La mercantilisation du système éducatif sénégalais : entre affairisme et quête de  connaissances (Dr. Madieumbe SENE)*

L’éducation, bien que considérée comme un droit fondamental consacré et un  vecteur de développement, est devenue un secteur où les logiques mercantilistes prennent de plus en plus le dessus sur les logiques de performance au Sénégal. La  prolifération des établissements privés, la monétisation abusive des services éducatifs et  la marchandisation du savoir soulèvent des questions par rapport à l’équité et à la  qualité de l’éducation. Cet état de fait, décrit comme du mercantilisme scolaire suscite, 

par conséquent, des inquiétudes relatives à l’accessibilité et à la finalité de l’éducation  nationale. 

Un boom vertigineux des établissements privés avec des tarifs hors-bourse Face à une offre éducative insuffisante de l´école publique déjà saturée, les  écoles privées se sont proliférées à une cadence effrénée. De la maternelle au supérieur,  le privé constitue, de manière exponentielle, le réceptacle d´une grande partie des apprenants. Certains centres éducatifs privés proposent un enseignement de qualité, contrairement à d’autres qui privilégient le profit au grand dam de la pédagogie; ce qui  les mène inexorablement vers une mercantilisation à outrance du système éducatif, notamment dans la région de Dakar. Ces établissements scolaires privés (souvent sans  personnel qualifié ni infrastructures adaptées) s´arrogent des libertés sans aucune base  légale et échappent souvent à tout contrôle des autorités étatiques. 

Dans un contexte éducatif où l´on prône davantage d´inclusion et d´équité, les  frais d’inscription et de scolarité sont dans une tendance inflationniste d´année en année.  Ce facteur constitue de plus en plus un réel frein à l´accessibilité des couches  vulnérables ou défavorisées à l’éducation et à la formation. 

Les établissements éducatifs ¨haut-standing¨ appliquent des tarifs onéreux,  accentuant encore plus les disparités entre les apprenants issus de familles nanties et  ceux des milieux populaires. 

Des dérives liées aux insuffisances dans l´encadrement et la régulation de l’État Les manquements dans l´encadrement et le contrôle étatiques sur le sous-secteur éducatif privé demeurent toujours et favorisent un foisonnement de centres scolaires  totalement en déphasage avec les standards pédagogiques et administratifs en vigueur.  Ce non-respect du cahier de charges par certains établissements sape significativement

la qualité des enseignements-apprentissages et la reconnaissance des parchemins qui y  sont délivrés. 

En sus des frais de scolarité, beaucoup d´établissements imposent des charges additionnelles (inscription, réinscription, fournitures, examens, sorties pédagogiques,  etc.) aux parents d´élèves en les majorant. 

Cette tendance inflationniste des tarifs impacte lourdement sur certaines familles, grevant leur bourse et les poussant même à l’endettement ou au décrochage  scolaire de certains potaches. 

Une privatisation des cours de renforcement 

Loin d´être une exception, les classes de soutien payantes sont devenues une  norme, même dans les établissements scolaires publics où certains enseignants obligent parfois les apprenants à y recourir pour mieux s´en sortir. Cet état de fait foule au pied le principe de gratuité de l’éducation et creuse les écarts entre apprenants issus de  milieux favorisés et ceux provenant de zones déshéritées. 

Des cas de fraude sur des sujets et corrigés d’examens 

Dans certains instituts ou certaines universités, des pratiques illicites et peu  éthiques telles que la vente de sujets d’examens ou de mémoires de fin de cursus sont  notées. Ces agissements fragilisent la crédibilité et la fiabilité des diplômes et favorisent une culture de la facilité au grand dam de la méritocratie. 

L´impact du mercantilisme scolaire sur le système éducatif 

Le mercantilisme scolaire et la marchandisation de l´éducation débouchent sur une éducation à ¨deux vitesses¨, en l´occurrence l´accentuation du fossé entre les  établissements publics sous-financés et les écoles privées réservées à une élite, et la  persistance de l’inégalité des chances; ce qui réduit considérablement les opportunités  pour les apprenants issus de milieux modestes. En outre, la priorité accordée au gain  facile pousse certains centres éducatifs à reléguer au second plan la formation des  enseignants et les outils pédagogiques. Le manque de rigueur dans certains  établissements privés portant préjudice à l’acquisition de compétences solides par les  apprenants entraine également une baisse notoire de la qualité éducative. Par ailleurs,  une des conséquences majeures de ce phénomène est la perte de valeurs éducatives, vu  que l’éducation n’est plus perçue aujourd´hui comme un outil d’émancipation, mais  plutôt comme une marchandise où la réussite reste ¨assujettie¨ aux moyens financiers

déployés. Le fléau du ¨diplôme à vendre¨ dans certains instituts ou établissements prive  notre pays de compétences réelles et favorise la kakistocratie. 

Quelques recommandations pour une éducation plus équitable et inclusive Pour le renforcement du contrôle du sous-secteur éducatif privé, l’État doit établir un cadre normatif plus rigoureux et strict pour mieux cerner les charges scolaires  et garantir une éducation de qualité. Il est aussi nécessaire d’encadrer et de contrôler  l’ouverture des établissements privés pour assurer le respect des standards pédagogiques  et administratifs. Par ailleurs, il est fondamental d´investir dans l’éducation publique en améliorant les infrastructures éducatives et les conditions d’enseignement-apprentissage dans les établissements publics, en recrutant et en formant davantage d’enseignants pour  bonifier la qualité des enseignements-apprentissages afin d´offrir une alternative  crédible au privé. 

Pour réguler les cours de renforcement et frais annexes, il convient de veiller à  ce qu´ils ne soient pas un passage obligé pour la réussite scolaire et que les charges annexes soient plafonnées dans le souci de ne pas instaurer une entrave financière à  l’éducation. 

Il faudra également travailler sur la valorisation du mérite et de l’intégrité  académique, en mettant en place des sanctions applicables aux établissements ou acteurs  impliqués dans la vente de diplômes ou de sujets d’examens, et en promouvant la  culture de l’effort et du sacrifice à travers des politiques éducatives et des programmes  de bourses pour les apprenants démunis. 

En définitive, le mercantilisme scolaire au Sénégal compromet sérieusement les  principes d’équité et de qualité dans le sous-secteur de l’éducation. Si le secteur privé  joue un rôle fondamental dans la réponse aux exigences éducatives et formatives, il ne  doit pas être un espace où seuls les plus nantis peuvent accéder à un enseignement de  qualité. Un accompagnement rigoureux, un investissement accru dans l’école publique, une régulation et un strict contrôle des pratiques commerciales abusives constituent un  impératif pour assurer une éducation accessible et équitable pour tous. 

*MONCAP/ Enseignement Sup./Education/Form. Pro. 

Spécialiste en Politiques/Réformes éducatives 

Et en Développement Durable, Intervention socio-éducative 

Chargé de la Coopération et des Partenariats  

IGEF/MEN 

drmadieumbesene@gmail.com

Votre avis sera publié et visible par des milliers de lecteurs. Veuillez l’exprimer dans un langage respectueux.

Laisser un commentaire