Relancer le tourisme sénégalais : pour une souveraineté touristique et un changement de paradigme

Relancer le tourisme sénégalais : pour une souveraineté touristique et un changement de paradigme

Le tourisme sénégalais entre dans une nouvelle phase. À l’aube du Conseil interministériel promis par le nouveau régime, les promesses de relance se multiplient. Pourtant, pour celles et ceux qui ont observé le secteur avec lucidité au fil des décennies, un constat s’impose avec gravité : depuis plus d’un demi-siècle, les professionnels comme les gouvernants se sont collectivement fourvoyés. Le Sénégal, malgré ses atouts naturels, culturels et humains, n’a pas réussi à construire une industrie touristique ordonnée, souveraine et durable.


La politique touristique sénégalaise, en l’état, repose sur deux piliers fragiles : la Petite Côte, surexploitée et de faible qualité, et la Casamance, riche en potentiel mais structurellement désorganisée. Le premier pôle a été défiguré par une logique de court terme, répondant aux intérêts d’un lobby étranger bien identifié : les tours opérateurs, qui ont imposé leur mainmise sur la destination en capitalisant sur sa proximité avec Dakar et sur un climat favorable. La Petite Côte est aujourd’hui saturée, mal régulée, victime d’un vieillissement de ses infrastructures et d’une précarisation silencieuse de ses travailleurs.
La Casamance, pour sa part, demeure une promesse inachevée. Hormis la bulle bien encadrée du Club Med, la région naturelle est parsemée d’initiatives isolées, souvent artisanales, portées par des producteurs indépendants. L’État a longtemps déserté la structuration du secteur, laissant le potentiel régional à la merci de logiques dispersées, souvent sans soutien logistique, juridique ou financier. La relance du tourisme ne pourra s’appuyer sérieusement sur un territoire aussi stratégiquement vital que la Casamance sans un plan cohérent, appuyé par l’aménagement territorial, les infrastructures et une vision
claire.
Mais c’est à l’échelle nationale que se pose un problème plus profond : le Sénégal n’a jamais disposé d’une industrie touristique structurée, coordonnée et souveraine. L’État dans le passé a toléré, parfois encouragé, une forme de sous-traitance touristique internationale où les flux, les profits et les orientations stratégiques échappent à toute maîtrise nationale.
Les chambres d’accueil locales, pourtant cruciales pour un tourisme endogène, sont
largement désertées. Pourquoi ? Parce que l’offre infrastructurelle est déficiente, les normes
de qualité sont ignorées, les circuits de formation sont inexistants ou inadéquats, et les
politiques fiscales manquent de lisibilité et d’équité.
Dans ce contexte, investir dans les huit (8) pôles touristiques du terroir, augmenter la capacité structurelle d’accueil. Investir aussi et repenser radicalement les conditions d’hébergement, d’accès, de services et de qualité. La révolution ne réside pas dans une multiplication désordonnée des projets, mais dans une stratégie ciblée, alignée avec les enjeux du Référentiel Sénégal 2050, qui insiste sur la durabilité, la souveraineté économique et la justice territoriale.
C’est pourquoi je soutiens que le véritable moteur de la relance se trouve ailleurs aussi, sur la Grande Côte, territoire encore vierge, marginalisé historiquement pour des raisons politiques et commerciales. Ce choix de marginalisation n’a rien d’innocent. Il résulte d’un arbitrage biaisé par les intérêts d’acteurs étrangers qui préféraient concentrer leurs efforts sur des zones facilement rentabilisables. Aujourd’hui, cet arbitrage est obsolète. Dans une époque où le discours de souveraineté est brandi par l’État, il est urgent de faire émerger une souveraineté touristique, pensée comme un levier de réappropriation économique, culturelle et territoriale.
La Grande Côte, de Rufisque à Saint-Louis, recèle un potentiel inestimable : plages immaculées, proximité avec des bassins agricoles et artisanaux, accès à un patrimoine historique riche (Saint-Louis, Ndiassane, Mboul), et surtout, la possibilité d’y implanter des infrastructures d’accueil de dernière génération. Il ne s’agit pas de reproduire les erreurs du passé avec des hôtels hors-sol ou des ressorts privatisés, mais de bâtir un modèle intégré, écosystémique, qui combine tourisme durable, industrie locale, culture vivante et
souveraineté foncière.
Relancer le Tourisme Sénégalais ne peut pas se réduire à une redistribution d’avantages, souvent accaparés par des groupes établis, qui freinent la refonte structurelle du secteur. Ce sont ces mêmes lobbies qui, sous couvert de rentabilité, maintiennent le pays dans une logique de dépendance, où les marges bénéficiaires restent captées à l’extérieur, et où les emplois locaux sont précaires, mal formés et dévalorisés.
Ce que je propose, c’est un renversement de paradigme. Le tourisme ne peut plus être pensé comme une extension folklorisée des logiques d’exportation, mais comme une fonction stratégique du développement durable. Cela implique :
Une cartographie rigoureuse des potentialités territoriales, fondée sur des données
géographiques, écologiques et sociologiques actualisées ;
Une planification d’infrastructures intelligente, priorisant les corridors de la Grande Côte ; et
des huit (8) pôles définis par le nouveau régime.
Une politique de formation et de certification des acteurs locaux (guides, hôteliers, restaurateurs, etc.) intégrée aux établissements d’enseignement supérieur ;
Un dispositif de financement transparent et équitable, qui ne bénéficie pas seulement aux
opérateurs historiques, mais qui soutient les porteurs de projets innovants, jeunes, ruraux ou
issus de la diaspora ;
Et surtout, une refonte des indicateurs de succès du secteur touristique, pour sortir des
obsessions du nombre de touristes au profit d’une mesure qualitative : création de valeur
locale, rétention des devises, impact environnemental maîtrisé.
Cette orientation est soutenue par les plus hautes autorités de l’État. Le président de la République, Bassirou Diomaye Diakhar Faye, a récemment affirmé dans son discours sur la politique générale que : « La souveraineté économique du Sénégal passera par la valorisation de nos territoires, de nos savoir-faire, et de nos capacités d’accueil. »

Le Premier ministre Ousmane Sonko, quant à lui, a rappelé que : « Le tourisme ne doit plus être
un secteur captif aux intérêts étrangers. Il doit devenir un levier de justice territoriale et de
dignité économique. »
Il faut donc convoquer un autre tourisme. Un tourisme qui ne se contente pas d’être inclusif sur le papier, mais qui crée de l’équité structurelle. Un tourisme qui ne dilapide pas le littoral, mais qui l’aménage avec respect. Un tourisme qui ne s’appuie pas sur l’informalité, mais qui régularise, qui élève, qui formalise. Un tourisme qui repose sur la maîtrise foncière, car sans cela, toute souveraineté reste illusoire.
L’heure est venue de parler véritablement de relance. Pas de cosmétique, mais de préconception. Pas de rallumage temporaire, mais de refondation. Le Sénégal doit tourner le dos aux logiques d’alignement passif sur les intérêts exogènes. Il doit bâtir une industrie touristique pensée pour son peuple, ses territoires, ses héritages et ses futurs.
À titre d’illustration, prenons un exemple comparatif : en 2023, le Sénégal a accueilli environ 1,8 million de touristes internationaux, selon les chiffres de l’ANSD. Ce chiffre peut paraître honorable, mais il est à mettre en relation avec la performance de pays comparables : le Cap-Vert, avec une population dix fois moindre et une superficie quinze fois plus petite, a accueilli près de 1 million de touristes la même année. Le Maroc, lui, a franchi la barre des 14 millions de visiteurs.

Le contraste est criant. D’autant plus que le taux de rétention économique – c’est-à-dire la part des recettes touristiques qui reste effectivement dans le pays – est au Sénégal l’un des plus faibles d’Afrique de l’Ouest : à peine 25%, selon une étude conjointe de l’OMT et du PNUD. Cela signifie que pour chaque franc CFA dépensé par un touriste, 75% fuient le pays via les compagnies aériennes, les TO étrangers, les hôtels non détenus localement et les plateformes de réservation internationales.
Cette fuite des capitaux est le symptôme d’une industrie sans assise nationale, sans capitalisation locale, sans souveraineté. Elle doit nous alerter.
Par Doudou Gnagna DIOP
Auteur du livre Sénégal l’Autre Tourisme
ONITS (Organisation pour l’Intégration
Du Tourisme Sénégalais

3 COMMENTAIRES
  • Ak

    Blablabla pour ne rien faire.vous.voulez que des touristes viennent au Sénégal dépenser leur argent .
    Fait de air Sénégal une compagnie low cost ou autoriser easy jet de venir au Sénégal des billet de l’Europe a moins de 60.000 francs actuellement 500.000 .
    Voilà la réponse comme la Thaïlande le Sénégal a des atouts .

  • Dixit

    Le Sénégal est un pays sale. Les sénégalais ont un rapport difficile avec l’hygiène. Les élus sénégalais (Rufisque, Mbour …) , à l’image de leur localité, doivent rendre des comptes.

  • Lamine Diop

    Avec des hôtels, campements, villas de touristes attaqués avec des individus lourdement armés ce sera difficile.
    Le banditisme au Sénégal a pris des proportions alarmantes.
    La rue ainsi que les sites touristiques ne sont plus sûrs.

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