Jean-Christophe Rufin, écrivain et ancien ambassadeur de France au Sénégal, livre une analyse approfondie de la situation politique actuelle dans ce pays chez nos confrères du journal français Le Parisien parcouru par Senego. Selon lui, l’arrivée au pouvoir du président Bassirou Diomaye Faye et la montée du populisme suscitent de vives préoccupations, tant à Paris qu’à Dakar. Le 12 septembre dernier, Bassirou Diomaye Faye a pris la décision de dissoudre l’Assemblée nationale, une action qui, selon Rufin, a plongé le Sénégal dans une incertitude politique majeure.
La France et le Sénégal, liés par des relations historiques, institutionnelles et humaines, sont très proches, rappelle Rufin. Le pays abrite une importante communauté française de plus de 25 000 résidents, tandis que la France compte une diaspora sénégalaise significative. Une crise majeure au Sénégal, estime-t-il, pourrait avoir des répercussions graves pour la France, d’autant plus que le pays se trouve dans une région instable, avec des voisins comme le Mali, le Burkina Faso et le Niger, désormais sous le contrôle de juntes militaires qui affichent une hostilité marquée envers Paris.
Cependant, le Sénégal, note Rufin, se distingue par son histoire démocratique exemplaire, marquée par des alternances pacifiques au pouvoir depuis son indépendance. L’élection de Bassirou Diomaye Faye en avril dernier semblait s’inscrire dans cette continuité, mais l’ascension d’Ousmane Sonko, désormais Premier ministre, soulève de nombreuses inquiétudes. Ce dernier, en dépit de son inéligibilité à la présidence, reste un acteur politique central, fort d’un soutien important de la jeunesse sénégalaise.
Rufin met en lumière le caractère populiste de Sonko, dont le parti, Pastef, ne dispose pas d’une majorité parlementaire. Cela pourrait poser problème lors des élections législatives du 17 novembre, prévues pour confirmer ou non son emprise politique. Si Sonko échoue à obtenir cette majorité, il pourrait, avertit Rufin, appeler ses partisans à descendre dans la rue, menaçant ainsi la stabilité du pays. Et même s’il réussit, ses ambitions de réformes institutionnelles profondes pourraient ébranler l’équilibre démocratique sénégalais.
L’écrivain rappelle également que Sonko manie une rhétorique anti-française virulente et affiche une volonté de nouer des alliances stratégiques ailleurs, notamment avec la Chine ou la Russie. Il souligne que la présence chinoise au Sénégal est de plus en plus contestée, illustrée par un récent procès intenté contre une entreprise chinoise accusée de conditions de travail abusives. Quant à la Russie, bien que militairement active dans la région via la milice Wagner, elle a subi un revers majeur au nord du Mali, affaiblissant son influence.
Sur le plan économique, Rufin insiste sur la fragilité de la situation. Le nouveau pouvoir, élu avec la promesse de créer des emplois pour une jeunesse majoritaire, doit composer avec une économie dégradée. Les mises en garde répétées du FMI renforcent la méfiance des bailleurs de fonds internationaux, compliquant encore plus la tâche du gouvernement sénégalais.
Malgré ces tensions, Rufin souligne que les relations entre les autorités sénégalaises et les entreprises françaises restent relativement stables. Un industriel français présent dans le pays depuis plusieurs décennies confirme que, bien que certains contrats soient en cours de renégociation, la présence économique française au Sénégal ne semble pas immédiatement menacée.
Enfin, Rufin note deux éléments de stabilité dans ce contexte incertain : les confréries musulmanes, qui jouent un rôle modérateur au sein de la société sénégalaise, et l’armée, qui, jusqu’à présent, reste loyale au pouvoir civil.
Jean-Christophe Rufin avertit que le Sénégal, malgré sa stabilité historique, traverse une phase critique et a plus que jamais besoin du soutien de la France et de l’Europe pour éviter le chaos.