Comment l’économie sociale et solidaire peut transformer l’économie sénégalaise (Par Babacar Ka)

L
’économie sociale et solidaire (ESS) regroupe des activités économiques organisées autour d’objectifs sociaux et environnementaux plutôt que du seul profit. Selon Jean-Louis Laville (2006), l’ESS comprend les coopératives, mutuelles, associations et fondations qui partagent trois caractéristiques principales :

▪ Une finalité sociale ou environnementale prioritaire sur la recherche de profit ;
▪ Une gouvernance démocratique et participative, impliquant les membres dans les décisions ;
▪ Le réinvestissement des excédents dans l’activité ou la communauté plutôt que la distribution aux actionnaires.
Bien que cette définition mette en avant les valeurs de solidarité et de démocratie, elle ne prend pas en compte de la difficulté pour ces structures de rester financièrement viables dans un contexte fortement concurrentiel. C’est un équilibre fragile entre mission sociale et exigence économique.

Plusieurs exemples internationaux montrent que l’ESS peut être une alternative à l’économie traditionnelle. C’est le cas du groupe de coopératives

industrielles, Mondragón en Espagne, fondé en 1956 et qui emploie près de 80 000 travailleurs-associés et combine compétitivité mondiale et gouvernance démocratique. On peut également citer des Coopératives sociales en Italie qui interviennent dans le secteur de la santé et de l’éducation, intégrant socialement les personnes vulnérables et offrant des services innovants. Hors du continent européen, des modèles sont aussi à trouver en Amérique.

En effet, au Canada, des Coopératives québécoises actives dans l’agriculture et le commerce de détail, montrent qu’une organisation collective peut générer emploi et cohésion sociale. Selon l’institut de la statistique québécoise, ces coopératives ont créé plus de 248.000 emplois directs et 344.000 d’emplois indirects. Elles génèrent plus de 53,6 milliards de dollars canadiens par an. Ainsi, l’ESS représente environ 8% du PIB du Québec.

Ces modèles sont inspirants, mais leur adaptation à d’autres contextes nécessite de prendre en compte les différences culturelles, le niveau d’éducation et la capacité de financement local. L’expérience réussie d’un pays n’est pas automatiquement transposable au Sénégal.

Contextualisation de l’ESS au Sénégal

Au Sénégal, l’économie sociale et solidaire (ESS) se développe dans un contexte particulier. Le pays est caractérisé par une économie fortement informelle, notamment dans les secteurs du commerce, de l’artisanat et de l’agriculture. Parallèlement, la ruralité y demeure prédominante, avec un accès souvent limité aux services financiers et aux infrastructures essentielles. Dans ce contexte, de nombreuses associations, coopératives et mutuelles locales jouent un rôle actif, orientant leurs actions vers le développement communautaire et l’inclusion sociale. L’ESS apparaît ainsi comme un levier capable de structurer ces initiatives informelles et de renforcer la résilience des communautés. Cependant, le principal défi reste de professionnaliser ces structures tout en préservant leur vocation sociale, afin de concilier efficacité économique et impact social durable.

Évolution et cadre institutionnel de l’ESS au Sénégal

L’ESS au Sénégal a connu plusieurs phases de développement. Entre les années 1960 et 1980, le paysage de l’économie sociale et solidaire au Sénégal était principalement marqué par l’existence de coopératives agricoles et de mutuelles d’épargne, dont l’implantation restait très limitée géographiquement. Ces structures étaient souvent locales et dépendaient largement de l’initiative des communautés elles-mêmes, avec des ressources financières et techniques très restreintes.

Durant les années 1990 et 2000, on observe une multiplication des associations et des ONG locales, accompagnée d’un accent particulier sur la participation communautaire. Cette période a permis d’élargir l’engagement des populations dans le développement local, notamment à travers des projets de microfinance, d’agriculture communautaire ou de services sociaux. Cependant, ces initiatives restaient encore souvent fragmentées et peu structurées.

Depuis 2010, l’ESS au Sénégal bénéficie d’un renforcement du cadre légal et institutionnel, avec une reconnaissance progressive de son rôle par l’État. Cette période marque un tournant, car elle offre aux structures de l’ESS un environnement plus favorable pour se formaliser, accéder à des financements et être intégrées dans les stratégies de développement local et national.

La loi d’orientation relative à l’économie sociale et solidaire, adoptée le 4 juin 2021, a marqué un tournant en ancrant juridiquement l’ESS au Sénégal. Elle a ainsi créé le cadre légal nécessaire au fonctionnement et au développement des structures de l’ESS, telles que le Ministère de la Microfinance et de l’Économie Sociale et Solidaire (MMESS). Cette avancée législative a permis de passer de la simple reconnaissance théorique de l’ESS à un environnement favorable à sa formalisation et à son accompagnement concret.

Cette dynamique s’est traduite dans le concret le 21 mars 2025, lors de la cérémonie de lancement des 1000 Coopératives Productives Solidaires (CPS) par le Premier Ministre, Monsieur Ousmane Sonko. Cet événement symbolise une phase décisive, où les initiatives passées se traduisent enfin par des actions concrètes sur le terrain, mobilisant à la fois les acteurs institutionnels, les communautés locales et les porteurs de projets. Il illustre que l’ESS au Sénégal n’est plus seulement un concept, mais une réalité avec des structures opérationnelles capables de produire un impact économique et social direct.

Ces CPS incarnent une dynamique de création d’emplois massifs et durables, particulièrement pour les jeunes et les femmes. Elles visent à structurer l’économie informelle à travers des coopératives pour bâtir une économie résiliente, ancrée dans les réalités locales et portée par les acteurs eux-mêmes.

C’est ainsi que l’on se pose la question : Les CPS au Sénégal peuvent-elles marcher sur les traces des coopératives québécoises ?

Perspectives et défis de l’ESS au Sénégal

L’ESS présente un fort potentiel de croissance, surtout si les coopératives et associations accèdent à des financements innovants et que leur formation et l’accompagnement sont renforcés. Il serait aussi important que les politiques publiques encouragent la structuration et la mise en réseau des initiatives de l’ESS.

Nombreux sont les défis auxquels l’ESS rencontre. En effet la pérennisation des structures face à la concurrence marchande reste une équation structurelle. A cela s’ajoute la faible formalisation et difficultés d’accès aux marchés et au financement.

Donc si les CPS sénégalaises veulent réellement marcher sur les traces des coopératives québécoises ou du groupe de coopératives industrielles, Mondragón en Espagne qui sont des modèles de réussite parfaits, elles doivent conjuguer formalisation, financement durable, professionnalisation, gouvernance démocratique et coopération en réseau. Sans ces conditions, elles risquent de rester fragiles et marginales, malgré le potentiel social et économique considérable qu’elles incarnent. Le défi est donc autant structurel qu’organisationnel, et la réussite dépendra de leur capacité à s’adapter aux réalités locales tout en s’inspirant des meilleures pratiques internationales. Donc pour transformer l’exode rural en exode urbain grâce à l’ESS, il est nécessaire de passer d’initiatives isolées à un écosystème structuré.

Babacar KA, inspecteur en
développement et master 2 en
Économie sociale et solidair

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