Présidence de la Commission de la CEDEAO : Le regard critique de Jean Charles Biagui sur les défis du Sénégal

L’enseignant-chercheur en Sciences politiques à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD), Jean Charles Biagui, a livré une analyse sans concession sur les conclusions de la 68ème session ordinaire de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement de la CEDEAO. Dans un entretien accordé à nos confrères de Sud Quotidien, l’universitaire revient sur les crises politiques en Guinée-Bissau et au Bénin, tout en évaluant les perspectives de la future présidence sénégalaise de la Commission de l’organisation sous-régionale.

Selon Jean Charles Biagui, la réaction de l’organisation face au coup d’État en Guinée-Bissau et à la tentative de putsch au Bénin illustre les limites structurelles de l’institution. Si la CEDEAO reste constante dans son rejet des prises de pouvoir par les armes, sa crédibilité s’effrite face à ce que l’analyste qualifie de « coups d’État civils ». Il pointe du doigt le silence de l’instance lors des révisions constitutionnelles controversées ou de l’instrumentalisation des codes électoraux, citant les exemples du Togo et de la Côte d’Ivoire. Cette posture sélective, qualifiée de « sourde et aveugle » face aux dérives autoritaires institutionnelles, affaiblit considérablement sa voix lorsqu’elle tente de condamner les putschs militaires.

Concernant les capacités d’intervention, l’enseignant-chercheur se montre sceptique sur l’efficacité des mesures coercitives. Il estime que l’option des « sanctions ciblées » s’apparente à une fuite en avant, l’organisation ne disposant pas, selon lui, des moyens militaires pour rétablir l’ordre constitutionnel, comme observé au Niger, au Mali ou au Burkina Faso. Il souligne que le virage sécuritaire amorcé depuis les années 1990 a éloigné l’institution de son ADN économique, sans pour autant lui conférer une réelle capacité de projection militaire. Pour le cas spécifique du Bénin, il précise que le maintien du président Talon relève davantage de l’intervention française que de l’action de la CEDEAO ou du Nigeria.

L’analyse aborde également la désignation du Sénégal pour assurer la présidence de la Commission de la CEDEAO pour la période 2026-2030. Si cette nomination a été perçue par une partie de la presse comme une victoire diplomatique redessinant l’horizon régional, Jean Charles Biagui tempère cet enthousiasme. Il qualifie cette responsabilité de poste essentiellement honorifique au sein d’une institution qui n’est pas supranationale. D’après ses explications, la présidence sénégalaise ne suffira pas à inverser la dynamique de déclin institutionnel actuel.

Enfin, l’universitaire interroge la capacité d’influence du Sénégal sous l’ère actuelle. Il suggère que le Président Diomaye Faye pourrait rencontrer des difficultés à jouer un rôle de médiateur efficace, notamment en raison d’une politique étrangère jugée conservatrice et d’une proximité passée avec certains pouvoirs déchus. De plus, son positionnement souverainiste pourrait paradoxalement compliquer le dialogue avec les pays de l’Alliance des États du Sahel (AES), rendant la tâche de réconciliation régionale particulièrement ardue.

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