocratique.

Il ne s’agit pas de nier la popularité de Demba ni de minimiser l’impact émotionnel de son retour. Mais précisément parce que cet impact est massif, il devient légitime (et même impératif) de questionner les ressorts d’un tel emballement collectif. Pourquoi cet engouement ? Qu’est-ce qui, dans notre imaginaire ou dans notre histoire contemporaine, est réactivé par ce jeune berger ? Quels symboles, quels manques ou quels désirs collectifs cette mobilisation exprime-t-elle ? Voilà des questions que tout bon journaliste (soucieux de comprendre plutôt que de suivre) est en droit de se poser.

Par ailleurs, il faut rappeler que Demba n’a pas accompli un acte inédit ou héroïque au sens traditionnel du terme. Il n’est ni champion sportif, ni inventeur, ni auteur d’un exploit technique ou académique. Il est un jeune berger dont le retour au village natal a suscité un engouement rare. Ce décalage apparent entre l’acte posé et la réaction collective doit justement éveiller la curiosité journalistique et scientifique.

Enfin, accuser un journaliste de « diabolisation » pour avoir formulé une interrogation revient à nier la fonction critique de la presse. Il est injuste d’attendre d’un journaliste qu’il soit un supporteur, un suiveur, ou un chantre de la majorité émotionnelle. Son rôle n’est pas de conforter l’opinion dominante, mais de l’éclairer, parfois en la bousculant.

Que l’on ne soit pas d’accord avec son propos est une chose. Mais le menacer pour avoir questionné un phénomène relève d’une dérive grave, qui ne saurait être tolérée dans une société éprise de liberté, de raison et de dialogue.

Cher aîné, tenez bon. Ne fléchissez jamais sur la voie que vous avez choisie, celle de l’exigence, de la vérité et de la liberté d’esprit. Car la foule passe, le bruit s’éteint, mais les repères restent. Et vous êtes, à n’en pas douter, l’un de ces repères.

Que Dieu, l’Omnipotent et l’Omniscient, continue de veiller sur vous et de guider vos pas.

Avec admiration et solidarité,

Elimane Abdoul Fall
Fils du Pulaagu,
Frère en esprit et en engagement.

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Un commentaire

  1. Seydou

    Brillante contribution

    Devant les manipulations multiples, il est légitime de ne pas tout gober Effectivement tout le tralala est suspect car de braves jeunes bergers ont toujours existé partout


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