Parce que Serigne Mountakha Mbacké le leur a publiquement demandé, Macky Sall et Abdoulaye Wade ne pouvaient pas ne pas se serrer la main. Mais, parler aussitôt de réconciliation semble aller trop vite en besogne. Car, si les deux hommes qui se parlent depuis longtemps n’ont pu jusqu’ici se retrouver, c’est à cause de divergences sur les termes du deal : Macky veut un troisième mandat et Karim ambitionne de lui succéder en 2024. Ainsi, on risque de se retrouver devant le scénario de 2008, lorsque le regretté Serigne Bara Mbacké les avait réconciliés. La suite, tout le monde la connaît : la chasse à Macky avait repris de plus belle à l’Assemblée nationale.
Aux larmes, citoyens ! Soudain triomphent les retrouvailles. Le diable d’hier devient le gentil du vendredi saint. Macky Sall et son ex-mentor dans la même voiture, après la grande prière d’inauguration de la plus grande mosquée de l’Afrique de l’ouest. Quelle prouesse ! Seules les montagnes ne se rencontrent pas. Et les belles photos de la poignée de main valent 10 mille «maux» du passé et sonnent le clap de fin pour ce crapoteux feuilleton politico-judiciaire qui a tenu en haleine le Sénégal, l’Afrique et le monde pendant sept bonnes années.
Avec cet affichage public de Wade et son ex-fils putatif, on ne manquerait pas, dans les deux camps, d’essuyer de douces larmes d’émotion en voyant le bel épilogue de cette sombre histoire de famille libérale tant éprouvée. Mais malveillants que nous sommes, nous ne pouvons pas avoir une déception de voir cette saga se terminer dans une dégoulinante eau de rose. Car, au-delà de l’affichage, le dénouement de cette tragi-comédie ne nous empêche pas de remuer nos méninges. En effet, tout le monde sait l’amour impossible qu’il y a entre une carpe et un lapin. Macky Sall veut un troisième mandat et Abdoulaye Wade ne se débat, à 90 ans révolus, que pour voir son Karim finir président de la République du Sénégal. Ce qui prouve que cette réconciliation est juste de façade, puisque scellée pour l’autorité de la chose religieuse qui leur a publiquement demandé ces retrouvailles. Et il ne pouvait faire autrement, après avoir montré orbi et urbi qu’ils sont tous talibés de sa confrérie.
Malgré la belle image et les demandes d’«amnistie pour Karim», «retrouvailles de la famille libérale», «gouvernement élargi» et autres qui vont être réclamés ça et là, le contentieux familial est très profond. Et le camp du pouvoir surtout est allé très loin dans le dénigrement de l’homme au centre de tous ces différends : Karim Meïssa Wade. Emprisonné, exilé par le fils d’emprunt de son père, l’ancien «ministre du ciel et de la terre» ne bouderait pas son plaisir face aux alliés et autres sbires du pouvoir de Macky Sall. Lesquels ne pourront broncher devant la volonté du «Patron» de réhabiliter, au besoin, celui dont il disait qu’il doit 130 milliards de francs Cfa au Trésor public. On aimerait bien voir leurs têtes.
Mais, en vrai animal politique, Macky Sall semble cacher son jeu et va encore se faire le vieux qui lui a appris toutes les roueries politiques. Maître de son agenda politique, il avance, avec son cabinet noir, dans sa stratégie de conquête d’un troisième mandat. Ce qui semble expliquer la mise en cage de ses troupes dont il ne veut voir personne afficher des ambitions avant 2024, comme il l’a clairement répété à Paris devant ses militants.
Quant à Abdoulaye Wade, il ne peut pas se réconcilier totalement avec Macky Sall aussi longtemps que Karim pourrait être arrêté pour contrainte par corps. Et tant que ce bannissement va continuer, le Pape du Sopi ne pourra pas pardonner à son successeur. Lequel a longtemps cherché les retrouvailles pour des raisons «humanitaires». Il a tout essayé mais le Secrétaire national du Pds a tout bloqué, réclamant l’amnistie pour son fils ou la révision de son procès. De nombreuses personnes dans les salons dakarois savaient que Wade et Macky Sall se parlent depuis longtemps. Ainsi, l’inauguration de la mosquée Massalikoul Jinaan n’était que le bon prétexte pour préparer l’opinion à la surprenante suite du feuilleton.
Mais le plus drôle dans ce manège est l’utilisation de la classe maraboutique dans la comédie du personnel politique. En effet, comme le Président Wade l’avait fait avec l’opposant Idrissa Seck à la veille de la Présidentielle de 2007, Macky Sall risque d’utiliser cette occasion, servie sur le plat, pour faire oublier le cortège de gros scandales comme l’affaire petro-Tim, qui menace son pouvoir. Et le peuple sera encore le dindon de la farce. En effet, nous ne serons pas surpris que cette poignée de main pousse certains à doper le dialogue politique pour amnistier tous les faits au profit de tout le monde. Même Aliou Sall, mis en cause dans un scandale jamais vu depuis que le Sénégal est Sénégal. Car, si Wade décide de prendre ouvertement part à ce dialogue de Famara Ibrahima Sagna, il peut exiger que Karim soit totalement réhabilité. Tout comme Macky peut le faire pour son jeune frère. Et «au nom de la cohésion nationale», on enterre tout : les milliards du peuple passeront ainsi par pertes et profits. Et les rentiers de la foi réussiront ainsi un gros coup.
Seyni DIOP