Reportage – Images dissuasives sur les nouveaux paquets de cigarettes : ce que pensent les fumeurs !

Le gouvernement sénégalais est dans une dynamique de décourager les fumeurs. Après le projet de loi antitabac du 28 mars 2014 relative à la fabrication, au conditionnement, à l’étiquetage, à la vente et à l’usage du tabac imposant aux fabricants de cigarettes de respecter ces directives, l’Exécutif sénégalais, est allé loin en affichant une image «décourageante» sur les paquets de cigarettes à commercialiser dans le pays.

«Fumer cause une mort lente et douloureuse», «fumer rend impuissant et stérile», peut-on lire sur ces nouveaux paquets de cigarettes. Pire, pour décourager les fumeurs, l’image d’un homme, visiblement malade, alité et sous assistance respiratoire illustre le paquet. Cette photo du bonhomme «irrite» les consommateurs de tabac qui, ne digèrent pas cette méthode dissuasive.
«Le premier jour, que j’ai vu les images, franchement j’étais choqué et depuis lors, j’ai mes paquets de cigarettes neutres dans ma poche. A chaque fois, que je vais chez le vendeur, je le sors et mets les bâtons de cigarettes dedans», fait savoir, Moussa qui juge «désastreuse» cette vision du gouvernement sénégalais pour décourager les fumeurs.

La semaine débute avec une chaleur excessive. C’est dire que le climat est loin d’être clément. Il est exactement midi, sur l’avenue Cheikh Anta Diop, où nous avons rencontré Moussa et ses amis. Sous cette forte chaleur et la longue attente, la mauvaise humeur est la chose la mieux partagée pour ce groupe de jeunes. Difficile de leur arracher le plus petit mot. L’essentiel pour eux, est de prendre « leurs » véhicules, le plus tôt possible. Habillé en jean et chemise de blanche sale virant au kaki, une cigarette entre les doigts, Moussa fut le seul à accepter de répondre à nos préoccupations.

«Le ministère de la Santé n’a aucun respect pour les consommateurs de tabac. Mais ils oublient que ce sont eux-mêmes qui permettent la rentrée des milliers de tonnes des produits de tabac dans le pays avec des milliards de francs CFA d’impôt», peste notre interlocuteur. Ce dernier confesse avoir touché à la cigarette à l’âge de 14 ans quand il était encore apprenti menuisier.

A une dizaine de mètres de lui, un apprenti de car rapide, cigarette entre les doigts est ferme : « La cigarette, c’est ma vie. Peu importe les dessins, schémas, écritures sur les paquets, je ne vois pas de rapport. Nous savons que le tabac tue, inutile qu’ils mettent un vieux qui est victime d’une autre maladie que celle dérivée de l’usage du tabac, pour nous effrayer».

«La famille du vieux doit porter plainte pour atteinte à la dignité humaine»

D’un quartier à un autre, le ton n’est pas le même. Pa Abdoulaye retrouvé devant une boulangerie de renom à Sacré-Cœur, n’y va pas avec le dos de la cuillère pour s’attaquer aux initiateurs de ces images sur les nouveaux paquets de cigarettes. Pour lui, ils ne respectent pas la dignité de l’être humain. «Le vieux en question sur les paquets de cigarettes, je ne sais pas s’il est toujours vivant ou pas. De toutes les façons, je conseillerai à ses enfants ou petits-enfants de porter plainte pour, d’abord utilisation d’image d’autrui ensuite pour atteinte à la dignité humaine. C’est inadmissible cette photo. Ils ont pensé à nous qui ne supportons pas les images affreuses ? », s’interroge-t-il avec un ton grave. La colère monte d’un cran chez notre interlocuteur. «Ils peuvent déposer une image des cadavres, cela ne changera rien. Les fumeurs demeureront fumeurs », fulmine l’habitant de Sacré-Cœur.

Si nos premiers interlocuteurs jugent les images «affreuses ou peu dissuasives », pour d’autres, celles-ci sont l’une des meilleures décisions prises par le ministère de la santé. En réalité, selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), le tabagisme constitue un problème de santé publique. La consommation de tabac, est la première cause de décès évitables, avec cinq millions de victimes par an dont 600 000 non-fumeurs. Et si les projections de l’OMS restent inchangées, à partir de 2020, dix millions de personnes décéderont annuellement du fait du tabagisme, dont 70% dans les pays en développement. Au Sénégal, 500 000 fumeurs ont été recensés par l’Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie (ANDS). Selon le chef du bureau de la législation au ministère de la Santé, Mactar Bâ, «environ 20% des garçons fument, contre 10% chez les filles, d’après les résultats d’une récente enquête menée en milieu scolaire chez des jeunes âgés de 15 à 19 ans ».

« Cette image est forte de sens »

Ces chiffres font froid dans le dos, pour certains observateurs qui applaudissent des deux mains le nouveau format de sensibilisation sur les paquets de cigarettes. Dans le quartier de Liberté 6, où nous avons rencontré un boutiquier dans son kiosque, il approuve la stratégie. Il confie que ces clients n’aiment pas prendre les nouveaux paquets de cigarettes avec l’image du vieux. « C’est vraiment dissuasive cette image. Rare sont mes clients qui prennent ces paquets sur eux maintenant, à moins que c’est tout le paquet qui soit acheté. Si c’est des ventes en détails, ils préfèrent prendre cela dans leurs poches ou dans un autre paquet n’ayant pas ce dessin», témoigne-t-il.

Mamadou Diallo, la quarantaine à peine, dit avoir pris conscience des dangers que courent les fumeurs grâce à ces nouveaux paquets mis en circulation depuis août dernier. Il était consommateur régulier des produits de tabac mais M. Diallo consomme de moins en moins depuis trois mois.

«Depuis que j’ai vu le nouveau paquet, j’ai peur. Je veux arrêter de fumer parce que, je sais que la cigarette est mauvaise. Les médecins m’ont conseillé de ne pas l’arrêter brusquement. Raison pour laquelle, je consomme deux à trois bâtons par jour. Et je suis persuadé que d’ici deux mois, on pourra m’appeler un ancien fumeur », dit-il.

Abdou Aziz Kassé, cancérologue et président de la Ligue sénégalaise contre le tabac (Listab) a expliqué que «des avertissements sanitaires sous forme d’images, de photos en couleurs, portant sur 70% des deux surfaces de toutes les enveloppes du tabac, ont un impact beaucoup plus important dans un pays où le taux d’analphabétisme en français est élevé ».

« J’apprécie le travail de Marie Coll Seck pour cette méthode dissuasive »

Les fumeurs doivent savoir que quand ils fument, les non-fumeurs aussi en souffrent. Ce sont les propos de Mme Aissatou Bâ dont le mari est consommateur de tabac. Aussi, faut-il rappeler que le tabac tue celui qui fume ainsi que celui qui ne fume pas mais qui aspire la fumée. Mais, cette dame est confiante que son mari comprendra avec le temps, ce message sur les paquets. Lequel message, selon elle, est un «travail remarque» de l’ex-ministre de la Santé, Pr Eva Marie Coll Seck. «Dans la sous-région, le Sénégal est le seul pays a adopté cette politique dissuasive de l’usage du tabac. Nous devons jeter des fleurs à l’ex-ministre de la santé et son département qui ont su relever le défi», se réjouit-elle.

Conformément à la loi, des mises en gardes sanitaires ont été validées par le Ministère de la Santé et de l’Action sociale (MSAS) et cela a été fait par la ministre Pr Eva Marie Coll Seck. Ainsi, en décembre 2016 deux arrêtés furent, l’un sur la signalisation de l’interdiction de fumer et l’autre sur l’avertissement sanitaire. «Ce sont deux images qui sont sélectionnées par le ministère et qui sont envoyées à l’industrie du tabac sous fichier électronique. Et depuis le 26 août, tous les produits du tabac qui sont commercialisés au Sénégal portent ces images», nous informe une source anonyme au sein du Programme National de Lutte contre le Tabac (PNLT).

Reportage réalisé par Ankou Sodjago