Surpopulation carcérale des prisons du Sénégal : Quelles solutions ?

La surpopulation carcérale, malgré les efforts consentis par l’Administration pénitentiaire pour la réduire, demeure l’une des principales causes d’atteintes aux droits fondamentaux des détenus. Ses effets, par leur récurrence, génèrent un « mal être » au sein de la population carcérale et parfois, un sentiment d’impuissance de la part des autorités chargées des prisons du fait de l’inflexibilité de l’espace disponible.

La promiscuité et la précarité qui en sont le corollaire remettent en question l’utilité des prisons dans la société. Cet état de fait, aux antipodes des standards internationaux relatifs aux bonnes pratiques pénitentiaires, altère ainsi, la justification de la prison comme un progrès de l’humanité. Les sanctions se résumaient, naguère, aux châtiments corporels cruels et inhumains.

Au regard du nombre de places disponibles, la densité de certains établissements pénitentiaires dépasse parfois largement les 150%, parce que l’admission en détention des personnes placées sous main de justice n’obéit pas à la règle du « numérus clausus » des hôpitaux et des internats qui prennent en charge les malades ou les pensionnaires en fonction des places disponibles.

Les solutions, jusqu’ici, apportées par l’Administration pénitentiaire, louables fussent-elles, au plan sécuritaire, ont montré leurs limites parce qu’elles sont conjoncturelles. Elles sont également réductrices de la politique de réinsertion sociale notamment, le maintien des liens sociaux et familiaux. Il s’agit d’un jeu de nivellement des effectifs carcéraux qui consiste, dans un souci de cohérence arithmétique, à transférer des détenus vers des établissements pénitentiaires qui n’ont pas atteint leur capacité d’accueil. C’est également le même effet de désengorgement, non négligeable, qui est recherché au travers des mesures périodiques de grâce présidentielle.

Mais cela n’a pas empêché, au demeurant, l’inflation carcérale d’augmenter. Certains spécialistes parmi les plus avertis rencontrent, encore aujourd’hui, des difficultés pour y apporter des solutions structurelles adéquates. Les solutions préconisées par la chancellerie, résident dans la construction d’une prison à Sébikotane et la généralisation de la mesure de libération conditionnelle.

La construction d’une prison à Sébikotane pourrait certainement contribuer à l’amorce de la modernisation des prisons, à la poursuite de l’humanisation des conditions de détention, à la catégorisation des détenus et au développement d’une véritable politique de réinsertion sociale… voire à la labellisation des standards internationaux. Mais quand elle est analysée dans une perspective de lutte contre la suroccupation, cela relève de l’utopie, quand on sait que la nature a horreur du vide. C’est connu, certains pays ont atteint des taux exponentiels d’inflation carcérale alors que leur politique pénale est définie autour d’un programme de création de nouvelles places, via l’augmentation planifiée du parcimmobilier pénitentiaire.

Concernant le prononcé fréquent de la libération conditionnelle ses limites par rapport à l’objectif visé résident dans les conditions de délai, à moins qu’on puisse, comme dans certaines législations étrangères, faire intervenir la mesure « ab initio », c’est-à- dire, avant le commencement de l’exécution de la peine.

C’est pourquoi, limiter l’analyse de la réduction de l’inflation carcérale à la construction d’une nouvelle prison et à la promotion de la mesure de libération conditionnelle, c’est méconnaitre l’ampleur et la récurrence du phénomène. Le succès des résultats qu’offrent ces solutions est ponctuel et de courte durée.

Pour relever le défi l’Etat doit, à travers le ministère de la justice, engager des réformes hardies dans la gestion des peines en se basant sur la définition d’une nouvelle orthodoxie judiciaire essentielle à la mise en place d’une véritable politique pénale. L’application des peines alternatives à l’emprisonnement pourrait en être le moteur.

En effet, la diminution de la démographie carcérale passera forcément par l’application des peines alternatives à l’emprisonnement, mais faudrait-il d’abord résoudre la problématique de la détention provisoire. Cette Mesure qui devait être d’application exceptionnelle est aujourd’hui fortement chahutée du fait de son utilisation abusive par les juridictions répressives ; elle est perçue comme étant non conforme au respect des droits de l’homme lorsqu’elle n’offre pas de garantie relative au respect d’un délai raisonnable de jugement.

Ce qui explique, du reste, l’effectif pléthorique de détenus en attente de jugement. Leur nombre varie, en moyenne, entre 60 et 75% des effectifs carcéraux.

Il incombe alors, au Ministre de la justice, à défaut de l’institution du juge des libertés et de la détention, de prendre l’initiative de sensibiliser les magistrats du ministère public, reconnus « maitres de l’écrou », sur la nécessité de ne pas recourir systématiquement à la détention provisoire dans les cas où le mis en cause a commis un délit qui ne porte pas atteinte à l’ordre public et s’il présente des garanties de représentation (domicile régulier et situation sociale stable). Le second levier réside dans la possibilité, même s’il faut en compensation augmenter le quantum de la peine encourue, de rapatrier vers les juridictions correctionnelles certains délits qui avaient été « criminalisés » beaucoup plus pour des raisons politiques que d’ordre public (vol de bétails, infractions à la législation des stupéfiants). Ce changement de qualification a entrainé des lourdeurs de procédure qui maintiennent, très longtemps, leurs auteurs en détention provisoire ; ils sont passibles de la cour d’assises dont les sessions sont périodiques. Les changements attendus avec la création des chambres criminelles seront aussi peu notables au motif de leur mode de fonctionnement non permanent.

Pour revenir sur les peines alternatives à l’emprisonnement comme moyen judiciaire de réduire l’inflation carcérale, leur pertinence réside dans le fait qu’elles permettent d’éviter l’incarcération. Il s’agit : du travail au bénéfice de la société, du sursis, du sursis avec mise à l’épreuve, de l’ajournement avec probation.

L’intérêt de leur prononcé comme peines de substitution, doit être aussi recherché, indépendamment du maintien du condamné dans la société libre, dans le fait que leur exécution ne coute rien à l’Etat. A titre d’exemple, le travail au bénéfice de la société n’est pas rémunéré et n’implique aucune prise en charge, de quelle que nature que ce soit, contrairement à l’exécution d’une peine privative de liberté qui appelle de la part de l’Etat, hébergement, alimentation et soins de santé au profit de la personne concernée.

Il s’y ajoute que les conditions et modalités de mise en œuvre de ces peines alternatives sont simples et conformes aux prescriptions contenues dans les instruments internationaux relatifs au respect des droits de l’homme notamment, la déclaration universelle des droits de l’homme et le pacte international relatif aux droits civils et politiques.

A la lumière de l’analyse, on se rend compte, à l’évidence que toutes les solutions institutionnelles envisageables, pour diminuer la surpopulation des prisons, sont d’ordre judiciaire. Leur mise en œuvre ne devrait donc pas rencontrer beaucoup de difficultés. A terme, l’Administration pénitentiaire pourrait aussi tirer profit de ces solutions institutionnelles, en se consacrant davantage à sa mission de préparation à la réinsertion sociale des détenus.

Il est impératif de rappeler, pour conclure, que pour lutter contre la suroccupation carcérale, les pouvoirs publics doivent engager, sans délai, des reformes profondes à la mesure de l’ampleur du phénomène afin d’éviter que nos prisons se transforment en « ghetto pénitentiaire » inhumain et dégradant. La création de nouvelles places, comme solution nécessaire et suffisante, ne fait que différer l’échéance de l’escalade de la violence et l’augmentation des incidents dans les prisons (grève de la faim, refus de remontée de promenade, rébellion, mutinerie…etc.). Les solutions sont ailleurs (…).

Les magistrats du ministère public sénégalais devraient, en attendant la définition et la mise en œuvre d’une véritable politique pénale, s’inspirer de l’approche humaniste de certains de leurs homologues français (…) qui, pour éviter la surpopulation carcérale, ont opté pour « le rendez-vous pénitentiaire », pratique consistant à remettre à la personne condamnée une convocation à date fixe à se rendre à l'établissement pénitentiaire pour l’exécution de sa peine.

En définitive, la solution c’est : « Moins de prison, plus de liberté ».

Cheikh Sadibou Doucouré Spécialiste des droits de l’homme et

des questions pénitentiaires

Pikine Tally boumack

 

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