« Si le droit n’abolit pas la morale, c’est qu’il s’en réclame ! »

Yoro Dia, je suis d’accord que notre pays est une démocratie, et que ni Macky ni un autre ne pourrait l’abolir. Je suis d’accord que certaines accusations de recul démocratique ne sont pas fondées. Mais j’aimerais faire quelques observations sur votre texte.

La première est que la démocratie n’exclut pas l’abus de pouvoir, et c’est précisément ce que nous reprochons à Macky Sall dans son rapport avec la justice de notre pays. Si la loi est pour tout le monde comment expliquer que de grands criminels, pour la bonne et simple raison qu’ils sont de la majorité, ne soient pas inquiétés là où les adversaires du régime sont punis très sévèrement ? Les intellectuels qui élèvent la voix savent comme vous qu’on peut parfaitement instrumentaliser la loi et la justice pour abuser du pouvoir. Nous sommes tous d’accord que c’est ce Conseil constitutionnel qui a le dernier mot, mais la sagesse d’une loi, nous dit Rousseau, de prévenir les conflits et non de sanctionner les fautes « La puissance des lois dépend encore plus de leur propre sagesse que de la sévérité de leurs ministres, et la volonté publique tire son plus grand poids de la raison qui l’a dictée ». Oui ! le bon sens du peuple est clair : on ne veut plus de trois mandats, c’est en le disant à Wade qu’il n’a plus besoin de le rappeler à Macky.

La deuxième est que, puisque vous citez Max Weber, je vous rappelle ce concept d’éthique de responsabilité : quand bien même l’homme d’Etat aurait sans aucun doute possible certains droits ou libertés, par responsabilité, il devrait s’empêcher de les exercer au regard des conséquences futures qui en découleraient. Si comme vous le dites Macky est un bâtisseur, un visionnaire et tout ce que vous voulez, il doit apporter un plus à notre démocratie. Il lui suffirait de renoncer à une troisième candidature pour instaurer dans un pays une tradition, voire une culture démocratique qui nous prémunirait dans l’avenir de tant de soubresauts. C’est cela l’éthique de responsabilité : savoir renoncer à une partie de ses droits, savoir limiter sa propre liberté eu égard au respect qu’on a pour les autres, en l’occurrence ici le peuple.

La troisième est qu’un savant peut parfaitement parler de politique à condition d’observer la distance critique, la règle de la neutralité axiologique. Le fait politique, les évènements politiques, les déclarations et actes politiques sont parfaitement abordables d’un point de vue scientifique. On peut certes reprocher à un savant d’instrumentaliser la science pour satisfaire des postures politiques, mais exclure la politique du domaine de compétence de la science est à notre avis suspect. Or justement la notion d’institution met en péril tout l’édifice de votre argumentaire contre les 104 intellectuels. L’institution, qu’elle soit civile ou politique, est durable, elle transcende les contingences individuelles et partisanes. Or quand le Président de la république parle ou écrit, ce n’est pas un citoyen ordinaire et ce, d’autant que c’est sur la base de la parole donnée et commentée par lui, que le peuple lui a voté des réformes constitutionnelles exprimant la limitation des mandats à deux. Mandat et durée de mandat, sont deux choses différentes : notre entendement simple de peuple n’a pas besoin de sophistication pour le comprendre. L’instabilité de la parole du Président déteint sur la qualité, la beauté, la noblesse et la transcendance de l’institution qu’il incarne. C’est d’ailleurs suspect et paradoxal que parlant de science vous semblez appliquer le faillibilisme de Popper non aux résultats (toujours provisoires) de la science, mais à ses méthodes. On ne peut pas changer de méthode d’interprétation de la Constitution comme on change de chemise et espérer un Etat de droit !

La quatrième qui découle de la précédente remarque est que la politique ne peut pas se passer de l’éthique sans se dénaturer et déboucher sur des apories. Le reniement de Macky aura un impact catastrophique sur l’état de nos mœurs, sur l’exemplarité du dirigeant et surtout sur la valeur de la parole donnée. Non Yoro Dia, par la grâce de Dieu, n’entrainez pas Macky Sall dans une telle dynamique qui mettra définitivement notre pays dans un engrenage de reniements de l’autorité. Le jour où Macky s’adressera aux Sénégalais pour leur dire « j’ai finalement décider de rester » ce sera une honte nationale, voire un deuil national. Faire du wax-waxeet une institution, c’est à mon avis, la plus belle manière de fragiliser l’institution, mais surtout faire de l’art politique un art de mentir et de se jouer du peuple. Or si l’on part du principe de l’art politique est une entreprise de tromperie, c’est la politique elle-même qui en prend un sacré coup et qui risque de devenir impossible.

Napoléon disait au Conseil d’État, avec beaucoup de cynisme, ceci : « C’est en me faisant catholique, que j’ai fini la guerre de Vendée ; en me faisant musulman que je me suis établi en Égypte, en me faisant ultramontain que j’ai gagné les prêtres en Italie. Si je gouvernais un peuple de Juifs, je rétablirais le temple de Salomon ». Pour moi, c’est l’incarnation de l’instabilité, de la mauvaise foi et d’un mépris envers le peuple. Mais l’histoire finit toujours par remettre à leur place ses faux géants qui estiment pouvoir manipuler, tromper, infantiliser les peuples à leur guise. Devinez comment et où Napoléon a fini ses jours.

https://seneweb.com/news/Politique/le-senegal-entre-populisme-et-etat-de-dr_n_406659.html

* Par Alassane K. KITANE

1 COMMENTAIRE
  • digoli

    mais kitane je te suis à travers tes posts la remarque que j ai faite est que pas une seule fois tu as condamné Les dérives de l opposition

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