Retrait des Etats de l’AES de la CEDEAO : « entre légitimité, effectivité et avenir de l’organisation régionale », Ismaila Madior

Retrait des Etats de l’AES de la CEDEAO : « entre légitimité, effectivité et avenir de l’organisation régionale », Ismaila Madior

Ce mercredi 29 janvier 2025 marque la date de formalisation du divorce du Mali d’avec la CEDEAO.

Un divorce regrettable

Pourtant, lors des réunions (ministérielles et de Chefs d’Etat) de la CEDEAO de l’année 2023 sur les velléités des Etats de l’AES de quitter l’organisation, nous étions convaincus qu’ils n’allaient pas franchir le rubicond de claquer la porte de la maison communautaire et qu’ils allaient revenir sur leur volonté de se délier de l’organisation pour ne pas compromettre les acquis de plusieurs décennies de construction d’un modèle d’intégration, qui bien qu’imparfait, est bien meilleur que beaucoup d’autres expériences du genre sur le continent et dans le monde.

La lettre du Président de la Commission (Docteur Omar Alieu Touray) (en date du 13 janvier passé) adressée au ministre des affaires étrangères et de la coopération internationale de la République du Mali, (Abdoulaye Diop) l’invitant à engager les formalités de séparation à compter du 29 janvier 2025 nous ramène à la dure et douloureuse réalité de l’effectivité du divorce avec plein d’incertitudes qui concernera aussi le Niger et le Burkina Faso.

Réserves sur des divorces engagés par des régimes de transition

Malgré le respect qu’il convient d’accorder à cette séparation qui constitue un risque sur la viabilité de l’organisation et l’avenir de l’intégration en Afrique de l’Ouest et, au-delà, en Afrique, l’on peut s’interroger sur le bien-fondé de la décision de retrait d’une organisation régionale de la part d’Etats dont les autorités sont dépourvues de la légitimité du suffrage universel et n’ont pas pris l’initiative d’une ratification populaire d’un acte de cette envergure de désaffiliation affectant le destin d’une communauté, quoi qu’on en dise, soudée par l’histoire, la géographie, la culture, l’économie et un ambitieux droit qui définit les principes de convergence constitutionnelle régissant le mode de vie politique de cet espace ; une communauté de droit qui récuse et sanctionne audacieusement la prise de pouvoir par des moyens portant atteinte aux bases ontologiques de l’intégration.

La décision unilatérale des juntes militaires de délier leurs Etats de leurs obligations vis-à-vis de la CEDEAO, même si elle est, bien sûr, conforme aux principes régissant les organisations internationales (dénonciation) et au traité fondateur de la Communauté (retrait), elle pose un problème de légitimité quant à la validité procédurale et substantielle de la démarche, tant en droit international qu’en droit interne. En effet, si, en droit international, l’effectivité du pouvoir peut parfois l’emporter sur la légitimité, en droit de l’intégration en revanche, on peut s’interroger sur l’admission automatique d’un retrait assumé par des autorités investies en violation des textes de la CEDEAO, notamment du Protocole de Dakar. Doit-on se limiter à la lettre du droit communautaire et laisser libre cours aux retraits ? Ou ne devrait-on pas, sans aller jusqu’à loi de l’enchaînement de l’Etat fédéré à l’Etat fédéral, davantage rigidifier la procédure de retrait, avec l’objectif de donner du temps et de la chance à la diplomatie intégrative. Ce qui pose le débat de la réforme institutionnelle de la CEDEAO après que le traité soit éprouvé par l’expérience.

Au surplus, la désintégration du processus d’intégration par des actions initiées dans le cadre de la dénonciation du traité peut-elle être accueillie et mise en œuvre sans consultation du peuple par voie référendaire, des parlements nationaux suspendus ou dissous, mais aussi des autres organes de l’organisation (Parlement au titre des saisines facultatives au moins, Cour de justice) ? Ces derniers devraient aussi, au nom de la logique institutionnelle, avoir leurs initiatives à prendre et leur mot à dire, même si le dernier mot revient à la Conférence des Chefs d’Etat et de gouvernement.

A dire vrai, au-delà de la légalité de la démarche, ces retraits, spectaculaires et inédits depuis le départ en 2000 de la Mauritanie qui a envisagé heureusement son retour par la signature en 2017 avec l’organisation d’un accord d’association, doivent être pris au sérieux et subir le traitement juridique et politique requis. Ils pourraient souffrir d’un déficit de légitimité apaisante lié à l’absence d’onction démocratique tirée du défaut d’élection des dirigeants de la transition et de la non tenue de consultation référendaire, comme on l’a vu par exemple dans le cadre du BREXIT où après le référendum, la Cour suprême britannique avait exigé l’approbation parlementaire, avant d’activer l’article 50 du Traité de Lisbonne sur les négociations de sortie. A juste titre, car le référendum reste le procédé de droit commun de validation et de légitimation d’une décision d’un pays décidant se retirer d’un projet d’intégration cinquantenaire, dont l’Etat en question est membre fondateur.

Les réserves de principe démocratique sur l’initiative de désaffiliation de la CEDEAO de la part de régimes à vocation transitoire sont également valables pour celle de leur affiliation à l’AES. En tout état de cause, il est clair qu’après 50 ans de vie dans une organisation d’intégration, se retirer de celle-ci signifie tourner le dos à une expérience de fraternité africaine cinquantenaire, pourtant citée en exemple par les benchmarkings de fonctionnement de modèles d’intégration.

Une opportunité pour sécuriser le droit de retrait et sauver l’intégration

Bien entendu, le propos ne consiste pas ici à délégitimer ou à contester la décision de retrait des Etats de l’AES ou à critiquer la mise en branle de la procédure de séparation, mais plutôt à inciter la CEDEAO à transformer cette crise en opportunité pour sécuriser le processus d’intégration et éviter d’ultérieurs retraits liés notamment à des changements anticonstitutionnels de gouvernement (on le sait doublement condamnés par la CEDEAO et l’Union Africaine) qui peuvent se révéler des parenthèses bien circonscrites dans des périodes de transition d’une durée limitée. Ce besoin de sanctuarisation de l’organisation ne répond pas seulement aux Etats théâtres de coup d’Etat, mais à tous types de manifestations de volonté de rompre avec celle-ci. Il faut, à cet égard, prêter attention à la récente déclaration du ministre togolais des affaires étrangères Robert Dussey qui n’exclut pas une adhésion de son pays à l’AES. A l’évidence, un autre retrait et une éventuelle attractivité de l’AES (avec l’intention prêtée au Tchad d’y adhérer) seraient un coup dur pour les efforts méritoires de construction de l’intégration des Etats et des peuples de l’Afrique de l’Ouest.

L’organisation communautaire devrait, donc, marquer le coup en engageant, sans remettre en cause la souveraineté des Etats qui restent maîtres des traités, la réflexion sur la sécurisation de la clause du droit de retrait et définir une doctrine préventive y relative pour endiguer quelque tentation de cascades de décrochages qui saperaient la dynamique intégrative, mais aussi les efforts collectifs de construction de la paix et de la sécurité de la sous-région.

En définitive, parce qu’il y va de la survie de l’organisation, cet ajustement institutionnel salvateur de l’intégrité de l’organisation devrait être un des points de l’Agenda attendu des réformes de la CEDEAO.

L’urgence d’engager la réforme de l’architecture institutionnelle

Au total, pour éviter de se désagréger et plutôt s’élargir en se consolidant, la CEDEAO doit, d’urgence, se réformer dans le sens d’une meilleure balance entre la sauvegarde des principes constitutionnels, la gestion des susceptibilités souverainistes et l’atteinte des objectifs économiques.

Ismaila Madior Fall
Professeur des Universités
Ancien ministre des affaires étrangères
et des Sénégalais de l’Extérieur

9 COMMENTAIRES
  • Juriste

    Illégitimité des « junte »? Auriez-vous oubliez même vos notions de vase en droit ? Le parallélisme des formes vous parle t il? QUI A DEMANDÉ L’ACCORD DES POPULATIONS EN 1975 POUR ETRE FONDATEUR DE LA CEDEAO ?? Seriez vous toujours aussi piètre juriste que quand vous défendez 3eme mandat de Macky Sall? Prenez votre retraite prof.

  • PARE

    l’Afrique souffre à cause des individus pareils, un long post pour ne raconter rien que des inepties.

  • Namena

    M. Ismaelo, on vous a bien compris. Maintenant veuillez vous prononcer sur l’inertie de la communauté face à son agression sur sa partie septemtrional constitué des territoires du Burkina, du Mali et du Niger.
    En Tant que citoyen d’un pays hors des affres du terrorisme, prononcer vous sur la légalité et la légitimité de cette inertie.
    Quand vous aurez tiré votre conclusion, veuillez vous exprimer sur les mobiles d’avėnement des régimes militaires dans ces pays du Sahel dont les limites territoriales constituent les limites du terrorisme.
    Pour finir, grand intellectuel, le Sahel veut la paix et son peuple veut vivre pour espérer connaître de part lui-même la démocratie au moment qu’il jugera opportun.
    Oui, la démocratie est indéniablement une belle expérience de gouvernance tout comme la science et la technologie pour l’accomplissement des peuples.
    Les peuples du Sahel disent que c’est dommage que votre grande intelligence ait choisi, pour la réalisation des peuples noirs, de prioriser la démocratie au détriment de la science et de la technologie ; schéma pourtant contraire celui emprunter par vos maîtres sur qui vous tirer toute réflexion.

  • Diawara

    Bjr.
    L’organisation est utilisée au gré de ses intérêts.
    Macky Sall, sous ses conseils et ceux de son ancien MAE Tall Sall, avait dit répondre à l’appel de qqs, 3 ou 4 pays sur 13, – sans consultation du parlement de la CEDEAO et celui du Sénégal – pour attaquer le Niger.
    Mais ce même Macky Sall avait refusé les injonctions de la CEDEAO quand il avait reporté les élections au Sénégal 6 mois avant les élections. Une décision qui allait à l’encontre d’une charte de la CEDEAO qui interdisait toute modification de loi électorale 6 mois avant les élections.
    Et la tentative de tripatouillage de la constitution sénégalaise pour permettre à son patron de l’époque pour permettre à ce dernier de briguer un 3ème mandat qui en était l’auteur.
    La CEDEAO est une organisation moribonde commandée par la France.

    • ZERBO MATHIAS

      Bjr Mr Ismailo
      Vous manquez vraiment de maturité après avoir assumé des fonctions de Ministre des affaires étrangères, Grand enseignant de votre état Tout votre verbiage littéraire ne servira à rien Vous avez choisi de reculer dans la vie
      Les peuples et dirigeants de l’AES ont opté pour avancer Ce n’est pas la première fois qu’un état en toute souveraineté décide de se séparer d’une organisation Vous êtes ceux des intellectuels qui causez du tort à l’Afrique Venez à notre école et vous en sortirez plus éclairé Dieu bénisse les peuples de l’AES et leurs dirigeants

  • Anonyme

    La souveraineté des États participants n’est point une simple question de «susceptibilité». Et voilà l’extrême différence fondamentale de vue que l’analyse strictement quasi juridique semble largement minimiser et sous-estimer. Décidément l’AES et la CEDEAO manifestement ne sont pas sur la même longueur d’onde

  • Zack

    Doule nopyle 😤😤😤😤

  • Komko

    Tons la cedeao môme tamit diouboule déh. Magatte 85, 90, 92 ans di woute mandats.Tribunal cedeao bou kéneu wégoule etc…motakh gayi nanikani

  • awocat

    Ce pauvre monsieur cherche à ne pas se faire oublier. Disparais de notre vue, waay.

Publiez un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *