A Madiambal Diagne, Par Saliou Guèye

Il lui est loisible de défendre « Le Monde ». Mais de là à avancer que critiquer le quotidien français, c’est « exagérer la banalité plutôt que s’inventer une originalité », c’est verser dans la raillerie.

Dans sa chronique hebdomadaire (« Les lundis de Madiambal ») publiée dans Le Quotidien du 28 décembre 2015 et reprise par SenePlus, Madiambal Diagne s’offusque du fait que certains Sénégalais ont subodoré derrière les révélations renversantes et fallacieuses du journal Le Monde « une main manipulatrice, un commanditaire, un adversaire tapi dans l’ombre et qui utiliserait le journaliste pour nuire ». Mais de tous les auteurs de critiques contre Le Monde, il n’y a que l’ex-journaliste Abdou Latif Coulibaly (reconverti dans la religion politique), dont Madiambal Diagne évite d’ailleurs de citer le nom, qui a été le plus précis.

Latif avait déclaré : « Cette histoire n’est pas anodine. C’est un processus de dénigrement de l’autorité qui est mis en place depuis la France par un important cabinet de communication qui travaille au service du Pds. (…) Ce cabinet bénéficie de l’appui d’un important avocat français qui, dans un passé récent également, était impliqué, d’une manière ou d’une autre, dans la gestion des médias en France à un niveau important… Serge Michel, rédacteur en chef de Afrique Monde, a lui-même participé de façon confirmée à la manipulation de l’édition internet du journal à l’insu du journaliste qui a rédigé l’article. »

Si certains Sénégalais ont parlé de complot contre les plus hautes institutions de notre pays, et à juste raison, c’est à cause de la publication concomitante de deux informations concernant les deux premières personnalités de l’État : le président de la République, Macky Sall, sur l’argent de la corruption, et le président de l’Assemblée nationale, Moustapha Niasse, à propos d’une affaire de corruption au Burundi et en République démocratique du Congo (Rdc).

Certes, il est loisible à Madiambal Diagne de défendre le journal Le Monde, même s’il s’en défend. Mais de là à reprendre, goguenard, les propos de l’humoriste Arnaud Tsamère, « on préfère exagérer la banalité plutôt que de s’inventer une originalité », et les attribuer à tous ceux qui ont fustigé le manque de professionnalisme du quotidien français, c’est verser dans la raillerie minimisante corrosive.

Il appert que dans ces révélations de Lamine Diack, « nous n’avons pas encore de choses extraordinaires à raconter » pour paraphraser Tsamère, mais cette « banalité » qui nous pousse à fustiger la duplicité du journal Le Monde, nous ne la nions pas, nous la revendiquons.

« Le Monde s’est fourvoyé, il a commis une faute en mettant le nom de Macky Sall dans le chapeau du résumé de son article publié sur son site internet. Une telle peccadille pourrait arriver à n’importe quel organe de presse… Il arrive à tous les médias de commettre des erreurs », dixit Madiambal. Il faut souligner que le nom de Macky Sall ne figure pas dans le chapeau (d’ailleurs inexistant dans le texte) mais dans le corps du texte.

En sus, dire simplement que le nom de Macky est mis dans le chapeau du texte minimise la gravité de l’information non vérifiée du Monde. Nous soutenons mordicus que ce sont des accusations gravissimes sans précautions scripturales qui ont été proférées par Le Monde contre le président de l’Alliance pour la République (Apr), actuel président de la République du Sénégal en ces termes : « en échange de 1,5 million d’euros pour la campagne de Macky Sall, Lamine Diack est soupçonné d’avoir couvert des pratiques dopantes et retardé les suspensions d’athlètes russes ».

L’administrateur du groupe Avenir communication prétend que Le Monde a commis une faute, une peccadille, un amalgame et enfin une erreur. On aurait bien aimé savoir laquelle exactement dans cette litanie est en cause car la nuance, voire la différence, entre « faute », « peccadille », « amalgame » et « erreur », bien que subtile, n’en est pas moins notoirement effective.

Pour beaucoup (y compris l’auteur de ces lignes), Le Monde a commis une faute parce qu’étant bien conscient de ce qu’il faisait en publiant spécifiquement et dans un dessein inavoué sur son site de telles contrevérités. Si le même article était reproduit dans la version papier du journal sans altération, les journalistes qui ont livré l’info et leur rédacteur en chef auraient bénéficié de circonstances atténuantes mais on ne retrouve l’information incriminée que dans la version numérique éditée sur le site Lemonde.fr. Même retiré avec un bouquet d’excuses, l’article dolosif et nocif laisse encore des blessures morales encore saignantes.

Certes il arrive que les médias commettent des faux pas, mais en journalisme, le moindre faux pas devient une faute lourde. Et Le Monde n’en est pas à son coup d’essai. Cela devient même dans l’histoire du journal une sorte de running gag. Déjà le 3 mai 1988, il a « tué » par suicide avant l’heure la comédienne italienne Monica Vitti avant de la ressusciter. Pour exprimer sa honte, le journal de Beuve-Méry avait envoyé un énorme bouquet de roses rouges à la comédienne italienne.

Dans son édition du 8 décembre 2006, le journal français, par la plume du même journaliste auteur l’article sur Lamine Diack, Stéphane Mandard, affirmait que le docteur Fuentes aurait eu des liens avec quatre clubs de football espagnols : Real Madrid, FC Barcelone, FC Valence et Betis Séville. Les clubs avaient démenti l’information et porté plainte contre le journal français. In fine, le journaliste s’étant limité à publier comme avérées des informations non recoupées, le Tribunal suprême de Barcelone l’avait condamné à indemniser le club madrilène à hauteur de 300.000 euros, ainsi que le Dr Alfonso del Corral, directeur du service médical du club madrilène, à hauteur de 30.000 euros. Le Monde a été condamné également à verser 15.000 euros de dommages et intérêts au FC Barcelone pour les mêmes faits. Nous nous abstenons d’énumérer les autres bourdes immondes du Monde pour éviter de tirer sur l’ambulance.

Comme Madiambal l’a rappelé pour absoudre ou dédramatiser la faute du journal Le Monde, l’AFP a annoncé, le 28 février 2015, la fausse mort de l’homme d’affaires Martin Bouygues mais les journalistes qui ont été directement ou indirectement à la base de la diffusion d’une telle information funeste ont préféré rendre le tablier parce que conscients de l’énormité de leur faute professionnelle. Il s’agit des deux responsables de la Région France de l’AFP, Bernard Pellegrin, directeur de la région France, et Didier Lauras, rédacteur en chef de la région France. Leur direction leur a reproché de n’avoir pas mis en combinaison les trois valeurs fondamentales qui fondent le journalisme d’agence : l’exactitude, la rapidité et la neutralité.

Madiambal Diagne qualifie de procès d’intention les critiques formulées contre Le Monde où il a eu « à effectuer un stage et dont certains de ses journalistes sont membres d’une organisation internationale de médias qu’il dirige ». Nous saluons sans ambages son passage remarquable au journal de « référence » auquel s’ajoutent des stages aux médias-institutions en l’occurrence Le Figaro, Libération et l’Afp. Jamais il n’a été dans notre intention et dans celle de plusieurs autres Sénégalais, avec qui nous partageons la même position sur la question, de faire un procès d’intention au journal d’Hubert Beuve-Méry. Sur ce point-là, Madiambal devait, sans circonlocutions, flétrir Latif qui a vu derrière cet article, à tort ou à raison, une manipulation d’un cabinet de communication français.

Nous concernant, nous jugeons objectivement Le Monde à l’aune d’une réalité factuelle et nous le condamnons vigoureusement au lieu de nous en limiter aux simples protestations que le patron de Avenir Communication préconise étonnamment aux autorités.

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