Grossesses précoces en milieu scolaire au Sénégal : Une urgence sociale et éducative
« Quand une jeune fille quitte l’école à cause d’une grossesse, ce n’est pas seulement son avenir qui s’assombrit, mais aussi celui de toute une communauté« . Une réflexion profonde s’impose sur un sujet tabou qui plombe l’avenir de nos filles. Les grossesses précoces en milieu scolaire désignent des élèves, principalement des adolescentes âgées de 12 à 19 ans, qui tombent enceintes durant leur parcours scolaire. Ce phénomène est un problème majeur au Sénégal car, il compromet non seulement l’avenir éducatif des jeunes filles, mais reflète également des inégalités structurelles et des défis sociétaux.
En effet, elles sont nombreuses ces filles qui ont abandonné l’école ou qui en ont été exclues à cause de ce phénomène. Au Sénégal, les statistiques sont assez révélatrices. En 2020, une étude du Fond des Nations Unies pour les populations (UNFPA) et du Groupe pour l’Étude et l’Enseignement de la Population (GEEP) estime à près de 14 % les adolescentes âgées de 15 à 19 ans qui avaient déjà eu une grossesse, avec une proportion significative en milieu scolaire. En 2021, il a été signalé qu’environ 30 % des filles ayant eu une grossesse en milieu scolaire ont abandonné définitivement leurs études. En 2022, le ministère de l’Éducation nationale avait signalé environ 1150 cas de grossesses précoces dans les établissements scolaires.
Au cours de l’année scolaire 2023-2024, 53 cas de grossesses en milieu scolaire ont été enregistrés dans la région de Kaffrine. Pour 2024, le GEEP a recensé 1 202 cas de grossesses précoces chez des élèves âgées de 12 à 19 ans, répartis dans 1332 établissements publics de niveau moyen et secondaire, couvrant ainsi 85 % du réseau scolaire national. Ces chiffres prouvent à suffisance la situation assez préoccupante de ce phénomène dans nos écoles.
Il est important de souligner les tabous autour de la sexualité car, dans de nombreuses familles et même au niveau des écoles, l’absence d’éducation sexuelle crée un vide informationnel sur la santé reproductive. La pression sociale et une certaine stigmatisation sont des facteurs clés de la situation actuelle. En effet, beaucoup d’adolescentes font face à des jugements sociaux contradictoires. La société attend d’elles un respect des normes de chasteté tout en étant peu préparées aux réalités des relations. En plus, certaines communautés valorisent les mariages précoces, considérant la maternité comme une étape incontournable de la vie des jeunes filles.
Par ailleurs, nous avons la vulnérabilité financière. Certaines adolescentes issues de familles défavorisées sont parfois engagées dans des relations transactionnelles pour subvenir à leurs besoins. Sous un autre angle, nous avons les inégalités régionales. Les études du GEEP de 2024 nous montrent que les zones rurales sont particulièrement touchées : Fatick 166 cas (13,81 %), Ziguinchor 157 cas (13,06 %), Sédhiou 134 cas (11,15 %), Tambacounda 100 cas (8,32 %), Kolda 91 cas (7,57 %), Matam 86 cas (7,16 %), Thiès 83 cas (6,90 %), Dakar 7 cas (0,58 %). Une réalité due à l’accès limité à l’éducation, à la sensibilisation et aux services de santé reproductive.
A cela s’ajoute une éducation inadaptée vu l’absence de programmes d’éducation sexuelle liés au contexte culturel sénégalais laissant ainsi les élèves sans connaissances pratiques pour prévenir les grossesses précoces. Et enfin, le manque de soutien scolaire car les structures éducatives manquent souvent de politiques inclusives pour aider les filles enceintes à poursuivre leurs études. Selon l’UNFPA, « chaque grossesse précoce dans un milieu scolaire est une opportunité manquée d’éducation et d’émancipation pour une fille, avec des répercussions durables sur sa vie et celle de sa famille ».
Aujourd’hui, les grossesses précoces en milieu scolaire peuvent être perçues comme le produit d’inégalités structurelles car, les interactions entre le patriarcat, la pauvreté et l’exclusion des filles des instances décisionnelles peuvent accentuer leur vulnérabilité. Le fait est que les dynamiques sociales à l’école, les relations avec les enseignants, les pairs, et la pression exercée par l’environnement familial jouent un rôle central dans la survenue des grossesses précoces. Puis, les discriminations basées sur le genre, l’âge, et la situation géographique doivent être examinées ensemble pour comprendre pourquoi certaines filles sont plus vulnérables que d’autres.
En somme, dans une vision perspectiviste, il serait opportun d’introduire des programmes d’éducation sexuelle adaptés au contexte culturel, de renforcer la sensibilisation des acteurs concernés sur la santé reproductive (élèves, enseignants, parents), de permettre aux jeunes filles enceintes ou mères de réintégrer le système scolaire sans stigmatisation, de fournir des bourses et des aides pour réduire les pressions économiques sur les familles. La capacitation des enseignants aussi serait un atout majeur dans la sensibilisation au niveau des classes de manière inclusive. Et pour la mobilisation communautaire, l’implication des chefs communautaires et religieux pourrait aider à encourager un dialogue intergénérationnel pour lever les tabous sur la sexualité.
Malgré les efforts du GEEP et de l’UNFPA, les grossesses précoces en milieu scolaire au Sénégal demeurent un phénomène complexe nécessitant une approche multidimensionnelle. Ainsi, en combinant des réformes éducatives, des politiques inclusives, et une sensibilisation communautaire, il est bien possible de réduire leur incidence et de garantir aux jeunes filles un avenir plus prometteur.
Néné Jupiter NDIAYE
Journaliste/Sociologue
thiey sonko