Le Mouvement « Navétanes » : Histoire, Réformes et Défis Actuels – Par Khalifa Diakhaté
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Le mouvement « navatanes » : Origines, bilan, Difficultés et Perspectives dans un contexte de ruptures systémiques.
A la veille de l’ouverture de l’atelier de restitution des travaux sur la réforme du mouvement « navétanes », nous saisissons cette occasion pour rendre publique notre modeste contribution.
En Afrique traditionnelle la vie communautaire a toujours favorisé la création des associations pour conserver et renforcer les normes sociales et valeurs morales.
A chaque étape de l’évolution économique et sociale de notre pays, les populations ont trouvé des formes d’associations qui répondent à leurs besoins.
C’est dans cette dynamique que s’inscrit le mouvement « navétanes » qui dans son évolution est devenu une réalité sociale.
Cinquante-quatre ans après la réforme de feu Président lamine Diack, l’état a convoqué pour une nouvelle réforme pour sortir le mouvement « navétanes » de ses difficultés.
Il urge de reconnaître que le « navétanes » a besoin d’une évaluation exhaustive pour opérer des mutations profondes.
- Les Origines du mouvement « navetanes »
Selon feu Grand Coulibaly, dans l’histoire sportive de notre pays on peut retenir que les matches de football appelés jadis « d’attaquement » qui opposaient des gamins de la même rue ou quartiers différents sont les fondements des clubs « navetanes » d’aujourd’hui.
Au départ le trophée ou la mise était composé de produits alimentaires et le chronomètre dépassait largement le temps réglementaire actuel.
Jadis, les acteurs, faute de textes réglementaires utilisaient le nombre de buts pour fixer la mi-temps (1 but) et la fin de la partie (2 buts).
Mais au fil du temps les trophées et le chronomètre ont évolué pour se rapprocher des normes qui organisent la pratique du football.
Au cours de l’histoire le phénomène « navétanes » va s’élargir à toutes les grandes villes car à cette époque les clubs officiels de football n’existaient qu’à Dakar; Thiès et Saint-Louis
Avant la réforme de feu Président Diack, les rencontres sportives des « navétanes » se déroulaient sur des terrains vagues sans arbitres officiels ni service d’ordre.
La majorité des clubs s’identifiaient à des équipes européennes ou sud-américaines (Paris Saint Germain, Monaco, Cosmos…) et leur pratique se limitait au football donc pas d’activités culturelles ou socio-économiques.
Ces « navetanes » officieux étaient déjà source d’agressions et de violences.
Un tel mouvement ne pouvait laisser l’état indifférent d’où les tentatives de récupération.
En 1970 feu Président Lamine Diack alors secrétaire d’état à la jeunesse et aux sports lança sa réforme avec comme résultats la naissance d’un mouvement « navetanes » officiel par la création d’un Organe Central de coordination (OCC) pour organiser les matches « navétanes »
La région de Dakar alors appelée le Cap-Vert abrita cette première phase d’encadrement du mouvement « navétanes » par l’état. .
Le succès de la phase test obligea l’état à élargir la réforme aux autres régions avec la mise en place des Organismes Régionaux de Coordinations(ORC) dirigés par les chefs de services régionaux de la jeunesse et des sports.
Durant cette période (1970-1975) le mouvement « navétanes »a réformé ses textes en intégrant dans les compétitions les cadets et l’athlétisme, la réglementation de la participation des joueurs du championnat officiel division 1 dans les matches de« navétanes » et la pénalité contre l’envahissement du terrain.
La réforme de feu Lamine Diack a donné naissance au championnat national populaire (CNP) ou « national pop » et le changement de dénomination de OCC et ORC en ONCAV et ORCAV.
Des ASC étaient obligées de débaptiser et de « sénégaliser » leurs appellation.
Cette réforme a entrainé l’organisation des matches « navétanes » dans les stades avec les arbitres officiels et la répartition des recettes entre les structures organisatrices et les ASC.
La FSF longtemps hostile au mouvement avait fini à le reconnaître et lui apporta une assistance technique.
En 1973 et 1974 l’ONCAV avait organisé des phases nationales sans succès à cause de la violence.
Les phases nationales sont revenues en 1990.
De ce rappel historique on peut retenir que l’artisan du mouvement « navétanes » officiel fut feu le président Lamine Diack. en 1971.
Mais les dirigeants du mouvement vont remettre en cause cette phase d’encadrement de l’état par des conflits entre eux et les représentants de l’éta dans les ORCAV.
Face à cette situation l’état sur proposition de feu Grand Coulibaly décida de rendre autonome le mouvement « navétanes »
- Le bilan d’un mouvement « navétanes » automne selon mon expérience
Au sortir de cette phase d’encadrement le mouvement continua de rayonner avec comme résultats :
-Au plan juridique la réforme de feu Président Lamine Diack( paix à son âme) est à l’origine d’un mouvement « navétanes » officiel en 1971.
La loi qui règlement le mouvement associatif est votée en 1976 et son décret d’application est la loi 76-0040 du 18/01/1976;
L’ONCAV a obtenu son récépissé en 1992 sous la présidence de Monsieur EL hadji Malick Sy après les assises de Saint-Louis des 7 et 8 juillet 1992.
Il a obtenu sa reconnaissance d’utilité publique par le décret N°96/6688 du 17/08/1996 soit 25 ans après 1971 sous la présidence de monsieur Ousmane Oscar Diagne.
-Dans son extension le mouvement « navétanes » a réussi le maillage du territoire national pour devenir un véritable atout pour un développement endogène.
-Pendant longtemps il a été à la base du football officiel en fournissant aux clubs de D1 et D2 des joueurs de qualité. Aujourd’hui il est concurrencé par les centres de formation et les écoles de football.
-Des dirigeants du mouvement « navétanes » sont devenus des managers dans les clubs du football officiel et dans les instances de la FSF ou dans d’autres organisations faîtières sportives.
-Le mouvement a permis à des techniciens du football de pratiquer et de se perfectionner.
-Il en est de même pour les arbitres pour qui les compétitions « navétanes » sont de véritables champs d’expérimentation.
-A Dakar le mouvement se distinguait par la pluridisciplinarité, l’organisation des compétitions en athlétisme, basketball, handball (A Guédiawaye, les clubs de handball de Diamono, Disso et Golf nord sont nés des flancs des ASC dont ils portent le nom).
Le jeu de dames et le scrabble figuraient dans les compétitions.
-Le mouvement organisait régulièrement des cours de vacances avant de laisser l’initiative à des enseignants.
-Le mouvement avait signé des conventions avec le CNLS et le PNLP pour participer à la lutte contre ces maladies.
-Les dirigeants du mouvement étaient formés dans les techniques de réunions, de communication, de gestion et de la planification des compétitions, le traitement du courrier et la gestion des archives et des finances.
Ces modules ont servi et continuent à servir des militants du mouvement dans leurs activités professionnelles.
-Le mouvement a permis de former des moniteurs en alphabétisation, en collectivités éducatives (pour encadreurs de colonies de vacances et centres aérés) et des régisseurs de plateaux ou techniciens de scène pour encadrer les troupes théâtrales.
Sur initiative de Dakar le mouvement a attiré un sponsor comme Orange et on se rappelle de la ligue des champions et le résumé des matches avec l’émission « navétanes foot » à la RTS.
L’ORCAV de Dakar avait l’habitude d’organiser des conférences sur des thèmes d’actualité avec des spécialistes. Nous avons en mémoire la conférence de feu Grand Coulibaly sur « rôle et place du « navétane » dans le football au Sénégal » et celle sur la sécurité avec la police.
Ce fut l’âge d’or du mouvement à Dakar avec une forte médiatisation dans un contexte de crise du football officiel avec la mise en place du comité de normalisation.
Cette situation sera exploitée à Dakar par des dirigeants pour informer la FIFA du rôle que joue le mouvement dans le développement du football de notre pays.
La FIFA recommanda alors l’intégration du mouvement « navétanes » dans les instances de la FSF où l’ONCAV occupe aujourd’hui le poste de quatrième vice-président.
Des organes de presse sont partis de la couverture des matches de « navétanes » pour se spécialiser à la presse sportive.
Dans les stades et terrains se développe un petit commerce et les vendeurs organisaient à Amadou Barry des tontines le temps que dure le CNP.
Ces programmes réalisés parfois sur fonds propres entre les années 80-90 et 2000 prouvent le rôle important que le mouvement joue dans le développement économique social, culturel et sportif de notre pays.
III-Les difficultés dans le management du mouvement « navétanes »
Le mouvement repose sur le principe du centralisme démocratique mais aujourd’hui le centralisme prime sur la démocratie avec comme conséquence le développement du culte de la personnalité.
Entre 1984 et 1999 soit sur une période de 15 le mouvement a organisé 9 AG de modification des textes conformément aux dispositions réglementaires dont l’exposé des motifs.
De 1999 à 2005 pas d’AG de modification des textes
Entre 2006 et 2017 soit sur huit ans il y a quatre AG de modification dont deux on marquait notre attention : l’AG de 2009 à kolda qui a introduit la limitation des mandats et celle de 2014 à Rufisque qui l’a supprimée sans attendre son application pour voir ses limites et sans exposé des motifs.
A kolda j’étais le président de la commission juridique et à la fin des travaux de l’atelier, notre rapporteur détenteur des documents était devenu introuvable et j’étais obligé de choisir un autre rapporteur et passer la nuit pour rédiger le rapport à présenter à la plénière le lendemain. C’est pourquoi après l’AG de Rufisque j’ai tenté de dire est-ce sa disparition ne cherchait-elle pas à empêcher la commission de soumettre ses conclusions à la plénière?
Si on y ajoute une commission recours dont les membres ne sont pas permanents et qui a les prérogatives de revenir sur des verdicts rendus par les juridictions inférieures on constate qu’il y a une volonté manifeste de rester longtemps dans les instances et de tout contrôler.
Je parle en connaissance de cause car de 2006 à 2014 j’ai été dans la commission de toilettage des textes et mieux en août 2014 j’ai publié un livre intitulé guide du dirigeant du mouvement « navétanes » avec un partie réservée à l’évolution des textes de 1984 à 2014.
-Un CNP qui tire en longueur avec des conséquences négatives sur le système éducatif.
-La création des ASC au rythme de la croissance démographique et urbaine
sans tenir compte des conséquences des rivalités entre clubs.
-Une violence et des agressions qui persistent malgré les efforts au plan des textes et de la sensibilisation.
-On note aussi des variations sur les décisions rendues par les juridictions en cas de violence avérée.
-Si au sommet on développe des activités autres que le football durant les phases nationales, tel n’est pas le cas à la base où le football reste la seule activité.
-A la base les programmes de formation, de renforcement de capacité, de civisme et autres ont connu un net recul ces dernières années.
-Le théâtre populaire vecteur de la promotion culturelle et moyen efficace de sensibilisation est devenu le parent pauvre du mouvement « navétanes ».
-La pluridisciplinarité inscrite dans les textes est aujourd’hui royalement ignorée au profit du ballon rond principale source de recettes et de la violence qui gangrène le mouvement.
-Au niveau national, la capitalisation, le suivi et l’évaluation des programmes sont rares ou inexistants.
-L’absence d’un protocole qui intègre les licences du mouvement dans le fichier de la FSF un moyen pour augmenter le nombre de licenciés en football et pour lutter contre la fraude (dès la signature en catégorie cadette le joueur pourra évoluer jusqu’à la fin de sa carrière sans frauder).
Ce protocole s’il est acté obligerait la FSF à allouer une subvention substantielle au mouvement « navétanes ».
III-Les perspectives dans un contexte de ruptures systémiques
Sous l’ère du Président DIomaye D. Faye l’état dans un souci d’efficacité et de rationalisation des ressources publiques a créé un seul ministère qui regroupe jeunesse, sports et culture.
Il envisage aussi de réunir en une seule structure toutes les agences de financement des projets destinés à la jeunesse.
Madame le Ministre de la Jeunesse, des Sports et de la Culture a décliné sa feuille de route en dix-sept (17) priorités dont huit (8) méritent réflexion par les acteurs du mouvement « navétanes », on peut retenir :
1-Adoption du code du sport après la charte de 1984. Il s’agit de nouveaux textes pour une meilleure prise en charge des exigences modernes du secteur.
2-Accompagnement des collectivités territoriales dans l’aménagement des infrastructures de proximité. C’est une opportunité pour le mouvement de renouer avec la pluridisciplinarité.
3-La promotion et l’implication des ASC de quartiers dans la prise en charge des préoccupations économiques et sociales. Ce point rappelle le projet « emploi-jeunes » alors porté par le mouvement « navétanes ».
4-Accompagnement du processus de mise en place d’une mutuelle pour les sportifs. Le mouvement avait tenté sans succès la mise en place d’une mutuelle.
5-La valorisation des métiers du sport pour lutter contre le chômage des jeunes en favorisant leur prise en charge par la fonction publique.
6-Création de chaînes de télévision sportives orientées vers la promotion du sport.
7-La promotion du tourisme sportif.
La télévision et le tourisme intéressent les dirigeants du mouvement
« navetanes » qui est un patrimoine national.
Pour attirer des touristes le mouvement « navétanes » a besoin d’un « ndeup » collectif pour atténuer et éradiquer la violence qui touche presque toutes les compétitions sportives (« navétanes », la lutte avec frappe, la ligue Pro, le basket).
8-La mise en place d’un fonds national de développement du sport (FNDS).
L’ancien ODCAV de Pikine (avant la départementalisation de Guédiawaye) que je présidais a été à la pointe de la lutte contre le fonds d’aide au sport qui prélevait 15% puis 5% des recettes brutes des structures de l’ONCAV.
Quand l’ancien PM monsieur Mamadou Lamine Loum avait annoncé devant les députés de la suppression des fonds spéciaux dont celui logé au ministère des sports, nous avions refusé de verser malgré la pression de l’ONCAV. C’est par la suite que les autres structures du mouvement ont accepté de nous suivre.
Ce fonds collecté avait permis de reconstruire le mur du terrain de Mbao, de mettre en place le parc informatique de l’ODCAV pour la gestion du fichier licences et d’acheter une voiture de liaison pour le ramassage des 5% de l’ODCAV.
Pour intégrer l’agenda horizon 2050 ou répondre à l’attente des autorités le mouvement a besoin : :
– Observer une trêve sur le football dans les activités du mouvement pendant deux ou trois ans pour réussir la réforme devenue nécessaires.
Cette décision relève des prérogatives du ministre de l’intérieur.
Comme mesure d’accompagnement il faudra interdire les tournois et coupes impliquant des ASC.
A Dakar des zones ne jouent plus les « navétanes » depuis la fermeture du stade Demba Diop.
-Réintroduire dans les textes la limitation des mandats et supprimer la commission recours, car la volonté de tout contrôler au sommet tue les initiatives à la base.
-Faire un retour à l’orthodoxie dans l’organisation des phases nationales qui doivent regrouper exclusivement les équipes championnes régionales et non avec des clubs invités.
-La fusion des ASC ne se décrète pas mais elle doit être l’aboutissement d’un processus.
Une nouvelle cartographie des zones est devenue une urgence.
Elle passe par la fusion des ASC qui ont une proximité géographique.
Il appartient aux structures départementales dans une démarche inclusive de faire ce travail en identifiant les ASC qui doivent être fusionnées pour participer aux activités « navétanes ».
Trois à quatre ASC d’une même zone peuvent se fusionner.
Cette action doit impliquer les autorités administratives et territoriales.
On note par exemple des ASC du département de Dakar qui jouent à Guédiawaye ou de Pikine qui évoluent à Guédiawaye.
-En cas de suspension pour faits de violence, il faut infliger à l’ASC une peine ferme et pécuniaire (s’il y a des dégâts matériels) sans possibilité de de remise de peine donc pas de grâce. Si les faits de violence sont avérés
La juridiction d’appel ne doit pas infirmer le jugement rendu en première instance.
-Faire une rupture sur le profil des dirigeants car on doit toujours gérer par des compétences et non la ruse.
-Innover dans le mode de fonctionnement et de planification des activités du mouvement.
– Mettre l’accent sur la bonne gouvernance (transparence) malgré l’adoption d’un règlement financier.
Réactualiser l’arrêté de la primature qui fixe la répartition de la subvention de l’état. Dans les années 90 chaque ORCAV recevait un Million et l’ONCAV 10 millions pour l’organisation des phases nationales. En tant que président d’ORCAV de Dakar de 2009 à 2017 je ne l’ai jamais reçu malgré l’évolution importante du montant.
-Multiplier les sessions de formation et de renforcement de capacités pour les dirigeants du mouvement.
-Préparer les ASC à l’élaboration et le suivi des projets socio-économiques ou à l’entreprenariat.
-Former des moniteurs en alphabétisation et des collectivités territoriales.
-Former en relation avec les ministères concernés des volontaires de l’environnement, de la santé et du civisme fiscal (participation à la volonté de l’état d’élargir l’assiette fiscale)…
-Former des techniciens de scènes pour l’encadrement des troupes théâtrales et la diversification des activités culturelles.
-Signer un protocole avec l’ANDS pour la formation de membres aux enquêtes économiques et sociales.
-Les ASC ont un rôle important à jouer sur les compétences transférées aux collectivités territoriales.
L’opportunité est offerte au mouvement d’être acteur à la territorialisation des économies.
Cette option qui vise à une réorientation de l’énergie utilisée dans le mouvement est la voie à suivre pour la mise en place des ASC de la troisième génération.
Conclusion
Cette rencontre initiée par l’état prouve avec force que les limites du mouvement réside dans ses textes et son mode de gouvernance.
La première intervention des pouvoirs publics dans la vie du mouvement remonte à la réforme de feu président Lamine Diack qui a ouvert la phase d’encadrement des « navétanes ».
A l’ère des ruptures systémiques, face aux difficultés du mouvement l’état a pris ses responsabilités et dans une approche inclusive cherche à aider les « navétanes » à avoir une nouvelle orientation et des innovations dans son management.
Toute rupture est difficile mais il arrive des moments où elle est nécessaire dans la vie d’une organisation dont la vocation est de contribuer aux efforts des pouvoirs publics pour le développement de notre pays.
Khalifa Diakahté
ancien Président de l’ORCAV de Dakar et du GFC