« Fin des Talibés, rêve ou réalité ? » Par Oumou WANE

Ils marchent entre les voitures leur écuelle à la main, épuisés, sales, errant sans but, s’exposant à tous les dangers ! Misérables souillons en habits trop grands, ils arpentent des kilomètres sous un soleil de plomb, les pieds crevassés, pour mendier l’argent qu’ils doivent rapporter chaque soir. 500 Fcfa disent-ils, pour ne pas être punis et battus par le maître ! Ils marchent pour quérir leur pitance, riz rance, pourri ou pas, pourvu que ça les nourrisse ! Dieu merci, notre Président a tranché cette question gastronomique à la grande mosquée le jour de la korité et ce fut un grand moment de fierté pour nos cœurs et nos esprits habitués aux renoncements de nos hommes politiques devant la toute nouvelle puissance de nos religieux !

Ils marchent pour assurer les ressources de leur maître coranique qui s’octroie tous les droits sur eux. Cela pouvait-il encore durer ?
Chaque jour devant nos portes, sous nos yeux blasés, dans chaque rue et à chaque carrefour, au mépris des droits de l’enfant et de la dignité humaine, ils quémandent pour le compte de soi-disant marabouts sans scrupules ou d’écoles coraniques illégales, qui font leur gras sur le dos de ces enfants des rues qui n’ont pourtant que la peau sur les os.
De fait, ces enfants sont le parfait appât pour attirer notre générosité. Doit-on encore aller plus loin, comme il s’est vu faire en Asie avec des enfants sciemment estropiés ou d’autres en Inde auxquels on crève les yeux ? Non, il est temps d’éradiquer l’exploitation des enfants et tout acte les soumettant à des traitements cruels ou dégradants !

C’est pourquoi je me réjouis, non sans quelques réserves vu les contradictions de notre société, que le gouvernement décide de s’attaquer au tabou des Talibés pour le lever, car ce phénomène de mendicité des enfants prend de plus en plus d’ampleur, jusqu’à freiner le développement de notre pays ! Car croyez-moi, si nous-mêmes avons fini par fermer les yeux pour mieux nous endormir sur nos oreillers douillets, cette plaie sociale frappe sévèrement le visiteur étranger dès qu’il met le pied à Dakar !
Ajoutez au tableau de notre voie publique les «vieux» et les handicapés qui peuplent les rues de Dakar pour récolter l’aumône et ça vous donne l’image d’une capitale assiégée par des mendiants !

Il fallait donc beaucoup de courage politique pour oser changer cette triste réalité et tenter d’enrayer ce phénomène enkysté dans notre société à tel point qu’on ne le voit plus ou qu’on ne veuille plus le voir ! Autant de courage et de volonté qu’il en a fallu au 19ème siècle, pour sortir les enfants des mines et des carrières de charbon ! Nul doute que si cette mesure va jusqu’au bout et qu’elle se donne les moyens d’y arriver, elle restera à la postérité et marquera un tournant majeur dans le développement et l’épanouissement de notre nation.

Bravo donc Monsieur le Président de la République d’avoir osé ! Bravo au gouvernement de sévir ! Cette volonté du premier ministre, d’offrir une seconde chance loin des maltraitances à ces petits mendiants, tout en rendant au pays sa dignité et le visage d’une nation émergente, se traduit par des mesures nécessaires et courageuses, mais je le crains on va encore leur mettre des bâtons dans les roues !

Osez encore donc et osez plus ! Allez-y jusqu’au bout ! La majorité des sénégalais est avec vous !

Des amendes et des peines de prison pour les parents malveillants ou les tuteurs qui mettraient ces enfants dans les rues, c’est un bon début ! Mais qu’en est-il des daaras illégaux et des maîtres coraniques abusifs ? N’est-il pas temps d’entrer dans le vif du sujet et de régler ce problème durablement ?

Certes, l’Etat a ordonné ’’le retrait d’urgence des enfants des rues’’, sous peine de sanctions contre les parents fautifs ! Mais sont-ce les seuls coupables ou bien notre société est-elle aussi malade de ses guides religieux ? Aux dernières nouvelles, les enfants talibés scolarisés dans les daaras (écoles coraniques), ne seraient pas concernés par la mesure d’interdiction de la mendicité qui frappe les enfants de la rue. Soit !

Est-ce déjà une volte-face de l’État devant les lobbys de cet asservissement culturel inscrit dans notre ADN et qui nous ramène à quatre siècles en arrière ? J’ai comme un gout de métal dans la bouche et des ombres de Gorée dansant devant mes pupilles en écrivant ces mots ! Sommes nous décidément esclavagistes dans l’âme ? Tout ceci doit cesser et force doit rester à la loi de la République.

Ce n’est pas la première fois d’ailleurs que l’Etat tente d’éradiquer cet esclavagisme moderne ! En 2012, l’ancien président sénégalais Abdoulaye Wade tenta en vain de rendre illégale la mendicité en ville mais la loi fut si mal accueillie par les autorités religieuses que la législation fut retirée moins de trois mois après sa mise en application.

C’est une tradition sénégalaise d’envoyer les enfants à l’école coranique. C’est établi ! Certains parents, croyant donner une éducation religieuse à leurs enfants, et disons-le clairement, n’ayant pas les moyens de les nourrir, les envoient chez des maîtres coraniques, qui devraient les prendre en charge mais qui n’ont que très peu de moyens eux-mêmes… Ceci pose une fois de plus le problème fondamental de planification familiale qui fera l’objet d’un autre débat assurément !

Autrefois, ces jeunes apprenaient un métier dans les champs de leur maître, qui garantissait leur prise en charge à partir des revenus tirés des récoltes. La mendicité, faisant appel à la générosité de la société, participait de l’apprentissage sur l’humilité. Les enfants se consacraient à l’étude de la religion. Aujourd’hui, le monde a changé ! Ces jeunes enfants sont livrés à eux-mêmes et se retrouvent la plupart du temps à la rue, le fruit de leur quête enrichissant leurs enseignants mais ne servant plus à leur prise en charge.

Oui, la grande partie de ces jeunes mendiants se retrouvera sans emploi ou incapable d’exercer un quelconque métier. Plus de 100 000 jeunes mendiants estime-t-on au Sénégal, qui au nom de la tradition de l’école coranique, sont marginalisés, ignorant les principales lois du pays et qui viendront grossir les rangs des sans emploi et des déclassés ! Car ne nous cachons pas derrière notre petit doigt, pour beaucoup de ces enfants, la mendicité mène tout droit à l’analphabétisme, quand elle ne conduit pas à la drogue, la délinquance et à la case prison.

Ces dernières semaines, plusieurs centaines d’enfants dans différentes localités du pays, ont été interpellés par les forces de l’ordre et remis à leurs maîtres coraniques, à leurs parents ou à des structures qui s’occupent de l’enfance. Et c’est là où se trouvent mes réserves. Sortiront-ils de la rue pour réapparaitre dans une autre rue ? Quitteront-ils la mendicité pour d’autres corvées aussi dégradantes ? Ou bien Macky Sall se donnera-t-il enfin les moyens de la concertation, du consensus et de l’action, afin de leur procurer l’accès aux soins, une nourriture digne de ce nom, une éducation de base, un traitement garantissant leur dignité et leurs besoins immédiats de protection, ainsi que leur réinsertion familiale et sociale ? Et quid de ces enfants venus du Mali, de Guinée et d’ailleurs ?
C’est là que nous attendons notre Président et notre premier ministre, envers et contre tout, pour qu’ils tiennent droit dans leurs bottes et résistent aux pressions pour mettre fin à cette oppression qui ne porte pas son nom.

Et s’ils devaient rencontrer des obstacles, qu’ils sachent que nous, le peuple silencieux qui ne dit rien mais n’en pense pas moins, les soutenons et qu’ils resteront dans l’histoire de notre pays comme ceux qui auront éradiqué ce phénomène ! Quant à Macky Sall, déterminé et souvent « borné » comme nous le connaissons, j’ose penser que s’il en fait un devoir personnel et une priorité nationale, nous ne demanderons bientôt plus à y croire mais nous verrons sûrement de nos propres yeux que ce problème de talibé est derrière nous !

Oumou Wane
Présidente africa 7

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