Depuis l’annonce faite par le chef de l’Etat de reformer le Conseil supérieur de la Magistrature (CSM) avec possibilité d’ouverture, c’est l’agitation dans tous les sens. Les pour par-ci, les contre par-là, chacun y va avec ses propositions dictées par sa sensibilité et l’idée qu’il se fait de la démocratie, donnant l’occasion de confirmer l’adage selon lequel, « tout dépend de celui qui raconte l’histoire ».
Le pouvoir judiciaire est un maillon essentiel de la démocratie. Aux termes de l’article 91 de la charte fondamentale, il est le « gardien des droits et libertés définis par la constitution et la loi ». La reforme le concernant devrait être bien réfléchie si l’idée est d’arriver à des aménagements consolidants au profit des populations.
Les acteurs impliqués devraient éviter de confondre la vérité avec l’avis de la majorité comme dans les sociétés défaillantes selon le mot de l’écrivain russe Anton Tchekhov, caractérisées par l’ignorance et la futilité des sujets qui dominent les débats ; ces sociétés dans lesquelles « l’homme raisonnable est constamment vaincu ».
Ils doivent éviter le piège d’un tapage médiatique divertissant qui nous ferait passer à côté de l’essentiel. Le débat autour de l’aménagement de la composition du Conseil supérieur de la Magistrature projeté qui focalise toutes les attentions du moment, n’a pas de plus-value sur la qualité de service rendu aux usagers à moins bien sûr, que d’autres mesures d’accompagnements soient prises.
LE DEBAT SUR LA REFORME DU CSM OU LE TRIOMPHE DU SYMBOLIQUE SUR LE REEL
Contrairement aux aspirations des populations qui font état de besoins concrets liés à l’accessibilité, la célérité, la disponibilité des actes, la transparence dans la gestion des procédures, l’essentiel des intervenants se focalise sur la composition de l’organe de nomination des magistrats pour soutenir que le Président de la République avait besoin de quitter le Conseil qui devrait par ailleurs, être élargi à d’autres acteurs.
Le retrait du Président de la République du Conseil, une idée techniquement limitée Il est intéressant de relever que les tenants de la thèse du retrait du Président de la République du Conseil, en tout cas les plus remarqués, sont ceux la même qui sont pressentis pour intégrer le Conseil.
Ils brandissent à ce propos l’argument de la logique ou du bon sens. Ils invoquent en effet, la séparation des pouvoirs qui selon eux, serait contraire à la présence de l’exécutif au Conseil.
Cela résulte certainement d’une compréhension très superficielle du concept.
Mais c’est quoi la séparation des pouvoirs ? c’est un principe qui veut que les trois fonctions essentielles de l’Etat soient exercées par des organes différents afin que le contrôle de chacun préserve les citoyens des atteintes à leurs droits. C’est tout.
Il s’agit d’une théorie dont l’application variée a donné naissance à une séparation souple ou une séparation rigide des pouvoirs dans les régimes politiques modernes.
Mieux encore, le Conseil constitutionnel français a par décision du 23 janvier 1987, théorisé la conception française de la séparation des pouvoirs différente de la conception classique.
Pour dire que la collaboration des pouvoirs notée dans certains régimes politiques, n’est ni contraire ni incompatible avec la séparation des pouvoirs.
Contrairement aux idées avancées, la présence du Chef de l’Etat au sein du Conseil, sa faculté de dissoudre le parlement, la possibilité pour le parlement de renverser le gouvernement, la soumission des magistrats du parquet à l’autorité hiérarchique du ministre de la justice sont des exemples de collaboration ou de moyens d’action réciproques dans un régime de séparation souple des pouvoirs.
L’architecture étatique du Sénégal révèle une application effective du principe puisque, les organes exerçant les trois grandes fonctions de l’Etat sont différents. Ceci est incontestable. La présidence du Conseil supérieur de la Magistrature par le Chef de l’Etat ne constitue point une entorse au principe qui dans son application, requiert une certaine souplesse permettant le dialogue des pouvoirs afin d’éviter des situations de blocage ou de paralysie des institutions.
La présence du Président de la République au Conseil permet ce dialogue qui a le mérite de transformer du moins dans la pratique, l’organe consultatif en organe délibérant car toutes les mesures sont discutées et par la signature du procès-verbal par le Président et le secrétaire général, le Conseil entérine les décisions.
Ce qui n’a pas de sens c’est de vouloir soutenir une prépotence du Conseil sur le Président de la République. Selon les articles 90 alinéa 1 de la Constitution et 4 de la loi organique n° 2017-11 du 17 janvier 2017 portant Statut des magistrats, le Président de la République nomme les magistrats sur proposition du ministre de la justice après avis du Conseil supérieur de la Magistrature. Donc en conséquence, l’acteur majeur reste le Chef de l’Etat qui a le pouvoir constitutionnel de nomination et le Conseil est du point de vue textuel, un organe consultatif.
Or, les débats semblent accréditer l’idée d’une prépondérance du Conseil qui ne donne qu’un avis obligatoire et pas d’avis conforme, sur l’acteur majeur.
Une partie des tenants du débat actuel ne demandent ni plus ni moins que l’éclipse du Président de la République au profit d’un Conseil tout puissant. Pour ce faire, il faudrait rendre la procédure consultative d’avis conforme pour que le Conseil puisse imposer au Chef de l’Etat ses vues quant aux nominations, ce qui serait un renversement aberrant.
La réalité du moment est que c’est le Président de la République qui décide et l’avis obligatoire du Conseil ne le lie pas, qu’il siège ou pas au sein de cette entité. Alors que reste-t-il de l’argument des tenants de la séparation des pouvoirs tendant à le retirer dudit Conseil.
Il faut juste relever que conformément à l’article premier de la loi organique suscitée, le Chef de l’Etat préside le Conseil en sa qualité de clef de voute des institutions dont il est responsable.
Pour ce qui concerne le ministre de tutelle, sa présence au Conseil se justifie valablement par la mission de manager le département de la justice. A ce titre rien ne devrait être entrepris dans son domaine en tout cas sur le plan administratif, à son insu.
Ceux qui invoquent les configurations notées dans d’autres pays doivent intégrer la réalité selon laquelle, le mimétisme institutionnel tient compte du contexte et de la maturité démocratique des citoyens pour éviter les tares congénitales.
Qu’en est-il maintenant de l’ouverture du Conseil à d’autres acteurs ?
L’ouverture du conseil à d’autres acteurs, une idée dangereuse
L’ouverture du Conseil nous fait penser à des justiciables qui vont s’occuper de la nomination et de la discipline de ceux qui sont chargés de les juger !
A notre avis, un seul argument peut être brandi pour écarter facilement l’idée d’ouvrir le Conseil. Il s’agit de l’indépendance de la Justice. Elle doit être indépendante de toute forme d’influence. C’est un principe constitutionnel selon lequel, « les juges ne sont soumis qu’à l’autorité de la loi dans l’exercice de leurs fonctions ».
Il semble qu’on soit en train de créer un plus grand problème ? Peut-on valablement demander l’exclusion du Président de la République élu au suffrage universel sur le fondement d’une idée sommaire de la séparation des pouvoirs pour soutenir celle relative à l’adjonction d’autres acteurs publics ou privés ? Sur quelles bases devrons-nous échanger un politique légitime contre des universitaires comme si on avait besoin de science pour gérer la carrière des magistrats ou contre des acteurs de la société civile distingués dans le soutien de diverses causes ? De plus, qui est politique et qui ne l’est pas dans ce pays, d’ailleurs qui ne saurait devenir politicien ?
Comment comprendre que des privés qui chaque jour poursuivent des buts particuliers et donc en constante situation de conflit d’intérêts puissent penser une seule fois intégrer l’organe de nomination des juges de leurs personnes et de leurs intérêts ?
Sur ce point, la prudence doit être de mise. L’indépendance de la Justice et sa neutralité doivent être invoquées contre l’ouverture du Conseil pour préserver le pouvoir de nomination.
Pour que la réforme ait un impact sur la qualité de service rendu aux populations, il faut quitter le symbolique pour le réel car la recomposition du Conseil n’a pas de valeur concrète sur le vécu des populations, à moins que, des garanties supplémentaires soient prises.
LA REVISION DE LA GESTION DES CARRIERES OU LE LEVIER ADEQUAT
En plus de renforcer le fonctionnement des juridictions par une revue à la hausse des moyens alloués tout en adaptant les aspects liés à la détention et au procès équitable, il faudra revoir la gestion des carrières des magistrats qui renvoie au processus impliquant le recrutement, le développement des compétences et la mobilité interne. En l’espèce, l’accent sera mis sur la mobilité des acteurs et sur la préservation de leur office pour des mouvements objectifs gages de motivation du personnel judiciaire et d’efficacité du système.
Une objectivation des nominations
La première mesure à prendre cette fois-ci sur le fondement de la séparation des pouvoirs et de l’indépendance de la Justice, est de trouver au Conseil un secrétariat général autonome doté d’un siège et d’un personnel propres.
Lorsqu’on procède à l’analyse des dispositions pertinentes, on tombe sur les articles 3 et 4 du décret n° 2019-1299 du 14 août 2019 relatif aux modalités de désignation des membres élus et de fonctionnement du Conseil supérieur de la Magistrature qui semblent être les seules fixant les attributions du secrétaire général du CSM. Ce magistrat désigné par le Président de la République est chargé suivant les dispositions susvisées de dresser procès-verbal de chaque réunion, de le contresigner et de le conserver.
Le Secrétariat du CSM devra être structuré avec davantage d’attributions clairement définis.
Selon les articles 7 de la loi organique n° 2017-11 du 17 janvier 2017 portant organisation et fonctionnement du Conseil supérieur de la Magistrature et 4 la loi organique n° 2017-10 du 17 janvier 2017 portant Statut des magistrats, les magistrats du corps judiciaire sont nommés par décret sur proposition du ministre de la justice, après avis du Conseil supérieur de la Magistrature. Ce pouvoir de proposition de nomination du ministère de la Justice pourrait être ensuite, transféré au Conseil supérieur.
Pour l’affectation des magistrats les dispositions des articles 43 à 47 et 76 à 84 de la loi organique portant Statut des magistrats relatives au tableau d’avancement notamment, devront être consultées et respectées.
Pour certains postes clefs tels que les chefs de juridictions, chefs de cours, chefs de parquet, doyen de juge d’instruction et vice-président de tribunal, un appel à candidatures sur la base de critères objectifs déjà bien connus, pourrait être instauré.
Une protection de l’office du magistrat
Les sociétés démocratiques ayant opté pour la séparation des pouvoirs érigent l’indépendance du judiciaire en principe fondamental pour qu’il prenne ses décisions à l’abri de toute forme de pression d’où qu’elle puisse venir. Elles garantissent cette indépendance par les moyens alloués, l’indépendance institutionnelle et l’inamovibilité qui ne sert à rien si le juge est tout le temps intérimaire au statut très précaire.
Protéger l’office du magistrat consiste à accorder à ce dernier toute la sérénité requise pour faire son travail c’est-à-dire de pouvoir décider sans crainte de représailles ou d’éviction arbitraire. En effet, quelle que soit la composition du Conseil, le problème demeure entier si le magistrat peut être affecté à tout moment parce qu’il a pris une mesure non conforme aux attentes de quelqu’un.
Pour cela, un mandat de trois à cinq ans selon le poste occupé, pourrait être envisagé avec la possibilité d’affectation sur demande ou en cas de difficulté dûment constatée par le Conseil.
A ce propos, il y a lieu de rappeler que par Décision n° 2/ C/ 2017 du 09 janvier 2017, le Conseil constitutionnel saisi sur le fondement de l’article 78 alinéa 2 de la Constitution, a retenu dans son considérant 59, « qu’en conférant un caractère temporaire aux fonctions énumérées dans cet article et correspondant à des emplois judiciaires sans prévoir les mécanismes permettant de concilier les conséquences de la limitation dans le temps de ces fonctions avec le principe de l’inamovibilité, le législateur organique porte atteinte, pour ce qui concerne les magistrats du siège, au principe de valeur constitutionnelle de l’indépendance des magistrats ».
Mais cette décision, loin de fermer la porte à toute initiative visant à instaurer un mandat réservé à certains emplois judiciaires, indique plutôt la voie à suivre concernant les juges, étant entendu qu’en l’état, s’agissant des magistrats du Parquet, rien ne s’y oppose.
L’idée de reformer la justice dans le sens de la rendre plus conforme aux aspirations du peuple devrait être très bien accueillie par tout le monde.
La décision de partir ou de rester au Conseil supérieur de la Magistrature dépendra de la vision et du plan de justice du Président. Elle aura pour unique but d’améliorer le service public de la justice.
Pourtant, il est bon de comprendre que l’idée qui semble se dessiner, en tout cas pour ce qui concerne ledit Conseil, annonce un cadre ouvert sans le Président de la République et le Ministre de la Justice ; un Conseil prépondérant qui va dicter la conduite à tenir au Chef de l’Etat en matière de nomination des magistrats.
Aussi, le réaménagement par adjonction ou retrait de membres n’aura pas l’effet escompté s’il n’est pas assorti de mesures bien plus importantes concernant les nominations et l’office du juge.
Pour éviter que ce soit une reforme de plus, le Président de la République qui a pris cette initiative ne doit être ni influencé ni floué. Il doit être accompagné et éclairé avec des conseils avisés pour que cette réforme ne serve pas une cause autre que celle de la justice.
* Par Cheikh Seye,
Président du Tribunal d’instance de Bakel.