Un an de pouvoir : fin du système ou nouvelle impasse ? – Dr. Cheikh Tidiane MBAYE*

En mutation sociopolitique majeure, incarnée par Ousmane Sonko, le Sénégal se subjugue de l’ascension fulgurante de ce phénomène adossé à un ensemble de facteurs structurels et conjoncturels, dont la remise en question du système néocolonial, la crise du modèle confrérique dans la sphère politique et le transfert du fanatisme religieux vers un fanatisme politique.
Si Sonko symbolise la rupture avec l’ancien système, il pose également la question de son choix de gouvernance et des conséquences de sa démarche politique sur le tissu social sénégalais.
Fin d’un cycle : recul de l’influence politique des marabouts
Depuis les années 2000, on voit évoluer le rapport entre confréries et politique. Jadis piliers du système, les marabouts perdent progressivement leur emprise sur les choix électoraux de leurs disciples qui, fidèles à leurs confréries et continuant de vouer respect à leurs guides spirituels, n’en tendent pas moins à de plus en plus dissocier leur allégeance religieuse de leurs choix politiques.
La défaite du « ndigël » (consigne de vote ) en politique a marqué le début de ce changement. Aujourd’hui, l’aura de Ousmane Sonko à Touba illustre cette mutation : il est défendu avec plus de ferveur que certains marabouts.
Ce phénomène s’inscrit dans une dynamique plus large que nous anticipions dans notre thèse de doctorat sur l’avenir des confréries musulmanes du Sénégal. La légitimité des marabouts en politique s’effrite, laissant place à de nouvelles formes d’adhésion, souvent plus politisées et radicales.
Transfert du fanatisme religieux vers le politique
Le suivisme inconditionnel dont bénéficie Sonko ne peut se comprendre sans scanner le transfert du fanatisme religieux vers un fanatisme politique.
Une partie de la population, frustrée par des années de promesses non tenues et de gouvernance défaillante, délègue désormais son espoir à un leader politique, avec la même ferveur que celle autrefois réservée aux guides religieux.
Forme de sublimation des frustrations accumulées, cela crée un culte du leader qui dépasse la rationalité politique (instinct de combinaison).
Habilement, Ousmane Sonko a su canaliser ce besoin de rupture, en se positionnant comme l’antithèse du système en place. Mais dans cette quête de renouveau, la manipulation politique n’est jamais loin : la confusion entre ses problèmes personnels, la lutte contre le régime ancien et l’avenir du pays ont sédimenté un climat de tension permanente.
Un système en mutation, mais vers quoi ?
Dans notre livre « Sénégal : le système dans tous ses états », nous annoncions la mort progressive du système néocolonial basé sur la dépendance occidentale, le clientélisme politique et le contrat social tacite entre marabouts et pouvoirs politiques.
Si cela semble se confirmer aujourd’hui, le véritable enjeu est de savoir si le système proposé par les nouvelles autorités est une réelle alternative ou une régression.
La démarche politique du régime actuel, faite d’affrontements, de règlements de comptes, entés à une perpétuelle posture victimaire, risque de fragiliser davantage le tissu social sénégalais.
Depuis leur arrivée au pouvoir, les nouvelles autorités n’ont toujours pas posé les bases d’un véritable projet de développement. Un an déjà, les attentes sont immenses, mais les signaux rassurants se font attendre.
Et c’est comme si le récit historique se réécrivait en faisant croire que le Sénégal commence en 2021 et que seuls les inconditionnels de Sonko sont légitimes.
La violence et le « gatsa gatsa » (politique de confrontation) sont présentés comme les éléments déclencheurs de l’alternance, dans l’ignorance totale des autres dynamiques déterminantes.
Une souveraineté détournée par la radicalité politique
Le projet de rupture prôné par PASTEF repose sur des promesses de souveraineté, de justice et d’ancrage aux valeurs profondes du Sénégal. Pourtant, dans la pratique, le pays semble plongé dans une spirale d’affrontements et de règlements de comptes entravant toute dynamique constructive.
PASTEF s’est imposé à la fois comme créateur de crises et principal bénéficiaire des solutions qui en découlent.
Entre victimisation et volonté de reconstruire sur les ruines du système précédent, leur posture ne propose pas une véritable alternative apaisée. Si leur discours martèle l’urgence de justice et de transparence, leur gestion de certaines décisions politiques clés, comme la loi d’amnistie, témoigne d’un pragmatisme qui frôle la contradiction.
Une loi d’amnistie aux contours flous et des négociations mystérieuses
L’amnistie a été présentée par Pastef comme une décision imposée par Macky Sall, alors que des zones d’ombre persistent sur le rôle réel du parti dans son élaboration.
Ousmane Sonko, lui-même, a reconnu avoir discuté avec l’ancien président sur cette question, même s’il affirme qu’aucun des points de négociation ne faisait consensus entre eux.
Pourtant, au moment du vote de cette loi, leur position n’était pas aussi radicale qu’ils le laissent entendre aujourd’hui. Certes, ils ont voté contre, sous la pression populaire, mais sans mobiliser une opposition frontale.
Une question essentielle demeure : Pourquoi Pastef a-t-il jugé nécessaire de négocier cette amnistie au moment où Sonko, Diomaye et leurs militants détenus n’en avaient pas besoin pour recouvrer la liberté ?
L’opinion publique leur était largement favorable et le peuple semblait prêt à les libérer par les urnes et les installer au pouvoir sans qu’aucune loi d’amnistie ne soit nécessaire.
Alors, qu’a réellement contenu cette négociation ? Quelles garanties ont été obtenues ? Qu’est-ce qui a été retenu en coulisses ? Le mystère reste entier. D’autant plus que Macky Sall, dans ses derniers actes, en tant que Président, a adopté une posture surprenante, laissant planer le doute sur d’éventuels accords tacites. Il a non seulement facilité l’accession de Pastef au pouvoir, en installant Diomaye Faye, mais a aussi accepté une transition sans accroc, contrairement à ce que certains subodoraient.
Aujourd’hui, alors qu’ils avaient promis d’abroger intégralement cette loi, les nouvelles autorités se contentent d’une abrogation partielle, ciblant certains acteurs, protégeant d’autres. Cette incohérence alimente la confusion : veulent-ils réellement faire toute la lumière sur cette période ou cherchent-ils à en contrôler le récit à leur avantage ?
Le Sénégal se retrouve donc dans une situation paradoxale : un pouvoir qui se veut révolutionnaire mais qui peine à rompre avec les pratiques du passé, jonglant entre radicalité affichée et compromis dissimulés.
Loin d’un projet de refondation nationale, nous assistons à une instrumentalisation politique du discours révolutionnaire. Le Sénégal est-il en train de sortir du système ancien ou de sombrer dans une version plus radicalisée et incertaine. L’avenir nous édifiera, mais une chose est sûre : la cuisine n’embaume pas encore, et les urgences patriotiques ne peuvent être éternellement sacrifiées sur l’autel des luttes partisanes.
*Sociologue