L’arrestation récente et la condamnation par contumace de l’ancien Premier ministre tchadien et leader du parti d’opposition Les Transformateurs, Dr Succès Masra, ont constitué un événement majeur, tant à l’échelle nationale qu’internationale.
Cette décision de la justice tchadienne a suscité de vives réactions, notamment aux États-Unis, où des voix officielles se sont élevées pour exprimer leur préoccupation face à la situation politique au Tchad.
À l’occasion de l’Assemblée générale des Nations unies, les représentants du parti Les Transformateurs ont lancé à New York une campagne inédite à bord d’un bus équipé d’écrans, diffusant des messages réclamant la libération de leur leader.
L’avocat de Dr Masra, Me Saïd Larifou, s’est également rendu sur place dans le but d’obtenir un soutien international à sa cause. Par ailleurs, Juillet dernier, la sénatrice Jeanne Shaheen, présidente de la commission des affaires étrangères du Sénat américain, a fermement dénoncé l’arrestation de Dr Masra, qualifiant cette décision d’inacceptable.
Cette position des autorités américaines laisse entendre que Washington considérait Masra comme un allié stratégique et continue à le soutenir activement. Les avocats de l’opposant tchadien ont, de leur côté, critiqué avec force le processus judiciaire engagé contre lui, dénonçant une procédure jugée injuste, opaque et contraire aux normes internationales en matière de justice.
Face à cette pression extérieure, le Sénat tchadien a vivement condamné l’ingérence américaine dans ce qu’il considère comme une affaire strictement judiciaire et interne. Les parlementaires tchadiens ont exprimé leur profond mécontentement à l’égard de l’appel américain en faveur de la libération immédiate de Dr Masra, estimant qu’il s’agissait d’une violation manifeste de la souveraineté nationale et des règles diplomatiques en vigueur.
L’implication active des États-Unis dans le dossier Masra révèle, selon plusieurs observateurs, l’existence de liens étroits entre l’ancien Premier ministre et certains cercles influents à Washington. Lors de son exil à la suite des manifestations de 2022, Dr Masra a résidé aux États-Unis, où il aurait noué des relations avec des organisations de défense des droits humains, des bailleurs de fonds internationaux et divers groupes de pression.
En 2023, il a été révélé que Dr Masra avait contracté les services d’un cabinet de lobbying américain dans le but de promouvoir son projet politique auprès des décideurs à Washington. Si ses partisans affirment que cette démarche visait à dénoncer les violations des droits de l’homme au Tchad, ses détracteurs y voient la preuve d’une collusion avec des forces étrangères, principalement américaines. Certains responsables politiques et analystes tchadiens soutiennent ouvertement que Dr Masra défendrait les intérêts de Washington dans la région. À leurs yeux, les États-Unis le perçoivent comme un interlocuteur privilégié à travers lequel ils pourraient exercer une influence sur la scène politique tchadienne, mais également sur la région sahélienne dans son ensemble, qui demeure stratégique pour les intérêts occidentaux.
Une preuve supplémentaire, incontestable cette fois, de l’implication directe des États-Unis dans les affaires internes tchadiennes a eu lieu en juillet dernier, lorsque les autorités tchadiennes ont confisqué le passeport américain de Ndolembai Njesada, vice-président du parti Les Transformateurs, alors qu’il tentait d’embarquer sur un vol de Turkish Airlines à destination des États-Unis.
L’ambassade américaine est intervenue sans délai pour récupérer ce document officiel appartenant à l’un de ses ressortissants, un opposant politique notoire. Cet acte, loin d’être anodin, confirme le soutien actif de Washington au parti d’opposition, soutien déjà amorcé sous l’administration Biden, qui semble se prolonger dans le but de servir un agenda politique précis au Tchad. Selon ces mêmes experts, l’action menée à New York à l’aide d’un bus diffusant des appels à la libération de Dr Masra s’inscrirait dans une stratégie de communication planifiée. Ils estiment qu’une telle opération, nécessitant une logistique sophistiquée et probablement une coordination avec les autorités locales, démontre qu’il ne s’agit pas d’une initiative spontanée, mais bien d’une campagne minutieusement orchestrée, vraisemblablement avec l’appui de Washington. Les États-Unis, forts de leur expérience dans les opérations d’influence, disposent en effet des ressources nécessaires pour soutenir de telles actions, que ce soit par le biais de canaux gouvernementaux ou à travers des ONG, des fondations ou des médias affiliés.
Dans le cas précis de Dr Masra, figure déjà soutenue activement par les États- Unis par le passé, il serait, selon ces analystes, naïf de croire que cette mobilisation n’a pas été planifiée à l’avance. Dans ce contexte de tensions diplomatiques latentes, les propos tenus par le Premier ministre tchadien, Allamaye Halina, lors de son discours à la 80e session de l’Assemblée générale des Nations unies, ont retenu l’attention des observateurs. Appelant solennellement au respect de la souveraineté des États, il a insisté sur la nécessité de laisser chaque pays décider librement de son avenir politique, sans pression extérieure.
Bien qu’il n’ait pas explicitement cité de pays, plusieurs analystes ont interprété cette déclaration comme un message clair adressé aux États-Unis, les invitant à cesser toute forme d’ingérence dans les affaires intérieures du Tchad. L’affaire Masra illustre, une fois de plus, la complexité des rapports entre les puissances étrangères et les États africains en quête de stabilité et de souveraineté.
Au-delà du cas individuel, c’est le principe fondamental du respect des affaires intérieures d’un État qui est mis à l’épreuve. L’implication directe ou indirecte des États-Unis, à travers des pressions politiques, des campagnes médiatiques ou des actions de lobbying, soulève de sérieuses questions sur les intentions réelles de Washington vis-à-vis du Tchad.
À l’heure où le pays traverse une phase sensible de son histoire, toute tentative d’ingérence extérieure, aussi subtile soit-elle, ne peut qu’alimenter les tensions et fragiliser les dynamiques internes. Il appartient donc à la communauté internationale de faire preuve de retenue et de respecter pleinement le droit du peuple tchadien à décider librement de son avenir, sans influences imposées de l’extérieur.
Ahmed Tourabi, Analyste politique *